Sans aucun doute, les élections de 2011 constituent un test grandeur nature pour la démocratie béninoise. Face à cet enjeu, Clotaire Olihidé, imbu de son expérience dans le système électoral béninois, relève certains goulots d’étranglement qui alourdissent le processus. Il propose par la même occasion, des solutions qui, appliquées très tôt, pourraient mettre le Bénin à l’abri des turbulences d’après élections qu’ont connu certains pays africains. Dans quelques mois, le Bénin organisera deux élections majeures : la présidentielle et les législatives. Si la communauté nationale et même internationale s’accordent à reconnaître que ces élections constitueront un test de maturité exceptionnel pour la jeune démocratie béninoise, il convient de commencer à s’interroger sur les mesures que prennent les divers acteurs du système électoral pour passer ce test avec succès. Car, si bon nombre de Béninois ont tenté d’expliquer le cafouillage observé lors des élections de 2008 par l’incapacité de Pascal TODJINOU et son équipe, je demeure pour ma part convaincu que la véritable cause est plutôt à rechercher du côté des failles de notre système électoral.
C’est d’ailleurs ce que j’ai démontré, exemples et preuves à l’appui, dans mon ouvrage publié en Novembre 2008 et intitulé : « Elections communales et locales 2008 au Bénin : autopsie d’un cafouillage organisé ».
Il me plaît aujourd’hui, alors que le Bénin avance à grands pas vers d’autres échéances électorales, de rappeler les dysfonctionnements majeurs que j’ai pu relever depuis mon observatoire privilégié puis, en m’appuyant sur les pistes de solutions préconisées, d’envisager les chances que nous avons d’effectuer encore les réglages essentiels nécessaires avant 2011.
Les principaux dysfonctionnements relevés
Il faut retenir que onze points essentiels ont été abordés et à chacun d’eux a été accordé un chapitre. Il s’agit de :
1- les lois régissant les élections : il faut dire qu’elles constituent la source première des problèmes rencontrés lors de l’organisation des élections, car c’est des incohérences et contradictions qu’elles contiennent que découlent principalement les difficultés de mise en œuvre rencontrées par les organes impliqués dont principalement la CENA.
2- La désignation et l’installation des membres de la CENA et de ses démembrements : le mode actuellement adopté contribue pour beaucoup aux lenteurs observées au démarrage des activités de la CENA et aux réaménagements incessants du calendrier pour rattraper le temps perdu, toutes choses qui induisent une précipitation préjudiciable à la suite du processus. Le mode actuel de désignation des membres de la CENA et de ses démembrements a donc montré ses limites et mérite d’être revu.
3- L’élection du bureau de la CENA et la mise en place de ses organes : les calculs politiques et politiciens pour le contrôle du bureau de la CENA font perdre un temps précieux dans la préparation des élections.
4- La mise en place et l’exécution du budget de la CENA : le mécanisme de collaboration entre la CENA et le Ministère des Finances et certaines méthodes adoptées pour l’exécution du budget des élections doivent être revues.
5- La formation des agents électoraux : elle s’effectue dans des conditions et des délais qui n’en assurent pas l’efficacité. Ce qui a un impact direct sur le rendement des agents électoraux et le remplissage des documents électoraux. Quand on sait que le mauvais remplissage des documents peut entraîner l’invalidation de votes, il convient de se pencher sérieusement sur la question.
6- Le recensement électoral : la confection de listes électorales manuelles est obsolète et ne donne aucune garantie de fiabilité et de transparence. Il faut absolument passer à une formule plus élaborée.
7- La communication de la CENA : elle est souvent peu et/ou mal utilisée.
8- Le SAP/CENA pendant la période électorale : il est marginalisé, car seul son premier responsable est formellement associé aux activités de la CENA alors que c’est cet organe qui assure le relais de la CENA entre deux élections, ainsi que la mémoire administrative et la gestion du patrimoine électoral.
9- Le dépouillement des résultats : il constitue un véritable casse-tête chinois pour les membres de la CENA. Cela a été particulièrement criard en 2008 du fait surtout de la nature des élections.
10- La cellule de traitement informatique et statistique des données électorales : elle fonctionne avec un matériel obsolète et son organisation demeure très approximative à chaque élection, alors qu’elle reste un pilier essentiel de l’organisation électorale.
11- Le stockage et l’entretien du matériel électoral : on assiste tout simplement à un gâchis permanent dans ce domaine.
Voilà donc très brièvement résumés les différentes failles non exhaustives certainement qui, de mon modeste point de vue, méritent d’être sérieusement colmatées si nous voulons améliorer le système électoral du Bénin et évoluer vers des élections de moins en moins contestées.
Au vu de ces dysfonctionnements, il m’était apparu nécessaire d’opérer les réformes suivantes :
a) Revoir la nature, la composition et le fonctionnement de la CENA
A cet effet, je suggérais que la CENA devienne une institution permanente et plus technique où les postes à pourvoir dans le Bureau sont répartis entre la mouvance, l’opposition et la société civile suivant une clé précisée à l’avance et pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une fois.
b) Réaliser au plus tôt une LEPI fiable
Cet instrument est essentiel pour sécuriser l’enregistrement des électeurs. Cependant, pour la réaliser de façon satisfaisante, il importe de réunir deux conditions : un plaidoyer civil et politique sérieux et sincère pour obtenir l’adhésion de tous les acteurs d’une part, et le choix de la méthodologie et de la technologie appropriées d’autre part. Seulement, l’observation de la vie politique à l’époque ne laissant pas présager que ces deux conditions pourraient être remplis dans des délais raisonnables, je suggérais déjà le recours à une Liste Electorale Informatisée (LEI) pour 2001, en attendant la LEPI.
c) Réorganiser le financement et l’exécution du budget de la CENA
Il est question ici d’anticiper sur la budgétisation des élections, d’améliorer la collaboration entre le Ministère des Finances et la CENA en ce qui concerne la négociation, la mise à disposition des fonds et le contrôle de leur utilisation, d’envisager le paiement des agents électoraux suivant une formule plus souple et moins onéreuse pour l’Etat béninois.
d) Instaurer de meilleures politiques et conditions de stockage et de conservation du matériel électoral
Il conviendrait de disposer de magasins dans toutes les communes pour stocker le matériel non fongible des élections et détruire le matériel non fongible après un tri rigoureux.
e) Redéfinir les rapports entre la CENA et les autres institutions
A cet effet, la commission de juristes indépendants mise en place en 2007 par le Chef de l’Etat et présidée par le Pr. Maurice GLELE-AHANHANZO a fait dans son rapport des propositions qui, me semble-t-il, ne souffrent d’aucune discussion.
Sur l’ensemble de ces chantiers suggérés, un seul a fait l’objet d’un début d’application. Il s’agit de la LEPI. Malheureusement, ce dossier a été géré sans tenir compte des principaux préalables dont il est fait cas plus haut. Du coup, compter sur la LEPI pour les élections de 2001 devient un leurre au vu des erreurs à corriger, des prochaines actions à mener et du temps encore disponible. Un autre chantier, celui de la pérennisation de la CENA, a été étudié par le gouvernement et inscrit dans un projet de révision de la Constitution qui n’a hélas que très peu de chances d’aboutir dans l’état actuel des rapports de force politique à l’Assemblée Nationale. Dans ces conditions, que faire ?
La solution pour 2011
Lorsque je publiais mon ouvrage en Novembre 2008, c’était dans l’espoir d’inciter les décideurs politiques à prendre assez tôt les dispositions idoines pour engager les réformes susceptibles de doter le Bénin d’un système électoral de qualité exceptionnelle avant les élections de 2011.
Aujourd’hui, avec le temps qui nous sépare de cette échéance, si nous ne pouvons plus espérer la meilleure qualité (haut de gamme), nous pouvons encore rompre tout de même avec la médiocrité (bas de gamme) qui semble vouloir nous coller à la peau.
Il suffit pour cela d’opter pour la qualité intermédiaire (moyen de gamme), en attendant de remplir toutes les conditions pour aboutir au nec plus ultra. Cette option intermédiaire est encore réalisable si nous prenons dès à présent les actes que cela nécessite.
Le premier et le plus important de ces actes consiste à introduire et étudier en procédure d’urgence à l’Assemblée Nationale une proposition de loi visant à modifier les lois électorales pour y introduire les différentes réformes citées plus haut.
Ainsi, sur la question de la LEPI, il serait judicieux d’envisager et d’introduire plutôt la réalisation d’une LEI pour 2011. Ce qui nécessite que la CENA soit installée au moins six (06) mois avant le mois prévu pour organiser les élections. Cette structure pourra alors disposer d’un délai acceptable pour s’organiser et planifier la mise en œuvre des réformes ressortant de ses prérogatives.
Quant à la question de la pérennisation et de la professionnalisation de la CENA, elle pourrait se régler de façon provisoire et / ou partielle par la loi, en attendant son éventuelle constitutionnalisation.
En procédant ainsi, on pourrait donner au Bénin une nouvelle occasion de se signaler positivement sur la scène internationale dans ce domaine où il continue vaille que vaille de représenter un modèle pour l’Afrique : la démocratie. Il me plaît donc, avant de conclure, de lancer un vibrant appel patriotique à nos Honorables Députés et en particulier au Président de l’Assemblée Nationale afin qu’ils posent assez tôt et de façon responsable le premier pas qui mettra le Bénin sur orbite pour des élections apaisées, plus crédibles et plus transparentes.
Clotaire OLIHIDE
Auteur de l’ouvrage « Elections Communales et Locales 2008 au Bénin : Autopsie d’un cafouillage organisé »
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