La Cour Constitutionnelle s’autocensure et menace ruine!

La Cour Constitutionnelle, se fendant d’un communiqué de presse sous la signature du secrétaire général, suite à la désapprobation populaire de sa décision DCC13-171 du 30 décembre 2013, relative au rejet du budget général de l’Etat- exercice 2014 par le Parlement, vient de nous abreuver de l’une de ses désolantes bourdes, exposant son instrumentalisation au service d’une cause autre que celle du droit.

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D’emblée,  faut-il le faire  remarquer, il n’appartient pas à la Cour, par l’instrument de son secrétariat de publier un communiqué de presse, fût-il sous la forme, d’une clarification à apporter sur les motifs et le dispositif de la décision quasi unanimement contestée. En effet, le droit constitutionnel positif béninois  n’a jamais  prescrit une telle démarche, sauf,  lorsque le cabinet du président de la Cour, dans le cadre des activités ordinaires du président, sent le besoin, sous l’autorité de  ce dernier de rendre public un communiqué de presse. La Cour ici  innove une fois de plus dans le dérapage.

Cela observé, le communiqué d’entrée, en guise d’éclairage, proclame la Cour Constitutionnelle, comme  le seul organe compétent : «  pour décider de la conformité ou non de la conformité d’un texte à la Constitution ou juger de la violation de la Constitution». Voilà qui trahit bien la détermination obstinée des dernières mandatures de la haute Cour à ériger cette juridiction, en un organe supra constitutionnel pour assouvir des desseins inavouables. Mais, il faut le dire tout simplement et avec fermeté que, la Cour est juge de la constitutionnalité de la loi, elle ne décide pas de la constitutionnalité d’une loi. La nuance mérite d’être soulignée, car les articles 114 et 117 de notre Constitution ne souffrent d’aucune interprétation à ce sujet. Aussi est –il pernicieux  d’introduire délibérément dans l’ordonnancement du droit positif béninois, la notion ou le concept’’ du pouvoir du juge de décider de la conformité d’un texte à la Constitution, versus, la compétence du contrôle de la constitutionnalité de la loi, par le juge constitutionnel, laquelle est expressément établie par la Loi fondamentale de 1990. Autrement dit, le juge ne décide pas de la conformité, mais déclare la conformité après une appréciation objective, impartiale et neutre, selon les normes républicaines en vigueur. La Cour en cette matière est établie essentiellement comme un juge et ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de la constitutionnalité d’un texte ou non.  Ce n’est donc pas, sain d’insinuer une telle prérogative au profit du juge constitutionnel.

Poursuivant, sa fameuse clarification, la Cour soutient urbi et orbi : « Aucune disposition de la Constitution du 11 décembre 1990 ne donne compétence à la Cour Constitutionnelle de prendre l’initiative de sa propre saisine, sauf en matière de contentieux de l’élection du président… ». C’est bien le lieu de dire que :’’la Cour s’autocensure et menace ruine,’’ à l’instar d’un édifice irrémédiablement atteint dans sa structure. Sans polémiquer, la Cour doit nous dire comment, elle peut exercer sa seconde mission de garant des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés, si elle est interdite par la Constitution de prendre l’initiative de sa propre saisine? Alors qu’il n’échappe à personne, à la lecture des dispositions des articles 114 et 117  que, la garantie desdits droits est clairement confiée au juge de la constitutionnalité de la loi. Sans une exégèse  exceptionnellement savante, l’on établit aisément la consubstantialité de la protection des droits fondamentaux avec  le contrôle de la constitutionnalité de la loi. Dans ce sens, comment le juge constitutionnel, es qualité, juge de la protection des droits, peut-il se prononcer valablement  sans se saisir au préalable, d’une manière, ou d’une autre de la cause?  Quel juge ou quelle autorité se prononce sans être saisi, ou ne s’est pas autosaisi au sens de la loi et des pratiques formelles  ou  non dans un Etat moderne? La réponse coule de source, cela est tout impossible.

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Du moins, en français facile, lorsqu’une disposition législative ou réglementaire prescrit à une autorité,  qui plus est, juridictionnelle de se prononcer ou d’agir d’office, celle-ci, du coup est habilitée, de facto et de jure à intervenir sans subordonner son action à une quelconque préalable saisine. Dans un tel cas, cela impose à l’autorité ou au juge de se prononcer ou d’agir sans que cela ait été demandé au préalable par  un requérant. C’est la conséquence, du caractère d’office de l’action, il se lit comme un commandement qui oblige le bénéficiaire à se saisir lui-même et agir.  C’est le cas naturel d’une autosaisie par l’autorité ou le juge. C’est donc, tout fait inexact que la Cour subordonne son intervention à une irrecevabilité préalable. Si  telle était la procédure, le constituant l’aurait expressément indiquée, et s’abstiendrait de l’usage  d’une prescription visiblement  d’impérative habilitation. En toute circonstance, il est de règle que, c’est la saisine qui détermine à la fois la compétence du juge et la recevabilité de l’action du requérant, sans faire obstacle à la possibilité d’une autosaisie. 

Par conséquent, la locution’’ se prononcer d’office’’ dans le cas présent, traduit la volonté du constituant, du législateur, ou le cas échéant une autorité réglementaire,  de vaincre toute inaction préjudiciable à la protection du droit ciblé, ou du résultat attendu, du fait de l’absence ou du défaut d’une saisine de la juridiction ou l’autorité habilitée.

Pour le moins, la Cour devrait aller jusqu’au bout de sa démonstration pour reconnaitre que l’irrecevabilité d’une requête, lui offrant la possibilité de son autosaisie, n’est que l’une des conséquences de son habilitation, selon les prescriptions de l’alinéa 2 de l’article 121 à s’autosaisir, non seulement en matière de la constitutionnalité de tout texte attentatoire aux droits fondamentaux, mais aussi, de toute violation de ceux-ci.

En écho à cette logique juridique implacable, dans un article scientifique, publié en 2009 dans la revue ‘’Pouvoir’’, le professeur HOLLO écrivait : « La protection des libertés par le juge constitutionnel au Bénin est renforcée par d’autres dispositions de la Constitution. D’abord l’article 120 donne compétence à la Cour pour statuer sur les plaintes en violation des libertés publiques et des droits humains… Ensuite l’article 121 prescrit, d’une part, l’autosaisie du juge constitutionnel, d’autre part, le contrôle de la constitutionnalité des lois et actes censés violer les droits de la personne humaine… »

De plus, de doctrine constante et de littérature abondante, la particularité de notre justice constitutionnelle, unanimement reconnue  et célébrée  de par le monde, en matière de la protection du citoyen, a été,  d’abord, l’action ouverte à tout citoyen de saisir la Cour par voie d’action directe et par voie d’exception, ensuite le moyen d’autosaisie à l’usage du tribunal pour césurer les violations des droits et libertés fondamentaux.

Enfin, quelle vérité juridique, ou de bon sens  enseigne la Cour? Lorsqu’elle justifie son inaction coupable de ne pas s’autosaisir des graves dérives autoritaires observées, notamment, ces temps-ci et au même moment, elle  renvoie  dans son communiqué à l’une de ses fracassantes injonctions, faite au président du parlement, lui enjoignant de désigner d’office un secrétaire parlementaire. Selon son argumentaire de quel prétexte le président du Parlement pourra exciper avant de s’exécuter ? Sinon, à quelle procédure le président du parlement doit subordonner cette nomination, car en l’occurrence, il s’agit bien de cela, puisque le terme d’office,  selon la thèse de la Cour ne devrait pas l’habiliter systématiquement aux fins d’une action.

Eu égard,  à tout ce qui précède, on se rend bien compte que le communiqué sur ce point embrouille, plus qu’il n’éclaire et expose finalement, l’inexactitude de l’affirmation de la Cour.

Enfin, le fameux droit d’’injonction que revendique laborieusement le haut juge, au travers de l’exposition d’une pléiade de décisions, allant, des plus contestables au plus incongrues  que la Cour a malheureusement imposées au peuple, n’existe pas. Point n’est besoin de s’attarder sur ce besogneux échafaudage pour la simple raison que, la Cour Constitutionnelle n’a pas indiqué au soutien de son argumentaire un seul article de la Constitution, ni de la Loi organique, encore moins de son règlement intérieur, pour autant que la jurisprudence se construit toujours a partir des normes républicaines. Au-delà de toute considération de construction jurisprudentielle, au plan sémantique, le mot jurisprudence vient du latin : «  jurisprudentia’’ prudence du droit’’ » Donc, elle n’est jamais ex-nihilo, ou une imagination d’un juge à la puissance illimitée. De même, la jurisprudence dans notre modernité contemporaine n’est une source de droit, équivalente à la loi.   D’ailleurs, dans ses errements la Cour Constitutionnelle a fini par se confondre, en affirmant dans la conclusion du communiqué, ce qui suit : « Quant à la mise en œuvre du pouvoir d’injonction, il apparait du rappel de la jurisprudence que la Cour a toujours demandé en cas de besoin à toutes les institutions d’exercer leurs prérogatives, soit impérativement, soit dans un délai déterminé, pour garantir leur fonctionnement harmonieux et régulier Ce n’est qu’une phraséologie immonde pour emballer. Seulement, elle a eu cet intérêt de laisser découvrir que la Cour constitutionnelle ne détient aucun pouvoir d’injonction. Cet aveu montre une fois  encore, la vacuité de la décision DCC13-171  en ce que l’injonction faite était illégale et d’opportunité. La raison  réside en ce  que, son objectif, selon les propres lettres du communiqué ne vise pas à garantir le fonctionnement harmonieux et régulier du Parlement, à qui elle a été  demandée pour reprendre le terme dudit communiqué. En  cette occurrence, on s’interroge en quoi le rejet du budget de l’Etat bloque, non seulement le fonctionnement harmonieux du Parlement, mais aussi par extrapolation, celui de l’exécutif? La réponse est radicalement négative. Dans le cas d’espèce, on spéculerait vaguement sur la continuité de l’Etat. Or, incontestablement, le droit budgétaire a prévu des dispositifs conséquents pour éviter la survenue de tout dysfonctionnement préjuciable à la continuité de l’Etat.

  Au demeurant, il apparait nettement que même en sa qualité  d’organe régulateur, la Cour ne peut que fournir la solution constitutionnelle, pour le rétablissement du fonctionnement. Dans ce contexte, toute injonction reste inappropriée, fondamentalement abusive. Ainsi que l’évoque le communiqué, il est fait  interdiction aux juridictions de recourir à un pouvoir d’injonction. Mais, contrairement à sa théorie, la Cour Constitutionnelle en sa qualité de juge constitutionnel ne peut se mettre à l’abri de cette prohibition, résultant en définitive, de la stricte application du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, laquelle est de rigueur dans un Etat de droit  de démocratie libérale. .

En conclusion, il paraît utile de faire partager à la Cour Constitutionnelle et à tous nos concitoyens ces célèbres lettres du professeur Georges VEDEL, à propos du Conseil Constitutionnel en France : «  Le Conseil constitutionnel n’est pas un démiurge dans la mesure où le  droit constitutionnel est un droit écrit, non ‘’obiter dictum ‘’ d’un juge. Il est ’’un contrôleur, non un fondateur’’ »

Cela étant, la Cour doit se départir de sa propension à forger le droit en général et le droit constitutionnel en particulier, en vue de gérer des causes d’opportunité. En effet, la réaction du parlement qu’elle n’ose d’ailleurs pas condamner clairement participe, d’un ras-le-bol national, dont, elle doit plutôt se préoccuper pour rétablir à son profit, la confiance du peuple. Il s’agit d’un signal fort de la représentation nationale, tendant à s’insurger contre les diktats d’une juridiction, dont l’allégeance au pouvoir exécutif se cache à peine. Ce n’est qu’un écho du sentiment populaire. Dans cette condition, elle doit prendre la mesure de l’œuvre de démantèlement de la démocratie libérale et de l’Etat de droit qu’elle mène avec tant d’obstination, peut-être par trop d’assurance sur le pacifisme  légendaire du peuple béninois.

Somme toute, la finalité de cette entreprise de la haute juridiction  préfigure d’un très mauvais augure pour la stabilité de l’Etat et la paix sociale à court terme. C’est pourquoi, l’heure n’est pas à la publication de communiqué insipide et naturellement  d’objet inopportun, il y a lieu de se reprendre pour sauver la nation paisible du Bénin, actuellement, meurtrie.

Par Oladé. O. Moïse LALEYE,
Professeur de Droit Public et de la Science Politique FADESP/UAC

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