La grève et la nécessaire création d’organes de gestion et de prévision des crises

La  grève dure que nous vivons actuellement et qui paralyse l’appareil d’Etat, causant  toutes sortes de nuisances aux citoyens, nous donne l’occasion de faire la réflexion sur une gouvernance apaisée, en la matière.

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Nous la faisons en essayant de nous mettre en retrait de l’événement lui-même, pour n’en retenir que ses enseignements.  Le dialogue social ne devrait pas rimer avec une  situation de crise mais avec la conduite régulière des affaires publiques, et nous aimons à penser  que c’est à ce titre, que le Gouvernement a crée un Département pour, entre autres attributions, s’en occuper. Ce fut la Primature ; c’est actuellement le Ministère du Travail, de la Fonction Publique et de la Réforme  Administrative et Institutionnelle. Le  Haut Commissariat pour une Gouvernance Concertée, s’intéresse également au dialogue social, et cela est heureux. Mais il apparait, qu’en dépit de ces instances et d’un cadre  permanent de concertation,  la  paix sociale n’est toujours pas acquise durablement dans le pays. Pourquoi donc en est-il ainsi ?  Est- ce, de deux choses  l’une, par défaut de stratégie ou par déficit de connaissance de la société dans laquelle nous vivons.

Dans quelle société vivons-nous en réalité?

Quel genre de société sommes-nous pour que notre gestion politique soit aussi difficile ? Le profane, encore qu’une étude sérieuse pourrait faire le distinguo  entre les sociétés rurale et urbaine, peut cependant, se risquer à  faire deux constats : l’un, d’ordre sociologique et l’autre d’ordre politique. 

Socialement, il apparait, grosso modo, que nous  sommes  un peuple  foncièrement méfiant, toujours soupçonneux, critique à outrance, ne reconnaissant pas facilement à l’autre le bien-fondé de ce qu’il entreprend et son succès. C’est ce qui explique, à notre sens, que tout ce qui permet légalement la contestation, induise la surenchère et le regain de tension  dans le pays ; c’est ainsi qu’il convient de  comprendre que nos grèves soient plus dures que celles mêmes des pays de vielle tradition syndicale. C’est ainsi qu’il convient de s’expliquer aussi le sentiment d’éternel insatisfait du béninois en matière politique.

Nous sommes,  par ailleurs, un peuple prompt à  nager entre deux eaux et aussi en eau trouble, si son intérêt le commande ; un peuple soucieux de préserver ses arrières, quand bien même il  devra prendre  quelques libertés et des raccourcis avec le présent. En politique, cela se traduit par  la ‘’transhumance’’, les défections, les retournements d’alliances contre nature, qui, des fois, laissent l’électeur  pantois, et les trahisons. Autant de travers qui  reposent sur le fait que la vie politique du pays n’est pas, animé à quelque exception près, par de vrais partis politiques, avec des idéaux et des crédos précis ;  leurs démarches ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une idéologie, et ils sont  vides d’orientation. Comment éviter alors, que la vie politique soit, dans ces conditions, un  simple ballet qui se joue sur le rythme des seuls intérêts personnels des hommes politiques, engendrant  bien des fois, désordre et insécurité dans la cité  

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Politiquement, nous sommes une société de crises, c’est-à-dire, en crises  successives et, discursivement, en état d’inquiétudes permanentes. Il n’est que de faire le point  de notre histoire politique depuis notre accession à la souveraineté nationale. Les successions de coups d’Etat, l’intermède d’une  gouvernance à trois têtes baptisée, pour je ne sais bien quelle raison, ‘’Conseil Présidentiel’’ et un régime révolutionnaire, privatif des libertés,  qui a duré dix sept bonnes années ; une histoire secouée par une agression extérieure et agitée par  des grèves à répétition, qui n’en finissent pas de perturber la vie sociétale; les frictions entre le Pouvoir et les  hommes d’affaires, les  scandales financiers, les colères du Chef de l’Etat, pour ne citer que ceux-là, qui corsent le tableau du stress et des inquiétudes d’une société en crise permanente.

 Nous nous devons de reconnaître toutes ces spécificités de notre société ; autrement, les autorités quelles qu’elles soient, auront du mal à gérer ce pays

Nécessité de l’adéquation de nos structures de gestion

L’on ne peut gérer notre pays en se contentant de transférer d’ailleurs, du ‘’couper-coller’’ sur notre civilisation et sur ses spécificités. Les sociétés avancent selon leur dynamique intrinsèque qui ne peut que leur être propre, autrement des disjonctions apparaissent nécessairement, et l’évolution n’est, ni authentique, ni harmonieuse. Au reste, nous utilisons  des valeurs politiques qui ne ressortent pas des spécificités de notre société ; nous les avons hérités, en l’état, des enseignements de la force occupante de jadis, par le biais de ses normes de Droit civil, de Droit Constitutionnel, de Droit Administratif et des Sciences politiques. Les normes qui nous conduisent  ne sont  pas inspirées de notre culture fondamentale : elles ne sont donc pas  nôtres. Aussi devrons-nous, pour le moins, chercher à déterminer, puis à mettre l’accent sur les structures susceptibles de nous rassembler, et devons-nous imprimer la marque de notre culture  fondamentale à tout ce que nous entreprenons  pour s’assurer les  meilleures approches, et trouver  les  solutions  idoines aux réalités auxquelles notre société est confrontée.  

Une société de crises sans  organe de gestion de crise

Nous sommes une société de crises et nous ne disposons d’aucune structure  susceptible ni de  prévenir les conflits par temps de paix, ni  de les gérer par temps de crise. Nous sommes sous tension continuelle et cette tension est, d’autant plus   stressante, que le citoyen a la pleine conscience  du défaut de dispositif légal pour y faire face, en cas d’explosion. C’est dans cette atmosphère de défaut de cadre de gestion de crises  que se déroulent nos grèves  affaiblissant le pouvoir d’Etat et ruinant l’économie. Un cadre permanent de concertation n’est pas une structure de  gestion de crise. La meilleure preuve en est que c’est en pleine négociation, que les parties ont commencé à se demander dans quel  cadre elles allaient discuter.  Le palliatif trouvé, à savoir une commission ad hoc, n’est pas convenable non plus à la situation : c’est un pis-aller Ces instances sont certainement utiles en temps de paix,  mais non pas en situation de crise.

C’est pourquoi nous proposons depuis près d’un an, déjà, la création d’une  Grande Médiation de la République pour faire face aux crises et éviter autant que faire se peut, le choc frontal, en tout temps, entre le Chef de l’Etat et les syndicats. Nous prévenions déjà, dans un article intitulé «  Gestion du pays par temps de crises » que l’actuel Médiateur de la République, n’avait de compétence qu’en  matière administrative ; nous avions estimé alors, qu’il était convenant de lui adjoindre la fonction politique ou de créer une médiation distincte pour la résolution des problèmes non administratifs et singulièrement des conflits sociaux qui prendra la dénomination de ‘’Grande Médiation de la République’’.

 Nous avons connu dans ce pays, des crises qui ont failli nous précipiter dans l’abîme parce qu’il n’y avait aucune structure tampon entre les antagonistes. Nous rappelons que, naguère, alors que  nos hommes d’affaires  étaient ouvertement en délicatesse avec le Chef de l’Etat, il a fallu faire appel à une  personnalité du monde des affaires, dépêchée depuis Dakar, pour venir prêter main forte à ses collègues béninois, et conduire la mission de bons offices qui devait intervenir auprès du Chef de l’Etat. La chose nous avait paru humiliante et nous  l’avions stigmatisé en son temps. Notre Médiateur de la République ne pouvait jouer un rôle en pareille occurrence, par défaut d’habilitation essentiellement.

Nous n’oublierons pas non plus de si tôt, et nous l’avions déjà écrit, la crise politique qui a failli  emporter l’unité nationale, avec à la clé, les vicissitudes de la LEPI et, en filigrane, l’élection présidentielle. « Les protagonistes étaient  livrés à eux-mêmes tout simplement, sans aucune force -tampon et nous avions la nette impression d’aller à la dérive.  Alors, dans la panique, tout le monde s’y était mis, à l’abracadabra et pêle-mêle. L’Eglise, bien que nous soyons un Etat laïc ; la communauté internationale, par l’entremise d’une une mission conjointe Nations-Unies-Union africaine-CEDEAO, bien que nous soyons un Etat souverain ; les anciens Chefs d’Etat Emile Derlin Zinsou et Nicéphore Dieudonné Soglo, avec une série de réunions de concertation politiques ; les Sages aussi,  et j’en omets certainement. Tout ce monde s’était porté  au chevet de l’Etat parce qu’aucune institution officielle  n’était prévue pour faire face à pareille situation ; véritable désordre diplomatique à l’interne, reflétant la panique réelle qui s’était emparée de la société entière. » Tout cela par défaut d’un organe de gestion de crises. 

Nous rappelons au souvenir du lecteur, que la Grande Médiation de la République  que nous proposons aura un caractère collégial.  Il sera  composé de membres  de droit et de membres désignés. Les membres de droit seront le  Grand Médiateur de la République, le  Ministre Chargé du Dialogue Social, les anciens Présidents de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Haut Commissaire à la Gouvernance Concertée et le Président du  Conseil Economique et Social. Les autres membres pourraient être : un représentant du Haut Conseil des Rois du Benin et deux représentants  des religieux ; tous proposés par le  Grand Médiateur, au Chef de l’Etat, et nommés par décret présidentiel.

Nous  estimons par ailleurs, que pour jouer efficacement son rôle, le Grand Médiateur de la République devra  être un homme de rassemblement, une personnalité médiane, sachant naviguer entre les institutions et les positions partisanes, pour parvenir à la conciliation. Il devra inspirer impartialité, respectabilité et confiance au peuple entier.  Peut-être pourrait-on concevoir  alors, qu’il soit élu par l’Assemblée Nationale  sur une liste de trois personnalités que proposera le Chef de l’Etat aux Députés, pour lui donner toute la mesure de son rôle, de son audience dans la nation et de sa nécessaire ascendance sur les personnes ou les associations avec lesquelles il aura à négocier.

 Il est heureux que le Médiateur de République, fasse partie des négociateurs de la crise qui  secoue le pays actuellement ; mais il convient de  reconnaitre, du point de vue strictement légal, que  sa participation aurait pu être contestée, ne s’agissant pas d’une simple affaire administrative, relevant de sa compétence. Mais l’Etat  et les partenaires sociaux, essayent de régler un problème autrement plus sérieux, en s’assurant le concours des personnes susceptibles de contribuer à sa résolution, et l’heure n’est point au juridisme, face à une crise sociale de cette ampleur.

L’avantage  résiduel de cette Grande Médiation de la République, qui  aura la tâche principale de gérer les crises, sera d’éviter  le choc frontal entre le Chef de l’Etat et les plaignants, en l’occurrence, les syndicalistes. C’est seulement au cas où elle ne parviendrait pas  à un accord avec les parties, que le Chef de l’Etat se devra d’intervenir, en dernier ressort. Tel que les choses se passent actuellement, le Chef  l’Etat est déjà dans la tourmente par le biais de son Ministre du Travail, chef de la délégation gouvernementale. Nous n’avons plus un dernier recours : la stratégie n’est pas bonne. Accessoirement, la Grande Médiation de la République pourrait servir d’interlocutrice aux Corps interdits de grève et de relais vis-à-vis du Gouvernement. 

Une société de crises sans  organe de  prévention des crises

          Le dialogue social n’est pas une séance d’explication de décisions prises. Sa permanence devra être assurée ; et pour ce faire, nous le plaçons à deux niveaux : le niveau gouvernemental et le niveau sociétal.

 Au plan gouvernemental

Par dialogue social permanent nous entendons, d’abord, la participation en amont de la société civile et des syndicats à toutes les grandes décisions et à toutes les grandes réformes initiées par le Gouvernement. Le rôle convient parfaitement à un Premier Ministre, Chef du Gouvernement,  plutôt qu’à un ministère technique. C’est d’ailleurs  l’ex Premier Ministre qui avait la charge du dialogue social et, apparemment,  il l’assumait à la satisfaction des syndicalistes, dans le cadre du comité permanent de concertation. La Conférence Nationale Souveraine aurait dû institutionnaliser la fonction de Premier Ministre; elle qui a imposé un Premier Ministre au Président Kérékou. Nous avons déjà développé ce thème dans une réflexion antérieure, portant :’’ le raté de la Conférence Nationale’’

Au plan sociétal

Nous suggérons la création d’un organe de Conseil  près la Présidence de la République.  Nous aurions dénommé cette structure, ‘’Conseil Présidentiel’’ si la désignation n’évoquait pas le régime de triste mémoire que nous avons connu, et qu’elle ne risquait pas de donner l’impression que son rôle sera de dicter une politique au Chef de l’Etat ou de le guider ; alors que ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

En effet, nous estimons qu’il faut autour de nos Chefs d’Etat, un organe de Conseil. Et pourquoi donc ? Il se peut qu’un Chef d’Etat accède à la Magistrature Suprême, sans jamais avoir assumé une fonction politique, d’aucune sorte ; sans avoir jamais été, ni député, ni ministre, ni maire, ni préfet ;  donc sans aucune expérience politique et, partant, sans aucune expérience de la gestion des conflits sociaux ni de la conduite des hommes. Par ailleurs, un Chef d’Etat est élu avec son tempérament et son caractère, et il  gère le pays avec son tempérament et son caractère. Quoi de plus naturel, encore que la fonction demande certains renoncements auxquels il convient de  veiller. Que le chef de l’Etat soit affable de nature, et nous risquons d’avoir un Etat faible ; qu’il soit vindicatif, et il ne sera certainement pas enclin  au compromis. Qu’il soit dur de caractère et nous pourrions avoir un état de dictature ; qu’il soit prolixe et les secrets d’Etat qui devraient être préservés, ne le seront pas. Autant de raisons qui militent en faveur de  cet organe de Conseil  dont le rôle principal sera d’apporter son expertise au Chef de l’Etat principalement  dans la conduite des hommes et dans la prévention des  conflits sociaux. 

Il s’agit d’un organe qui rassemblera les anciens chefs d’Etat n’assurant plus de fonction politique, les anciens Présidents de l’Assemblée Nationale, deux personnalités marquantes du pays, connues pour leur probité  et, un représentant de la chefferie. Le Président de l’instance sera nommé par le Chef de l’Etat.  Le Chef de l’Etat aura l’initiative de le  consulter, en cas de besoin, pour les grandes décisions, sur la manière d’aborder les problèmes et celle de conduire les hommes. Il ne s’imposera pas au Chef de l’Etat ; c’est ce dernier qui le convoquera quand il le jugera utile. Le Président de l’organe pourra toutefois suggérer une réunion   au Chef de l’Etat, au cas où il jugerait que la situation l’exige. L’instance sera dénommé ‘’La Haute Autorité Morale’’ 

Que l’on ne vienne surtout pas nous dire que le Chef de l’Etat est déjà entouré de Conseillers. La réplique sera que  ceux-ci sont des techniciens et, aussi en définitive, des obligés du Chef de l’Etat. Il peut arriver qu’ils se trompent, notamment en ce qui concerne les stratégies à mener ; il peut arriver aussi qu’ils refrènent leur jugement, pour une raison ou une autre ; et c’est pour pallier, de quelque manière, cette situation que nous avons proposé qu’ils prêtent serment  à leur prise de fonction, mais nous craignons que cela ne suffise point  à les  libérer entièrement. Au reste, leurs conseils ne sont, généralement, que  d’ordre technique. Nous avons donc  besoin de cette Haute Autorité Morale, qui, au demeurant, sied parfaitement à nos valeurs fondamentales et  s’insère aisément dans notre civilisation. Un chef d’Etat, surtout dans un régime comme le nôtre, sans un Premier Ministre, Chef du Gouvernement, et avec des Conseillers en qui il peut ne plus avoir confiance, est seul ; tout seul. Il a besoin d’une autorité morale à ses côtés. Nous suggérons alors, que la Haute Autorité Morale soit inscrite dans la Constitution, de même que la Grande Médiation de la République.  Ces deux instances répondent bien à nos valeurs et à la manière dont nous conduisons nos affaires.

Ambassadeur Candide Ahouansou

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