Les nominations sous le régime de la Rupture et du Nouveau départ portent les germes du régionalisme. C’est en tout cas ce que pense l’ancien ministre de la Défense nationale du régime du Président Boni Yayi, Théophile Yarou qui a adressé une correspondance à cet effet aux Secrétaires généraux des centrales et confédérations syndicales et aux présidents de l’Ong Alcrer et du Fonac. Lire ci-dessous l’intégralité de la correspondance dont votre journal a pu se procurer copie.
A Messieurs Laurent METOGNON, SG/FESYNTRA-FINANCES, Dieudonné LOKOSSOU, SG de la CSA-Bénin, Pascal TODJINOU, SG de la CGTB, Noël CHADARE, SG de la COSI-Bénin, Paul Issè IKO, SG de la CSTB, Martin ASSOGBA, Président de l’ONG-ALCRER, Jean Baptiste ELIAS, Président du FONAC
Objet: Appel à votre conscience citoyenne
Mes chers Éminences, en vos titres et grades respectifs. Un adage populaire de chez nous dit « … même le lézard, lorsqu’il est poussé à bout, peut mordre …. ». C’est comme cela qu’il faut comprendre le présent cri de cœur. Il n’est pas de ma nature de me plaindre ni de me morfondre dans les replis identitaires. Je me sens d’ailleurs très mal dans les discours régionalistes, vu ma conviction sur le panafricanisme à une époque où le monde se globalise. Parler donc de soi-même ou des gens de ma région est pour moi un exercice difficile et embarrassant.
Vous aviez en son temps, à juste titre, dénoncé la politisation à outrance de l’administration, le régionalisme, le favoritisme, l’injustice, … dans la gestion des affaires publiques. Bref, toutes choses sur lesquelles je m’accordais parfaitement avec vous pour le simple fait que je suis moi-même un fonctionnaire, mais surtout parce qu’il s’agit des questions de justice et d’équité. Mieux, plus que quiconque, je suis convaincu de ce que l’administration est le socle du développement, la cheville ouvrière sur laquelle doivent s’appuyer tous les programmes de société. De ce point de vue, elle doit être neutre, professionnelle et républicaine. En moins de 4 mois, je puis vous affirmer ma totale déception et mon inquiétude quant à l’avenir de notre pays. Il m’a été malheureusement donné de constater avec la plus grande tristesse que le comportement de certains d’entre vous face à la préservation et la défense de ces valeurs universelles, n’est sous-tendu d’aucune objectivité. Il m’est apparu très clairement que les véritables intentions qui ont toujours caractérisé l’action syndicale et civile dans ce domaine précis ont pour nom le régionalisme, le népotisme, le clientélisme, le tout dans une hypocrisie généralisée. Ceci m’amène à conclure comme Emmanuel MOUNIER que « le Bénin est le quartier béni de l’Afrique. Mais ce spiritualisme fait de méchanceté et de mesquinerie est de nature à retarder le développement du pays ». Je constate avec regret que les positions autrefois combattues sont aujourd’hui érigés en règle de bonne gouvernance. Cela pose un véritable problème de conscience, d’éthique et de morale. Mon intention n’est pas de donner des leçons de conscience ou de morale à qui que ce soit, mais c’est la persistance dans les déviances, la reprise à une échelle exponentielle avec intention d’humilier autrui des pratiques décriées qui me pose problème. Sinon, comment peut-on expliquer tout ce qui se passe aujourd’hui au sein de l’administration de mon pays sous le regard bienveillant de ceux qui sont censés défendre l’intérêt général, de ceux-là qui ont chanté partout être les défenseurs des plus faibles, de ceux-là qui disent avoir comme vocation la lutte contre le régionalisme, l’ethnocentrisme, la corruption, bref toutes les valeurs républicaines qui fondent notre nation. Une explication peut-être! « La compétence est régionale ». Oui, la compétence s’est régionalisée au Bénin parce que l’accès à l’éducation, et, surtout l’accès à la formation de qualité s’est régionalisé. C’est ce qu’on a tôt fait de faire passer dans la conscience collective dans notre pays. On nous a même dit que les revendications liées aux « quota» sont sous-tendues par une carence du « gêne de l’intelligence» chez les individus venant de la partie septentrionale du pays. Son invocation est perçue comme le régionalisme comme si le nord compte plus de régions. Cette revendication, même si personnellement ne me faisait ni chaud ni froid, ne manquait pourtant pas de pertinence lorsqu’elle est analysée dans un élan de fraternité et de solidarité. Il s’applique dans beaucoup de pays y compris la France sous forme de filet social (instrument de solidarité nationale dans la mesure où elle n’est pas systématique) pour favoriser l’accès des couches défavorisées à des formations de qualité d’une part et tirer d’autres de la pauvreté d’autre part.
Au Bénin, malgré les efforts fournis ces dernières décennies, l’accès à l’éducation, à la santé, et à autres services publics de base, est inéquitablement régionalisé. Malheureusement, il n’y a jusqu’ici aucune organisation syndicale ou de la société civile, encore moins des débats objectifs sur le sujet afin d’exiger des pouvoirs publics l’accès équitable à ces droits qui sont pourtant prescrits par la constitution du 11 décembre 1990. Avec la création des universités dans ces régions, on constate bien que l’écart s’est considérablement réduit ou inversé. Par ailleurs, on oublie trop souvent l’avance prise par la partie méridionale sur le septentrion par rapport à la colonisation et par ricochet, à l’instruction. On oublie également de dire que jusqu’à la veille des indépendances la quasi-totalité de l’administration publique était occupée par les compatriotes d’une partie du pays sans avoir passé de concours. Et, comme la solidarité est un vain mot dans la construction de la nation Bénin, toute initiative tendant à tirer vers le haut ceux qui sont en retard est traitée de régionalisme surtout lorsqu’elle provient des autorités originaires de ces régions. Conséquence, personne ne fait confiance en personne et le sentiment d’appartenance à une même nation a cédé place à un climat de méfiance entre les fils et filles d’une même nation. Aujourd’hui, avec la création des universités de Parakou, de Natitingou, de Kétou et Savè, (même si l’espoir n’aura été que de courte durée), nos enfants n’ont plus rien à foutre du « quota ». Ils ne seront plus les seuls à payer le prix de l’éloignement, du dépaysement et des abandons. La promotion des cadres selon la compétence ne fait peur à personne sinon qu’à leurs initiateurs. La preuve est qu’ils préfèrent procéder à des nominations « clando » au lieu de procéder par appel à candidature. Et, on assiste même à des annulations de nominations non pas pour raison d’incompétence mais plutôt pour non appartenance à la coalition de la rupture. Tout ceci, devant et sous barbe de vous qui êtes les gardiens du temple. Du moins, pour ceux d’entre vous qui le restez encore.
– Où êtes-vous passés? Vous qui faisiez le point du nombre de cadres du Nord nommés à des postes stratégiques?
– Dites au peuple le nombre de cadres du Nord nommés depuis l’avènement de la rupture. Et, à quel poste stratégique?
– Dites au peuple que sur 21 ministres, seulement 4 sont du Nord même si vous pouvez le justifier par le retard hérité de la colonisation et par leurs QI inférieurs à ceux de leurs frères du sud.
– Dites au peuple que malgré leur faible niveau d’instruction que l’Atacora seul pouvait fournir les 21 ministres à diplômes et compétences équivalents.
Mais face à la vitesse avec laquelle la situation se dégrade de jour en jour, je n’ai pas pu m’empêcher de prendre mon stylo pour vous écrire et surtout appeler votre conscience citoyenne sur ce que je peux qualifier d’épuration ethnique et régionaliste. C’est également pour prendre à témoin l’opinion publique nationale et internationale sur la gravité des actes de violation des droits de l’homme qui s’opère aujourd’hui de manière sourdine et clandestine au sein de l’administration publique béninoise. Une véritable campagne de règlement de compte expéditif soigneusement préméditée et orchestrée avec finesse et cynisme par une partie du pays sur une autre sous le fallacieux prétexte de promotion de la compétence. Des faits qui relèvent d’une autre époque.
Mes chers défenseurs des valeurs républicaines, de justice, d’équité, de liberté et de paix, notre pays malgré les déséquilibres persistants en terme d’accès aux services sociaux de base, fournis des cadres relativement répartis sur toute l’étendue du territoire national en témoignent les résultats des derniers examens du CEPE, du BEPC et du BAC. Ces résultats que vous avez qualifié vous-même de fiables reflétant la réalité du niveau de nos enfants, démentent à merveille que ceux du septentrion ne sont pas les plus cancres. Cessez donc de faire croire au peuple que la compétence à un rapport avec la géographie et le climat. J’ose croire que le peuple béninois et les travailleurs en particulier peuvent continuer à vous faire confiance quant à votre engagement à défendre l’intérêt général sans distinction de sexe, de religion, d’ethnie, ni de région. J’ose croire qu’il vous reste encore l’esprit de justice, d’équité, de liberté, de solidarité et de fraternité, valeurs qui fondent la nation. Que la victoire de la rupture et du nouveau départ n’est pas la victoire d’une région sur une autre, d’une ethnie ou d’un groupe ethnique sur une autre ou un groupe. Mais, que c’est la victoire du peuple tout entier; J’ose croire enfin, qu’il vous reste à l’esprit que votre légitimité tient à votre statut de syndicaliste ou de représentants de la société civile et non de votre appartenance à la coalition de la rupture.
Vive la justice
Vive la fraternité entre toutes les filles et tous fils du pays
Vive la solidarité nationale, Pour un Bénin uni et prospère.
*Théophile YAROU Administrateur des finances, option développement et gestion des projets Ancien ministre d’Etat en charge de la défense nationale*
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