Système éducatif formel: Marche irréversible vers les langues nationales

 L’Etat Béninois est décidé, aujourd’hui plus qu’hier,  à valoriser ses langues nationales. Une phase expérimentale est actuellement en  préparation pour leur  introduction imminente dans le système éducatif formel, du cours primaire jusqu’au supérieur.

 L’option a été prise  au Forum national sur  le système éducatif organisé en février 2007 : introduire  les langues  nationales  dans  le système éducatif formel. Ceci pour rattraper un grand retard  mais aussi pour corriger l’injustice faite  à l’identité nationale. Si déjà  en 1894, à la conquête  du Dahomey d’alors par le Général Dodds, le pouvoir colonial avait interdit l’usage des langues nationales  dans les écoles confessionnelles et plus tard, dans les écoles régimentaires publiques qu’il  va promouvoir,  tous les Béninois d’aujourd’hui sont convaincus  que c’était  une manière  d’acculturer le colonisé en vue de faciliter  son assimilation  à la culture française. «On devrait considérer  aujourd’hui comme une violence  commise sur les enfants béninois le fait  de leur interdire  de parler  leur langue maternelle à l’école » dénonce  le linguiste  Albert Bienvenu Akoha, enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi. Il s’agit là, poursuit-il, d’une violation des droits de l’homme qu’aucune approche pédagogique ne saurait justifier.

 La question de l’introduction des langues  nationales dans le système  éducation formel au Bénin, ne date pas pourtant d’aujourd’hui. Depuis la colonisation, les dispositions  interdisant  leur usage  ont été combattues par les scientifiques béninois, qui soutenaient le fait  que le « système colonial anglais n’avait pas  recours à ce moyen » contrairement à la France. Tous les régimes  qui se sont succédé  à la tête du Bénin depuis  l’indépendance en 1960 ont été favorables à l’usage des langues béninoises  à l’école. Des dispositions légales ont été mêmes prises. Le régime révolutionnaire par exemple, rappelle le Professeur Akoha,  avait préconisé  l’enseignement des langues  nationales dans les écoles comme matière  en attendant de  les utiliser comme  véhicule de savoir.
La constitution  du 11  décembre  1990 du  Bénin, dans son article 11 garantit  également à toutes  les communautés composant la Nation Béninoise, la jouissance de la liberté  d’utiliser  leurs langues, parlées et écrites. Elle prescrit en outre  de promouvoir le développement des langues nationales d’intercommunication. De même, la Loi N°91-006 du 25 février  1991 portant  Charte Culturelle  du Bénin recommande de « préparer et de mettre  en œuvre  les réformes nécessaires à l’introduction progressive et méthodique  des langues nationales dans l’enseignement ». Enfin  la Loi N° 2003-017 du 11  novembre 2003 portant orientation  de  l’Education nationale  confirme elle aussi,  en son article 8, cette orientation : la nécessité  d’enseigner  les langues  nationales aux niveaux maternel, primaire, secondaire ( général et technique) et supérieur.

 Le rapport avec l’approche par compétence

 La nouvelle stratégie élaborée et adoptée par le Forum national  sur  le secteur de l’éducation de février 2007, tient grand compte  des pesanteurs sociologiques  et sociolinguistiques du Bénin. Cette  stratégie, souligne  le Professeur  Akoha,  est une exigence  nouvelle  née des développements récents  enregistrés  par les sciences de l’éducation : l’approche par compétence. Les  Nouveaux programmes  d’études,  en vigueur  dans le système éducatif  prévoient, pour l’enseignement  primaire  notamment « un champ de formation » , « Education sociale » correspondant  à des   domaines  de compétence   bien définis. En insistant sur l’enseignement des langues  nationales comme matière, le Forum reste  dans la même logique. Pour renforcer les aspects  réalistes de cette décision, il a été préconisé une phase expérimentale qui devrait s’étaler de 2007 à2015 en ne  prenant  en compte  pour l’expérimentation  que quelques  langues  nationales. L’approche par compétence et  les nouveaux programmes  d’enseignement  étant  prévus pour  couvrir l’ensemble  du système éducatif formel, le Forum a décidé  d’expérimenter  l’introduction de l’enseignement des langues nationales comme matière dans les trois ordres d’enseignement à la fois.

 Quant à la question des choix des langues,  le Professeur Akoha estime qu’elle ne se posera  réellement  qu’à la fin de la phase expérimentale,   en 2015. En attendant, annonce-t-il, l’expérimentation se fera avec quelques langues nationales  pendant que toutes les autres langues, notamment  les langues d’intercommunication seront soumises à des études  visant à les doter de manuels  et outils didactiques appropriés : précis de grammaire – dictionnaires -anthologies de littérature orale – monographies sur divers  aspects de la culture, etc.  Selon  les estimations  faites,  la phase expérimentale devrait coûter à l’Etat béninois,  environ 8 milliards de Fcfa.

Christian Tchanou

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