Non prise en compte des hépatites dans les programmes nationaux de santé : point de l’impasse thérapeutique

Avec une mortalité mondiale en 2013 selon l’OMS de 1 800 000 décès pour le sida, 1 400 000 pour la tuberculose, 950 000 pour les hépatites B et C, et 660 000 pour le paludisme, les hépatites sont devenues la troisième priorité de santé publique en Afrique au Sud du Sahara en général et au Bénin en particulier,  loin devant le paludisme.

Publicité

13% de la population (dont 8 % pour l’hépatite B et 5 % pour l’hépatite C), soit 1 300 000 de nos concitoyens sont frappés par ces maladies et sont actuellement injustement exclus du système national de santé. Les engagements pris devant la nation par le Ministre de la Santé, le Pr Dorothée Kindé – Gazard dans son message à la nation lors de la commémoration de la Journée Mondiale des Hépatites en 2012 et 2013 quant l’élaboration d’un Plan Stratégique National de lutte contre ces fléaux  tardent à se concrétiser. En l’absence de centres de dépistage et d’orientation thérapeutique, les malades d’hépatite s’égarent dans les centres de traitement de médecine alternative, et ne se réfèrent aux services spécialisés des Hôpitaux  qu’aux stades évolués de la maladie, beaucoup d’entre eux pour y mourir. La communication qui suit, présentée par le Professeur Nicolas KODJOH, Point Focal Bénin de l’Initiative Panafricaine de lutte contre les Hépatites (IPLH) à l’occasion des XVIèmes Journées de Gastroentérologie d’Afrique Francophone du 27 au 30 novembre 2013 à Libreville (Gabon), décrit les déboires de ces malades dans leur recherche de soins. 

La situation épidémiologique des hépatites est particulièrement préoccupante au Bénin. Prenant en compte les taux de prévalence annoncés ci – dessus, sur la base que, selon les données de la littérature, 30 % des hépatites chroniques B et 20 % des hépatites chroniques C évoluent vers la cirrhose, et que plus de   15 % des cirrhoses B et 20 % des cirrhoses C évoluent vers le cancer du foie, il apparait clairement que 340 000 Béninois (dont 240 000 pour l’hépatite B et 100 000 pour l’hépatite C), sont soumis au risque de cirrhose, et que parmi eux, 56 000 (dont 36 000 pour l’hépatite B et 20 000 pour l’hépatite C) sont soumis au risque de développer le cancer du foie. Ces deux complications sont la cause habituelle de décès chez les malades atteints d’hépatite dans notre pays. Le Bénin paie donc un lourd tribut aux virus des hépatites, appelés ‘’serial killers’’ (tueurs en série). Bien que les hépatites soient la troisième cause de morbidité et de mortalité dans ce pays, aucune stratégie nationale n’est mise en place pour la prévention de ces maladies ni la prise en charge des malades. Que deviennent alors les personnes contaminées en quête de soins ? 

Pour répondre à cette question, une étude prospective, transversale, descriptive et analytique, a été conduite de janvier à juin 2010 dans le Service d’Hépato – gastroentérologie du Centre National Hospitalier et Universitaire de Cotonou.  Les objectifs étaient de tracer les itinéraires thérapeutiques des patients en quête  de soins et d’évaluer le coût des étapes thérapeutiques.

Au plan des résultats : Cent deux patients étaient inclus, dont 83 [81,37%] pour l’hépatite B et 19 [18,63%] pour l’hépatite C. La sex – ratio était de 2,8 en faveur des hommes. Les soignants consultés en première intention étaient des médecins [73,5%], des tradithérapeutes [20,6%], et des infirmiers [5,9%]. A cette étape, 79,4% des patients avaient donc eu recours à la médecine conventionnelle contre 20,6% pour la médecine traditionnelle. 69 patients [67,6%] avaient fait appel à plusieurs soignants, et 21,6% en avaient consulté 4 à 7. Sur ces 69 patients, 57,97 % s’adressaient aux tradipraticiens ; d’autres [18,63%] s’orientaient dans d’autres formes de médecine alternative. Les traitements prétendus curatifs proposés n’étaient pas des antiviraux homologués pour le traitement des hépatites chroniques B et C. Le coût moyen de ces traitements illusoires était de 112.000 FCFA, alors que le salaire minimum n’est que de 31 600 FCFA au Bénin. Le recours aux gastroentérologues dans les centres hospitaliers spécialisés n’intervenait qu’en fin de parcours pour la majorité des patients [82,6%], à un stade tardif de la maladie.

Publicité

En conclusion : Cette étude met en évidence les difficultés des malades pour le suivi et le traitement de leur maladie. Les changements fréquents de soignants témoignent de la perte de confiance en des praticiens insuffisamment préparés à la prise en charge des hépatites. Le fait que 76,6% des consultants en deuxième intention et plus font appel  à des tradipraticiens et à d’autres formes de médecine alternative contre seulement 20,6% lors de la première consultation traduit la désaffection des malades pour la médecine conventionnelle, et corrobore l’idée faussement répandue et entretenue qu’il n’y a pas de traitement pour les hépatites en médecine conventionnelle. Ces observations mettent en évidence les défaillances du système national de santé face à la question des hépatites actuellement marginalisée dans les programmes nationaux de santé, et la nécessité de faire de la lutte contre ces endémies une priorité de santé publique pour la prise en charge globale de ces patients.  Il urge donc que le Ministère de la Santé intègre dans le Plan Triennal de Développement Sanitaire en cours d’élaboration, le Programme National de Lutte contre les hépatites.

Professeur Nicolas KODJOH

CNHU. Service des Maladies Digestives et du Foie.

Point Focal Bénin de l’Initiative Panafricaine de Lutte conte les Hépatites (IPLH).

Porte  – Parole des malades d’hépatites exclus des programmes du système national de santé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité