Pour une solution de sortie de crise

C’est inconvenant, mais pas rare : deux adultes qui se rectifient proprement le portrait à coups d’arguments frappants, au coin de la rue. Les témoins de la scène, souvent, s’interposent dans la bagarre. Ils empêchent les deux combattants d’aller plus avant dans leur entreprise de démolition. Tous ceux qui accourent pour limiter les dégâts, appelant les pugilistes à la raison, sont, à leur manière, des médiateurs.

Car la médiation, en son sens premier, c’est l’intervention d’un tiers en vue de mettre d’accord, de concilier ou de réconcilier des personnes ou des partis. Ce qui fait du médiateur un intermédiaire. Il s’engage entre deux ou plusieurs partis afin de faciliter un accord.

La crise sociopolitique qui secoue, aujourd’hui, notre pays est assez profonde pour que nous nous en inquiétions. La grève des enseignants, par exemple, met face à face deux entités qui ne cessent de durcir et de radicaliser leurs positions, dans un quitte ou double sans merci.

Les enseignants ont progressivement porté leur grève de 24 à 96 heures. D’escalade en escalade, ils donnent, à présent, le sentiment d’avoir atteint le point de non retour. Comme pour dire, c’est à prendre ou à laisser. Pour le reste et pour la suite, advienne que pourra.

En face, le gouvernement s’est lancé dans un exercice actif de communication. Il cherche à convaincre l’opinion publique d’avoir beaucoup donné aux enseignants. Et c’est parce qu’il a le sentiment d’avoir frappé juste que le gouvernement a fait monter la pression, coup sur coup et de deux crans : défalquer des salaires des enseignants les jours dus pour fait de grève, remplacer les enseignants grévistes par des enseignants dits « patriotes ».
Face à ces deux éléphants qui s’affrontent, les apprenants et leurs parents, déboussolés et désemparés, comptent les coups. Les premiers appréhendent le spectre d’une année blanche. Tout comme les seconds qui ne se consolent pas d’avoir eu à consentir de lourds sacrifices pour souscrire aux mille et une obligations liées à la scolarité de leurs enfants.

Un autre aspect de cette même crise et qui allume l’incendie sur un autre front, c’est l’impossible ou le difficile consensus autour de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi). Le commun des Béninois, sur ce sujet, a le sentiment que nous faisons un pas en avant, deux pas en arrière. C’est pire que du sur-place : c’est la reculade à grande vitesse tout au bord du précipice. Comme si nous étions fâchés avec les progrès de la science et de la technologie. Comme si nous éprouvions le plus grand mal à acclimater chez nous, ce qui passe partout, aujourd’hui, pour un banal dispositif de gestion moderne des élections. Y aurait-t-il, à cet égard, une exception béninoise ?

Les différentes parties s’engagent dans un bras de fer de titans, étalant aux yeux des populations dégoûtées et fatiguées le triste jeu de ceux qui n’ont plus rien à démontrer, rien à prouver que de se blâmer, de s’accuser et se suspecter. La loi qui, en la matière, aurait dû être l’expression souveraine de la volonté de tous n’est plus qu’un vulgaire bout de tissu condamné à un va et vient incessant dans les mains du tisserand. Chacun en a son idée. Personne n’est disposé à souscrire à l’idée de l’autre. Et tout le monde tourne en rond.

Revenons à l’image de nos deux pugilistes se rectifiant joyeusement le portrait au coin de la rue. La crise qui perdure dans notre pays place les principaux acteurs dans la même posture et dans la même situation que nos deux combattants. Une médiation serait bien nécessaire pour amener les antagonistes à faire l’accord sur leurs désaccords. Qui en prendrait l’initiative ? Qui la conduirait à bon port ? Le Bénin ne manque pas de personnalités fortes ou de leaders charismatiques capables d’en imposer à toutes les parties. Mais, pour une fois, et si nous changions notre fusil d’épaule, renouvelions notre stratégie, sortions des sentiers battus ?

Une médiation n’est pas nécessaire. Nous pouvons y perdre aussi bien notre temps que notre latin. Un dialogue inclusif, à l’échelle de la nation tout entière, a toutes les chances de se révéler salutaire. Le Chef de l’Etat, Chef du gouvernement, Président de la République a toutes les prérogatives constitutionnelles pour convoquer une telle concertation nationale. C’est parce que nous sommes partis dans tous les sens, depuis quatre ans, sans capacité de montrer la moindre cohérence, que cette pause réflexive nous paraît nécessaire. C’est parce que la confiance a déserté nos rapports et relations que nous aurions besoin, dans un cercle de vérité, d’abattre nos cartes et de faire tomber nos masques. C’est parce que nous avons besoin de nous parler, de nous écouter que nous sommes appelés à reprendre, un à un, les fils d’un dialogue confiant, sans tabou et sans frontière. Nous le devons au Bénin de toutes nos espérances. Le changement, ici et maintenant, est suspendu à une telle décision. Doit la prendre qui de droit.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 24 mars 2010

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