Claude LEVI-STRAUSS, titulaire de la chaire d'anthropologie sociale dont les œuvres maîtresses Tristes tropiques, Anthropologie structurale, le crut et le cuit, Les structures élémentaires de la parenté, ont marqué bien des générations d'étudiants africains, n'est pas le raciste théoricien entre autres de la hiérarchisation des races.
Il s'agit en l'occurrence de son congénère juif Lucien LEVY-BRUHL qui a provoqué une levée de boucliers de tous les intellectuels du Tiers-monde pour sa théorie de la pensée prélogique qui dominerait la mentalité dite primitive ! Au contraire dans Race et histoire, LEVI-STRAUSS l'un des papes du structuralisme, a démontré l'inanité de toute théorie soi-disant scientifique pour justifier une quelconque supériorité de la race blanche, suivie de la race jaune et enfin, bons derniers, les Nègres. Dans cet opuscule à lui commandé par l'UNESCO, il montra à travers l'étude du patrimoine génétique commun à l'homo sapiens sapiens qu'il n'y a pas de race pure et que toutes les races humaines sont mélangées. Vous n'avez qu'à observer pour vous en convaincre le nombre de Français qui ont les yeux bridés ou la peau mate. Toute approche scientifique des races doit faire sien ce postulat ; sinon on tombe dans les préjugés racistes. Le racisme, c'est le fait de mettre en évidence des différences défavorables à une race donnée et de les déclarer définitives. Battus à plate couture dans le domaine des théories scientifiques, les racistes se sont réfugiés longtemps dans l'anthropologie culturelle depuis l'anthropologie victorienne jusqu'à l'anthropologie classique du relativisme culturel et ses succédanés contemporains.
LEVI-STRAUSS donne une explication simple de la persistance des préjugés racistes qui marquent quoiqu'ils s'en défendent tous ceux qui ont baigné dans l'idéologie de la " damnation de la race noire ", parce que renaissant toujours de leurs cendres comme un phoenix ou une hydre à mille têtes sous des formes variées de l'afro-pessisme, obscurantiste ou éclairé. N'essayons même plus d'empêcher que se débitent des inepties sur nous. C'est peine perdue comme j'avais eu à le conseiller à ma célèbre collègue, l'épouse de l'ancien Président du Mali et de la Commission de l'Union Africaine, devant les contrevérités épistémologiques et les sornettes idéologiques contenues dans le désormais célèbre Discours de Dakar. Le paradigme explicatif que nous offre LEVI-STRAUSS nous aide à comprendre sans pourtant les excuser tous les Occidentaux qui se sont fourvoyés dans leur approche des réalités africaines.
Non Monsieur GAINO ! Il ne faut nullement avoir une couleur de peau particulière pour avoir le droit de parler des problèmes de l'Afrique sans être accusé de racisme ! Pas plus qu'il ne faut être jaune pour parler des problèmes de la Chine ou du Japon. C'est que dans votre cas comme dans celui de la plupart de vos congénères, vous ne pouvez parler des " problèmes de l'Afrique " sans ce regard vicié qui part d'une position condescendante de dominant. En effet, il y a comme le disent Frantz FANON et Albert MEMMI un contentieux historique entre dominants et dominés qui ne sera pas vidé de sitôt. Heureux que nous ayons évolué depuis les indépendances et qu'il n'y a plus entre nous ce que MAX Scheler appelle un solipsisme absolu. Claude LEVI-STRAUSS illustre donc ce " fading " dans la communication par l'image suivante. Lorsqu'un train rapide dépasse un train plus lent, les voyageurs du premier train ont l'impression que le train lent ne bouge pas. Il est indéniable qu'à un moment donné de son parcours historique, l'Europe a eu une évolution historique très agitée face à une Afrique qui abrutie par les séquelles de cinq siècles de domination, semble statique. D'où le cliché du scribe de l'Elysée : " L'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. " De quelle histoire parle-t-on ? Celle de la puissance coloniale évidemment. N'est-il pas vrai que l'écolier que j'étais connaissait plus l'histoire et la géographie de la France que celles de son propre pays ? Je détestais ces rois sanguinaires qui se livraient – Ô honte suprême – aux sacrifices humains ; alors que je brûlais d'admiration pour Clovis, roi des Francs, pour les grands faits d'armes de Charlemagne et l'épopée de son neveu Roland à Roncevaux. En 732, Charles Martel a bien fait d'arrêter à temps à Poitiers ces sauvages de Sarrasins, non ? La splendeur des Capétiens et des Bourbons, je savourais tout cela goulûment. En géographie, itou. Le Bassin Aquitain, le Couloir Rhodanien, le Massif Central et j'en passe, me fascinaient plus que la chaleur moite de mes nuits tropicales. Comment voulez-vous que j'entre ainsi en histoire ?
Dénis Amoussou-Yéyé
Professeur à l'Uac