Ce n’est certainement pas le point de vue de l’homme de science. Mais la religion de l’homme de la rue est faite sur ce sujet. A la question de savoir quelles sont les trois données majeures qui pèseront sur le cours des choses, orientant, de manière décisive, notre avenir commun, l’homme de la rue décline le tiercé de ses convictions : jeunesse, religion, football. Comment justifier un tel tiercé ?
L’homme de la rue ne manque pas d’arguments pour ce faire.
La jeunesse d’abord. On peut arguer de son poids démographique, incontestable. Les pays en développement comme les nôtres ne le savent que trop. La pyramide des âges, sous nos latitudes, se polarise autour de deux tendances inversement lourdes : le nombre de jeunes de plus en plus élevé et le nombre de personnes du troisième âge de plus en plus bas. Malthus, qui préconisait la limitation des naissances pour remédier au danger de la surpopulation, y aurait vu un danger. Un anti-Malthus soutiendra que toute évolution démographique qui fait la part belle aux jeunes est signe de vitalité et de dynamisme.
Mais force est de reconnaître qu’une importante population de jeunes, c’est beaucoup de bouches à nourrir. C’est un effectif scolaire qui appelle des investissements conséquents en infrastructures diverses, en matériel didactique, en formation des formateurs, en salaires et primes…
Des milliers de jeunes formés, ce sont des milliers de cerveaux équipés, de mains entraînées, de bras mobilisés mais en attente de se valoriser sur le marché de travail qui, bien souvent, reste obstinément fermé. Des milliers de jeunes à la force de l’âge, pleins de dynamisme, mais qui doivent se résoudre à arrêter de rêver ou à rêver d’arrêter le cours des choses, voire le cours de la vie ou de leur vie. Dans les pays en développement notamment où tout est urgent et prioritaire, la capacité de trouver de bonnes réponses aux problèmes des jeunes reste la clé de l’avenir. Ce qui sous-entend que qui n’a pas la clé est contraint de rester sur le pas de la porte ou d’entrer dans l’avenir à reculons. Une jeunesse acculée, sans repères, sans référence ni vision, est une bombe. L’histoire retient que ce fut un jeune, en Tunisie, qui a servi de combustible pour allumer le printemps arabe dont l’onde de choc ne faiblit point.
La religion ensuite. L’homme est un animal religieux. Ses relations avec le sacré, depuis le fond des âges, l’a conduit à construire des ponts d’accès à tout ce qui s’élève au-dessus de lui et auquel il croit. Et puis, quand on en vient à tenir la terre pour un enfer quotidien, infesté de diables, qui refuserait de loger son compte terrestre dans la banque éternelle de l’espérance, une banque peuplée de bons anges ? C’est cette perception simpliste de la religion ou de Dieu réduit à une assurance vie, qui a été, toujours, la plus largement partagée. Une telle perception a justifié, hier, les guerres de religions, les croisades, les inquisitions et les autodafés. Une telle perception justifie, aujourd’hui, les intolérances, les fanatismes, les fondamentalismes, les viles manipulations du religieux à des fins bassement matérielles. L’actualité dans le Nord du Mali, par exemple, nous place brutalement face à une situation inédite, non suffisamment anticipée par nos études stratégiques et de géostratégie. Au regard de quoi, la religion est d’un poids déterminant pour notre avenir. Elle sera de plus en plus revendiquée comme un produit inflammable qui transforme la quête de Dieu en une aventure à haut risque.
Le football enfin. Il a cessé, depuis longtemps, d’être un simple jeu. Il se présente, à l’échelle planétaire sous deux visages. D’abord la face d’une véritable industrie qui fait du football un business accompli. Il génère, capte et draine de gros sous. Ensuite, la face cachée d’une guerre qui ne dit pas son nom entre les Etats et les nations, dans un monde faussement en paix. Les joueurs, acteurs attitrés dans un spectacle et qui sont payés à prix d’or, sont des soldats, à la limite des mercenaires. Ils sont commis à se sacrifier pour des groupes d’intérêts puissants qui animent des branches aussi diverses que porteuses : information des médias, communication satellitaire, industrie de la publicité, équipement sportif, aliments et médicaments pour sportifs de haut niveau, jeux et paris. Le football de papa est mort. Voici un festin apparemment démocratique auquel sont conviés les peuples. Riches et pauvres se bousculent autour d’une seule et même table. Mais les uns et les autres sont différemment traités et servis. Le football nous embarque ainsi dans une aventure biaisée. En somme, le spectacle pour tous pour que les gains et les bénéfices restent pour quelques uns.