Après relecture, deux grandes leçons sont à retenir de l’interview accordée par Patrice Talon à nos confrères Malick Gomina et Rachidi Odjo de Canal 3 et Golfe Tv. Homme de réseaux et d’influence, le magnat du coton fait désormais sa mue politique et ouvre le débat de fond sur les grandes thématiques qui devront animer la campagne présidentielle.
Leçon 1 : De l’ombre à la lumière.
C’est la première leçon à tirer de l’interview de Patrice Talon de ce 17 août 2015. Le magnat du coton fera désormais la politique à visage découvert. En effet, Patrice Talon n’est pas étranger à la classe politique béninoise. Au contraire, homme d’influence et de réseaux, il maitrise l’univers politique du pays, ses acteurs et ses pratiques. Mais jusque-là, il faisait la politique par procuration. Son implication dans les manœuvres politiques a pris de l’ampleur avec son rôle dans l’avènement de Boni Yayi en 2006 et sa réélection en 2011. «Je ne vais pas le cacher, c’est réel, j’ai été le sponsor de Boni Yayi comme entre autres, je l’ai conseillé et introduit là où j’ai pu pour sa conquête du pouvoir en 2006 puis en 2011 », avouait-il à Rfi en octobre 2012. Un des principaux bailleurs de fonds de la classe politique béninoise, Talon était indirectement au front lors des élections législatives du 26 avril 2015. Brouillé avec son ancien ami Boni Yayi, cette fois il a mis son savoir-faire politique, son carnet d’adresses et ses moyens financiers au service de l’opposition. C’est un secret de polichinelle. L’homme d’affaires ne le cache d’ailleurs pas. Il justifie son activisme par son attachement à la démocratie et la promotion de la compétition politique. « Contribuer au débat politique et exercer une activité économique ne sont pas antinomiques », argumente-t-il dans son interview de ce 17 août. « L’opérateur économique que je suis ne peut donc s’exclure du débat politique, poursuit l’ennemi public n°1 du président Boni Yayi. De plus, je suis profondément attaché à la démocratie et j’ai grand plaisir à prendre part à sa consolidation. Le parcours d’opérateur économique qui est le mien n’a pu se faire que dans ce contexte. Je ne peux donc me garder de promouvoir ce vecteur qui m’a permis de me réaliser moi-même.» Cette précision faite, on sent chez l’homme une envie de passer de l’ombre à la lumière. Une résolution à quitter le statut de bailleur de fonds de la classe politique à celui de personnalité politique. Et c’est sans doute ce pourquoi, quand nos confrères lui demandent s’il sera candidat à la prochaine élection présidentielle, sa réponse voile à peine son ambition et met surtout en avant sa position de rassembleur des acteurs politiques béninois. « Je n’ai jamais été autant actif que ces dernières semaines dans mes échanges avec les leaders politiques de mon pays pour apporter une réponse concertée et adéquate à cette question », révèle-t-il. Après avoir affirmé plus haut que, «préoccupante» la situation actuelle du Bénin « interpelle ». Chaque Béninois devrait « au sacrifice de sa vocation et de son confort apporter sa contribution à la reconstruction de la cité ». Mieux, Il est temps de sortir le pays de « la misère et de la honte ». Et lui, Patrice Talon, prendra « d’une manière ou d’une autre ma part de responsabilité pour contribuer à relever ce noble défi».
Leçon 2: Débat de fond sur la présidentielle de 2016
Patrice Talon n’a pas déclaré explicitement sa candidature à la présidentielle de 2016. Mais il a su sortir des idées qui donneront une autre tournure au débat sur le scrutin de février/mars prochain. Avec ses propositions de réformes politiques à opérer pour améliorer le système partisan et la gouvernance publique, Patrice Talon ouvre le débat sur les questions d’intérêt national de la prochaine campagne électorale. Il devient l’un des rare, «présidentiable» à dévoiler aussi clairement et de façon concrète son projet politique. Après bien évidemment des personnalités comme Célestine Zanou, réputée pour ses analyses et propositions pertinences sur la réforme du système partisan et la lutte contre la corruption. C’est certainement un mérite pour Patrice Talon d’avoir posé les jalons de l’élévation du niveau du débat présidentiel, dès sa première sortie médiatique dans la peau du présidentiable. Pouvait-il en être autrement ? Quand on sait que la majorité des formations politiques n’ont pas encore vidé la question du choix de leur candidat unique au prochain scrutin.
Calcul et anticipation
Patrice Talon et son staff de communication prennent une longueur d’avance sur l’opinion publique béninoise. En envoyant tout le monde sur le terrain des grandes thématiques de la présidentielle, Talon trouve la bonne stratégie pour éviter le débat sur l’opportunité de sa candidature. Pourtant, vu le contexte actuel, les relations de l’homme avec l’Etat béninois, son influence sur la classe politique, le débat sur l’opportunité de son éventuelle candidature ne serait pas inutile. S’il est saint, ce débat devrait contribuer à l’amélioration de la culture politico-démocratique du Bénin. Aura-t-on encore le temps de le mener ? En tout cas, les stratèges en communication politique de Patrice Talon viennent de couper l’herbe sous les pieds de l’opinion béninoise.
On ne l’avait pas vu revenir. Mais il est déjà là.