Du changement à la rupture: une déconstruction du langage politique au Bénin

Sur les cendres du changement, la rupture ou le nouveau départ bat son plein dans l’arène politique du Bénin. En Sociologie politique, nous pouvons soutenir que ‘’changement’’, ‘’rupture’’ et ‘’nouveau départ’’ sont, certes des concepts opérationnels sur le terrain politique mais ils relèvent d’une même synonymie.

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En effet, le changement et la rupture supposent le « passage d’un état initial vers un état différent » (Cavalla C., 2002). Jacqueline Picoche (1992) définit changer comme « devenir autre » ou « faire devenir autre ». De même, opérer une rupture c’est changer l’état d’un fait. En politiques publiques, le changement veut dire ‘’« réforme », « rupture », « renouveau », « refondation », « adaptation », « mutation », « transformation », « rénovation », « innovation », « nouveauté » (Hassenteufel P., 2011). Or, dans la représentation collective des Béninois, un changement a été opéré en mars 2006 et les électeurs ont également opté en mars 2016 pour une rupture désignée sous le vocable de « nouveau départ ».

Mais un évènement ou l’annonce d’un évènement n’est pas un changement ni une rupture encore moins un signe de nouveau départ. Il faut un élément propulseur et ce, dans un temps court et bien déterminé. Autrement dit, une élection, une grève, la cinquantenaire des indépendances africaines, le renouvellement de la classe politique sont autant d’évènements qui peuvent induire un changement mais qui n’en produisent pas forcément. « Chacun de ces événements est un point d’orgue dans la vie d’une communauté, d’une entreprise, d’une organisation ou d’une institution. Mais cet événement peut n’avoir aucun effet sur la vie de celles-ci (remplacement d’un personnel politique par un autre, statu quo des positions des parties en conflit, etc.) et ne relève donc pas du changement social : un nouvel équilibre, après les perturbations, remplace l’ancien équilibre sans que soient modifiées les caractéristiques du système global » (Durand J.P., Weil R., 1994). Dès lors, en dépit de l’usage proactif des slogans de changement, de rupture ou de nouveau départ, les élections présidentielles remportées par Boni Yayi (Bénin) en 2006, Nicolas Sarkozy (France) en 2007, François Hollande (France) en 2012, Patrice Talon (Bénin) en 2016, etc. ne sont pas en elles-mêmes un changement ni une rupture. Il s’agit tout simplement d’évènements même si la communication politique de ces acteurs a essentiellement tourné autour d’une logique de changement. Si changement ou rupture renvoie en langue nationale Fon à des items tels que ‘’édio’’, ‘’éhuzu’’, ‘’égbonvo’’, on comprend que d’une certaine manière la victoire électorale d’un chantre du changement soit assimilée à un changement. On ne saurait donc parler de gouvernement de changement ou encore de gouvernement de rupture !

Pour être plus concret, les indépendances de 1960, la révolution de 1972 et le renouveau démocratique de 1990 au Bénin sont de formes de changement ou de rupture en politique. On pourrait aussi dire que l’unicité de l’Allemagne ou encore l’entrée dans la citoyenneté européenne des pays de l’Europe de l’est avec toutes les innovations sociales, politiques et institutionnelles est également une marque de changement ou d’un nouveau départ. Il s’agit, en fait, de phénomène collectif agissant en profondeur sur la structure et le fonctionnement de l’organisation sociale et susceptible d’affecter le cours de l’histoire. En ce sens, à partir de l’idée de changement, le langage politique se métamorphose en vue d’une nouvelle voire d’une meilleure construction étatique, quête dont rêvent au quotidien les peuples du monde.

De fait, en décloisonnant les concepts de changement, de rupture et de nouveau départ usités dans le champ politique béninois, on est en droit de soutenir que des acteurs politiques incarnent une volonté de reconstruction nationale et les citoyens créent les conditions possibles d’une confiance électorale à l’égard de tel ou tel candidat. La preuve, le prétexte pour « changer » ou « rompre » avec l’ancien ordre politique renvoie indubitablement à la précarité du bien-être des communautés et au contexte politique de dé-légitimation des dirigeants politiques. A cet effet, l’élection de Boni Yayi en 2006 artisan du changement s’apparente aisément à celle de Patrice Talon, porte-flambeau de la rupture en 2016. Le changement, la rupture et le nouveau départ sont donc tout simplement des rhétoriques politiques en ce sens que « le travail politique se doit d’être rassurant, y compris au second degré en attisant des frayeurs artificielles pour mieux affirmer une capacité de les maîtriser par l’exercice du pouvoir. Il se doit aussi d’entretenir l’esprit d’un avenir meilleur, soit par des promesses que l’on présente comme soigneusement réalistes, soit, au contraire, par des perspectives ambitieuses qui ne négligent pas, le cas échéant, de flatter le désir d’utopie » (Braud P., 2011). En définitive, « les mots peuvent réussir là où les politiques échouent » (Edelman M., 1977).

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Dans le fond, au-delà de la gabegie, la gouvernance de Boni Yayi a révélé un hyper-présidentialisme (gninwè en fon) et une forme de théâtralisation du pouvoir politique, ce qui a induit une crise de confiance politique. Le tékré (changement en langue Mooré du Burkina Faso) prouve qu’un acteur politique peut annoncer un ‘’changement’’ et de sa gestion de l’Etat, on pourrait obtenir une mauvaise gouvernance économique, une action publique incrémentale ou encore une régression démocratique. Ainsi donc, à supposer qu’il y ait eu un changement en 2006, il s’agit, selon nous, d’une lueur d’espoir. De ce fait, le citoyen béninois aspire désormais à une légitimité de réflexivité (légitimité de compétence) sans populisme et sans un discours politique flatteur ou séduisant. Patrice Talon, l’acteur rendu célèbre par son adversaire politique a tenté de récupérer cette manche au travers de son projet de société réformiste. Toutefois, à la recherche d’une présidence normale, il est certain que « trop de communication ou peu de communication tue la communication ». Dans cette perspective, pour éviter les décisions absurdes, les décisions-poubelles ou incrémentales connues sous d’autres régimes politiques dans un passé présent, le projet de société de Patrice Talon qui exprime sa vision ou encore sa manière de voir l’Etat au concret doit être débattu dans l’espace public pour que les réformes politiques et les politiques sectorielles puissent tirer leurs sources et ressources nécessaires des réalités sociologiques des communautés béninoises

Hygin KAKAI
Professeur Agrégé de Science politique
Chercheur au CESPo (FADESP), Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

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