L’Abbé Quenum tel que je l’ai connu !

L’Abbé Alphonse Quenum  est venu au collège  Père Aupiais  à la rentrée scolaire 1972-1973 remplacer l’immense Père Directeur Vincent Adjanohoun, premier prêtre dahoméen à avoir dirigé le Collège Père Aupiais(1963à 1972) après une longue lignée de prêtres européens. 

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Le Père Vincent Adjanohoun , la cinquantaine à l’époque,  impressionnait par sa haute stature et sa voix rauque. L’Abbé Quenum, c’est ainsi que nous appelions  -nous autres presque tous  des teenagers-celui qui était pourtant déjà fraîchement un solide trentenaire à  la voix frêle  et quelque peu tremblotante. Taille légèrement au-dessus de la moyenne, les dents parfaitement blanches qu’on découvrait lorsqu’il riait très  souvent à gorge déployée ou souriait  sincèrement. La mine ne s’assombrissait que très rarement , pour manifester sa grande colère devant ce s’il considérait comme une injustice ou comme un mensonge. Et là,  la voix se faisait encore plus tremblante mais le ton ferme ne laissait guère de doute sur la force de ses convictions. L’appellation «  Père Directeur « ne convenait guère à ce jeune prêtre qui ne dédaignait guère se mettre en culotte pour jouer au football avec ses collègues et même avec les élèves des grandes classes.  Avec lui, le climat au collège largement inspiré de celui qui régnait dans les séminaires s’est totalement détendu avec l’arrivée de  ce jeune prêtre ouvert au monde et à la modernité. Les cours d’histoire qu’il nous dispensait avec la passion d’un pédagogue  chevronné étaient de véritables leçons de vie où on n’apprenait pas que Hitler et la grande Guerre,  l’ Urss de Staline ou les  grands problèmes du monde contemporain. Ces cours se prolongeaient par de longues discussions à deux  ou à plusieurs, sous la paillotte attenante à sa résidence d’alors où on parlait de tout et de rien et très librement. Une  anecdote ; pour clore ce chapitre des souvenirs  très anciens pour la jeune génération :C’est au cours de ses nombreuses discussions  à deux que je lui ai fait part un jour  des difficultés que j’avais à vivre avec les contraintes qui nous étaient faites d’aller à la messe tous les dimanches et aux prières matinales d’après lever et d’avant le réfectoire. Et chose curieuse pour l’époque , j’ai  pu, élève en classe terminale, obtenir de lui ,prêtre et directeur d’un collège catholique , la dispense de l’office du dimanche , mais une dispense assortie de l’ordre formel de ne plus rester sous les manguiers aux feuilles touffues de la cour (pour ne pas donner le mauvais exemple aux plus jeunes )mais de rester à étudier en salle de classe ou au dortoir, comme les élèves musulmans et protestants.

 Les années 72-73  constituaient un grand tournant dans la vie politique du Dahomey d’alors :Ce fut l’arrivée au pouvoir d’un certain Mathieu Kérékou  qui allait bouleverser de fond en comble la société dahoméenne. La proclamation du 26 octobre, le discours- programme du 30 novembre 1972, la proclamation du marxisme –léninisme comme notre guide philosophique, nous en avions été tous témoins ainsi que cette grande période d’effervescence  socio politique qui s’en est suivie   ensemble  avec  Monsieur l’Abbé avec l’enthousiasme de notre jeunesse. Mais lui, en éveilleur de conscience, nous mettait en garde contre les faux prophètes qui prédisaient la société » où il fera bon vivre pour chacun et pour tous ‘ »Quand  au tournant de l’année 1975, une fois entrés à l’université du Dahomey(UD ) et livrés à nous-mêmes après 07 ans d’internat, nous avions appris qu’il avait été jeté en prison sans raison ou presque, peu de nos condisciples d’alors avaient été surpris. Le régime pseudo révolutionnaire de l’époque ne pouvait  en effet pas s’accommoder trop longtemps d’un esprit aussi libre et qui tenait à le faire savoir.

Quarante  ans  plus tard, l’Abbé Quenum est resté le même. Et c’est dans l’une de ses dernières publications qu’il exprime le mieux  ce qui a fait la trame  et le but ultime de sa vie : la recherche passionnée de la vérité  et de la justice. Une vérité qu’il se sent investi de proclamer urbi et orbi, envers et contre tout et tous« D’aucuns voudraient que je me taise., écrit-il dans « de la tribalité normale au régionalisme dangereux ‘ ». Ils sont les seuls à vraiment savoir pourquoi. Dans un pays où chacun doit apporter son modeste grain d’ensemencement,  le prêtre que je suis sentirait comme une trahison de devoir se replier à la sacristie comme dans un repaire protecteur. Convaincu que mon tabernacle est dans mon cœur, et que la vérité que l’on reçoit comme don de Dieu rend libre, j’éprouve comme un besoin irrésistible, de partager avec tous mes frères l’écho de mes convictions fortes autant que la fragilité de mes intuitions pour un vivre-ensemble moins aléatoire dans la    « maison commune » du Bénin.  Ecce Homo ! Et voilà l’Abbé Quenum tel qu’en lui-même. Un homme  fondamentalement habité par la soif  de la vérité, l’irrésistible besoin de dire tout haut  ce qu’il pense et que d’aucuns disent tout bas, quoi que cela puisse lui coûter. Ces dernières années, même reclus dans sa résidence officielle du Collège Père Aupiais , il continuait de réfléchir à l’avenir du pays comme le prouvent ces derniers textes truffés de référence aux faits d’actualité socio politique et son désir que je reçus comme un ordre de se faire livrer, tous les matins ,chaque exemplaire de La Nouvelle Tribune. Sa voix s’est définitivement tue ce dimanche 16 juin2014 mais son corps  et son esprit reposeront éternellement en paix, sûrs d’avoir semé en chacun de ses disciples les graines de l’espérance d’un monde meilleur, parce que juste.

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