Ils sont jeunes. Ils portaient le rêve et l’ambition de devenir des entrepreneurs. L’Etat leur a tendu la main par le Fonds national de promotion de l’entreprise et de l’emploi des jeunes (FNPEEJ) interposé. 600 jeunes ont ainsi bénéficié des prestations du Fonds. Mais, à ce jour 487, soit 81,16% du total, restent encore débiteurs vis-à-vis du Fonds. C’est beaucoup pour qu’on s’en inquiète. C’est grave pour qu’on s’interroge sur l’avenir même du Fonds.
L’affaire n’est pas banale. L’on pécherait si l’on devait la banaliser. L’affaire, en tout cas, met en relief nos rapports à l’argent, à l’argent public en particulier. L’affaire souligne le déficit de valeurs dans la gestion de nos entreprises, de nos affaires, sinon de nos vies. L’affaire donne à lire l’extrême légèreté et inconsistance de nombre de nos jeunes compatriotes. Pourtant, ils sont pressés de prendre le témoin des mains de leurs aînés. Ils brûlent d’impatience d’assurer la relève.
Mais attention : ce sont les Akan de Côte d’Ivoire qui nous l‘enseignent : « Quand le mur n’est pas lézardé, l’araignée ne rentre point dans la maison ». Est-elle arrivée par hasard et sans raison cette catastrophe qui risque de peser lourd sur l’existence même du Fonds ? C’est de l’ordre d’une exigence morale que de nous montrer plus regardants sur les critères d’éligibilité à ce Fonds. Inutile de parler du sérieux devant entourer les enquêtes préliminaires. Nous avons besoin de savoir qui est qui, qui a capacité à faire quoi, pour quels résultats. Autrement dit, nous devons établir des seuils d’appréciation qui aident à appréhender et à situer les compétences techniques, l’expérience entrepreneuriale, les profils éthiques et moraux. Science sans conscience n’est-elle pas ruine de l’âme ?
La moindre défaillance dans la sélection aussi bien des projets que des bénéficiaires du Fonds ouvre une autoroute à plusieurs voies à des maux et travers divers. Ils ont nom : copinage, passe-droit, quota, magouille, trafics en tous genres, solidarités souterraines et maffieuses. Conséquence : un Fonds national destiné à promouvoir l’excellence se liquéfie et se transforme en un machin tout orienté à dérouler le tapis rouge à la médiocrité.
On doit déplorer que l’argent public, l’argent du contribuable soit ainsi dilapidé. Le détournement, en droit, c’est l’action de détourner frauduleusement à son profit des biens confiés en vertu d’un contrat. Dans le cas qui nous occupe, nous n’en sommes pas loin. Disons plutôt que nous y sommes ! Tous les jeunes ici concernés doivent prendre la mesure de la faute commise et du préjudice causé à la communauté nationale tout entière. Mais de quelle efficacité pourra être la thérapie proposée ? Elle consiste à publier, dans les journaux de la place, les noms des débiteurs. Dans un contexte où il n’y a que la honte qui ait honte d’elle-même, il faut craindre que ceux qu’on a voulu ainsi honnir ne renvoient à leur propre honte les responsables du Fonds qu’ils ont proprement abusés et bernés.
On doit déplorer ce festival malodorant de contre-valeurs dont notre pays est le théâtre. N’induit rien de bon le fait de figurer au palmarès de ceux qui ne savent respecter ni leur parole ni leur signature. Les affaires ICC service et consorts, les chèques sans provision dans nos banques, participent de la même dérive. Terrible responsabilité que celle de transformer tout un pays en la caverne d’Ali Baba. En somme, un triste espace où l’on prend vite des grades. Car, qui vole un œuf, ne tarde plus à voler un bœuf.
On doit déplorer, enfin, que l’on mette des millions de nos francs dans les mains des jeunes qui, pour la plupart, n’ont pas une expérience avérée de l’argent, de l’entreprise, de la gestion des êtres et des choses. Il y a un temps pour apprendre. Les responsables du Fonds gagneraient à élever au rang de priorités, l’étude de rentabilité des projets soumis à financement, l’encadrement de l’activité financée, le contrôle de la gestion de l’activité, le suivi/évaluation…Au total, convenons qu’à quelque chose malheur est bon. L’expérience du Fonds, quoique déplorable, n’aura pas été inutile. Nous avons beaucoup appris. Les sages de Côte d’Ivoire disent : « Le bossu qui veut grimper à un arbre sait d’avance quel sera son point de chute ».