Lois d’application pour la constitution béninoise du 11 décembre 1990: Le grand vide

27 ans après son entrée en vigueur, la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 reste sans certains textes d’application : Par référendum Constituant du 2 décembre 1990, le peuple béninois a adopté la loi N°90-32 qui a été promulguée le 11 décembre 1990. Cette loi qui a su nous conduire depuis environ 27 ans, a indiqué dans certaines de ses dispositions des lois d’application de la Constitution en dehors des lois organiques.  Mais force est de constater que les différentes législatures qui se sont succédé (jusqu’à la 7ème législature en cours) n’ont pas cru devoir mettre en place les nombreuses lois pourtant prévues pour l’application effective de la loi fondamentale.

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Ainsi, alors que les gouvernants ont déjà tenté plus de deux fois de réviser cette loi, on se rend compte avec tristesse et étonnement que certaines lois essentielles n’ont pas été adoptées par nos députés. Cette situation devient préoccupante puisque l’on ne peut pas complètement maitriser et apprécier la qualité d’un instrument si l’on ne prend pas la peine de lui incorporer les accessoires qui lui sont prévus.

Quelques Exemples de lois d’application inexistantes

Sans être exhaustif, on peut citer les articles 14, 19 al 1, 29,37, 63, 65, 98 point 13, 99 al 3 de la Constitution.

En effet, l’article 14 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose que « Les institutions et les communautés religieuses peuvent également concourir à l’éducation de la jeunesse. Les écoles privées, laïques ou confessionnelles, peuvent être ouvertes avec l’autorisation et le contrôle de l’Etat. Les écoles privées peuvent bénéficier des subventions de l’Etat dans les conditions déterminées par la loi. ».

En se basant sur le rôle important que jouent les écoles privées, laïques ou confessionnelles dans le système éducatif de notre pays, pourquoi après 27 ans de pratique de notre Constitution, cette loi pourtant prévue par la Constitution n’est toujours pas adoptée ?

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L’article 19 alinéa 1er de la Constitution  du 11 décembre 1990 exige la punition de « Tout individu, tout agent de l’Etat qui se rendrait coupable d’acte de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction… ». Cette  loi n’est toujours pas adoptée malgré l’effort et les condamnations quasi régulières de la Cour Constitutionnelle contre les agents de l’Etat qui se rendent coupables d’actes de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces derniers sont dans une impunité flagrante car le Constituant a prévu leur sanction à travers la prise d’une loi spécifique en réponse  à leurs comportements.

De même, la Constitution en vigueur a également prévu en son article 29, la sanction de ceux qui auraient commis le crime du transit, de l’importation du stockage, de l’enfouissement, du déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou polluants étrangers, et même ceux qui osent signer tout accord y relatif.

Doit–on attendre la signature d’un pareil accord avant de constater que l’absence de cette loi entrainera une impunité contre son auteur ? Les conséquences de ce déversement de déchets sont bien palpables dans un pays proche, qui jusqu’à ce jour n’a pas fini de régler les conséquences liées à cette forfaiture.

L’article 37 dispose que «  Les biens publics sont sacrés et inviolables. Tout citoyen béninois doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation ou d’enrichissement illicite est réprimé dans les conditions prévues par la loi ». Même si à ce niveau, l’Assemblée nationale a pu voter la loi n° 2011-20 du 12 Octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Béni, 5 ans après le dépôt du projet au parlement, cette loi ne prend pas  entièrement en compte les exigences du constituant de 1990, puisqu’elle n’aborde pas la question du sabotage et du vandalisme des biens publics. A cela, il faut ajouter l’absence de la loi prévue à l’article 52 qui fixe les conditions d’acquisition des biens du domaine de l’Etat par le Président de la République et les membres du Gouvernement.

Le plus grave et inquiétant pour nous est la loi prévue par la Constitution en son article 65 qui n’est toujours pas prise plus de 27 ans de démocratie. Si nous savons que notre processus démocratique connaît des moments difficiles caractérisés par des tensions, nous devons nous hâter de faire voter cette loi. Malheureusement, cette loi protectrice de notre processus démocratique n’est toujours pas adoptée, ce qui rend le processus démocratique en cours depuis 1990 très vulnérable. En effet, selon l’article 65 de notre Constitution « Toute tentative de renversement du régime constitutionnel par les personnels des Forces armées ou de Sécurité publique, sera considérée comme une forfaiture et un crime contre la Nation et l’Etat, et sera sanctionnée conformément à la loi ». Le fait d’affirmer que cette façon de faire est une forfaiture et un crime contre la Nation et l’Etat, ne règle en rien le problème. Il faut bien donner les moyens juridiques aux juges de pouvoir sanctionner les auteurs. Aucune peine spécifique à cette infraction n’est prise depuis l’adoption et la promulgation de notre loi fondamentale. En clair, tout auteur du renversement du régime constitutionnel en cours le risque de jouir d’une parfaite et réelle impunité. Le code pénal en vigueur qui date de la période de l’indépendance n’a pu apporter une réponse à cette inquiétude puisqu’il n’indique que des sanctions telles que la « déportation » pour ceux qui tenteront de renverser un gouvernement.

Doit-on continuer après 6 législatures à prendre des risques aussi graves pour notre pays après plus de 27 ans de notre pratique démocratique ?

De plus, à ce jour, notre pays ne dispose pas d’une loi portant organisation de l’Administration (article 98 point 13), ni d’une loi de programme qui fixe les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat (article 99 al 3). Chaque Président de la République élu annonce un programme qui ne lie pas son remplaçant et qui n’en tient aucunement compte. Ainsi, nous vivons dans un pays dans lequel chaque président élu vient faire ce que bon lui semble. Notre pays a besoin des lois «programme» qui fixent les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat. C’est seulement à la lumière de ces lois « programme » que nous pourront faire l’évaluation des actions économique et sociale de nos élus et le chemin parcouru sur le chemin du développement.

En abordant la question des lois d’application dont certaines n’ont pas été adoptées depuis plus de 27 ans, il est à faire remarquer que notre Assemblée Nationale n’est toujours pas réactive face à certaines situations qui mettent le pays en difficulté.

Le grand danger : des lois obsolètes non abrogées ou non actualisées :

  1. L’ordonnance qui réprime les dépenses excessives

En vigueur depuis le 1er juillet 1967, l’ordonnance N° 11 PR/M.J.L. publiée au Journal Officiel du 15 Mai 1967 à la page 343, dispose en ses articles 2, 3  et 4 que «Tout rassemblement, à l’occasion d’événements autres que les mariages et les décès, doit prendre fin au plus tard à vingt et une heures lorsque plus de dix personnes adultes ne vivant pas habituellement avec l’organisateur sont appelées à y participer.

Le montant total des dépenses en denrées, boissons et services de toute nature, effectuées tant par l’organisateur que par les participants, ne peut être supérieur à dix mille francs».

«  Tout rassemblement à l’occasion d’un mariage doit, dans tous les cas, prendre fin au plus tard à vingt trois heures.

Le montant total des dépenses en denrées, boissons et services de toute nature, effectuées tant par l’organisateur que par les participants, ne peut être supérieur à vingt mille francs ».

« Les décès et inhumations ne peuvent donner lieu à aucun rassemblement autres que ceux prescrits par les rites religieux ou tendant à manifester l’affliction, causée par la disparition du défunt.

Tout rassemblement ayant pour effet des réjouissances à cette occasion est interdit. La consommation de boissons alcoolisées au cours des rassemblements autorisés ou non autorisés est strictement interdite.

Les personnes dont la présence n’est pas indispensable aux proches parents dudéfunt ne peuvent séjourner plus de vingt quatre heures consécutives après l’enterrement dans la maison mortuaire ou dans ses dépendances ».

Rien qu’à lire cette ordonnance, on est en droit de se demander quel rôle joue le législateur béninois en laissant en vigueur dans l’ordonnancement juridique béninois cette ordonnance, dont l’application effective risque de faire de tous les Béninois des prisonniers. En effet, selon les articles 8 et 9 de cette ordonnance : « Sera puni d’une amende de vingt mille francs à deux cent mille francs, et d’un emprisonnement d’un mois à trois mois :

1° Quiconque aura, dans les cas prévus aux articles 2 et 3, procédé ou sciemment contribué à des dépenses dont le montant excède le maximum légal c’est-à-dire plus de dix mille FCFA pour les événements autres que les mariages et les décès et plus de vingt mille FCFA pour le mariage ;

2º Quiconque aura, dans les cas prévus à l’article 4, organisé une manifestation interdite ou servi des boissons alcoolisées au cours d’un rassemblement autorisé ou non autorisé ;

3º Quiconque aura séjourné dans la maison mortuaire ou ses dépendances, en infraction à l’article 4, alinéa 3 ou aura autorisé ou facilité ledit séjour ;

4° Quiconque sera trouvé en état d’ivresse manifeste sur les lieux d’une cérémonie familiale ;

La juridiction de jugement pourra ordonner que la décision devenue définitive, soit portée à la connaissance du public par tous les moyens appropriés ».

La nécessité de réprimer les cérémonies ruineuses est encore d’actualité, c’est pourquoi nos législateurs doivent éviter aux Béninois d’être des « délinquants juridiques» en actualisant cette ordonnance où en l’abrogeant purement et simplement au regard des réalités actuelles.

  1. Le cas spécifique de l’adultère

Par décision DCC 09-081 du 30 juillet 2009, la Cour Constitutionnelle du Bénin a dit et jugé que les articles 336 à 339 du code pénal en vigueur au Bénin, relatifs à l’incrimination de l’adultère sont contraires à la constitution. Par cette décision, il n’est donc plus possible à l’étape actuelle de notre droit positif de punir pénalement l’adultère.

Selon le code pénal en vigueur, notamment en ses articles 336 à 339, « l’adultère de la femme ne pourra être dénoncé que par le mari ; cette faculté même cessera s’il est dans le cas prévu par l’article 339. La femme convaincue d’adultère et, en cas de mariage célébré selon la coutume locale… aura abandonné le domicile conjugal, subira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus. Le mari restera maître d’arrêter l’effet de cette condamnation en consentant à reprendre sa femme. Le complice de la femme adultère sera puni de l’emprisonnement pendant le même espace de temps, et, en outre, d’une amende de 24 000 F à 480 000 F. Le mari qui aura entretenu une concubine dans la maison conjugale, et qui aura été convaincu sur la plainte de la femme, sera puni d’une amende de 24 000 F et 480 000 F ».

En se basant sur les articles précités, l’adultère du mari ne pourra être dénoncé par la femme que si et seulement si ce dernier a entretenu une concubine dans la maison conjugale, alors même que le législateur a laissé la dénonciation de l’adultère de la femme quelque soit le lieu de la commission de l’acte. Cette faculté permet donc à l’homme de commettre l’adultère partout sans être dénoncé tant que l’acte n’est pas commis dans le domicile conjugal. Il est donc clair à travers ces dispositions qu’il y a inégalité entre l’homme et la femme dans les éléments constitutifs du délit de l’adultère.

Les sept (7) sages ont voulu donc rétablir l’égalité de l’homme et la femme en déclarant le 30 juillet 2009, ces articles du code pénal contraires à la constitution.  Ce faisant, il n’est donc plus possible au Bénin aujourd’hui de poursuivre pénalement l’adultère que ce soit l’adultère de l’homme que celui de la femme.

Depuis Juillet 2009 que cette décision est prise par la Cour Constitutionnelle, aucune action législative n’a été prise pour régler cette question importante. De ce fait, les initiateurs des lois que sont les députés et le Président de la République, ont décidé par leur silence de créer au Bénin une société qui ne réprime pas ce délit c’est-à-dire une société sans boussole et dépourvue des gardes fous nécessaires à l’institution du mariage. Ne pas sanctionner pénalement l’adultère vide le mariage de l’un de ses éléments de fond. « La fidélité des conjoints ».

Veut-on créer une société où les époux peuvent se livrer à l’adultère sans être puni ? En tout cas c’est la situation actuelle.

  1. Le code de la nationalité

Selon cette décision de la Haute juridiction, les articles 8, 12.2, 13 et 18 de la Loi n°65-17 du 23 juin 1965 portant code de la nationalité béninoise, sont contraires à la Constitution.

Malgré cette décision, un nouveau code de nationalité n’est toujours pas adopté au Bénin. Et si on se rappelle qu’en Côte d’Ivoire il a suffi d’une conjonction de coordination dans le code de nationalité pour que les frères de ce pays en soient allés à une guerre dont les conséquences sont encore vivaces. Il est urgent pour le législateur de faire le nécessaire pour nous doter d’un code de nationalité débarrassé des articles déclarés contraires à la Constitution, et adapté à l’actualité en la matière.

  1. L’absence notoire d’un code de la route

Au Bénin, la loi qui fait office de code de la route date du 24 Juillet 1956. Il s’agit de l’arrêté général N° 6138 M. du 24 Juillet 1959, portant réglementation de l’usage des voies routières ouvertes à la circulation publique.

La France dont nous avons hérité la législation actuellement en vigueur au Bénin en matière de code de la route, a déjà abrogé cet arrêté de Juillet 1956, car depuis 2011 elle s’est dotée d’un nouveau code de la route en quatre livres. Ce nouveau code français décrit les caractéristiques des véhicules aptes à circuler sur les voies publiques, les règles de circulation et de priorité, les règles de stationnement ainsi que les sanctions encourues en cas de violation de ces textes. Enfin, il décrit les procédures nécessaires pour être autorisé à conduire ces véhicules. Le premier des quatre livres concerne des dispositions générales (définitions, responsabilité, recherche et constatation des infractions).  Dans le contexte béninois, il était nécessaire que notre Assemblée Nationale nous dote aussi d’un code de la route adapté à nos réalités.

A la lumière de tout ce qui précède, l’on est en droit de se demander à quel jeu joue l’Assemblée nationale du Bénin.

Selon l’article 79 de la Constitution du 11 décembre 1990, le Parlement est constitué par une assemblée unique dite Assemblée nationale, dont les membres portent le titre de député.  Il exerce le pouvoir législatif et contrôle l’action du Gouvernement.

Dans le régime politique en place, l’Assemblée nationale est la deuxième Institution de l’Etat. Et à ce titre, elle représente le peuple avec des pouvoirs spécifiques que ne détient pas le pouvoir Exécutif. Selon l’article 96, l’Assemblée nationale est la seule Institution de l’Etat qui vote la loi et consent l’impôt.

En matière de référendum, lorsque le Président de la République ne peut prendre l’initiative que sur toute question relative à la promotion et au renforcement des Droits de l’Homme, à l’intégration sous-régionale ou régionale et à l’organisation des pouvoirs publics (Article 58), l’article 108 de la Constitution indique que « – Les députés peuvent, par un vote à la majorité des trois quarts, décider de soumettre toute question au référendum ».

Même si les députés partagent l’initiative de la loi avec le Président de la République (article 105), l’Assemblée nationale reste la seule et unique Institution à même d’adopter la loi au Bénin. Il n’est donc pas concevable qu’après 6 législatures et 27 ans de démocratie, que le Bénin peine encore à prendre des lois d’application de notre Constitution.

La mission essentielle du député est de compléter constamment, par une série de lois appropriées, actualisées et réactualisées, le texte fondamental qui régit et réglemente la vie de la nation et qui pourrait s’avérer très vite dépassé s’il n’y avait l’action légiférante du député pour le mettre quotidiennement à jour, lui imprimer les infléchissements nécessaires et de nature à le faire concourir toujours au gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Aujourd’hui, après plus de 27 ans de processus démocratique, notre Constitution du 11 décembre 1990 apparait comme un texte au goût inachevé, tant que ne seront pas votées, et comme révélées, les lois qu’elle porte en filigrane.

A la lumière des décisions de la Cour Constitutionnelle et certaines lois à actualiser, il nous parait très urgent d’inviter nos députés à prendre en priorité l’adoption de certaines lois qui renforcent l’état de droit et les désidératas de la population. C’est seulement en le faisant que notre Assemblée nationale sera en cohérence avec son plan stratégique de développement et de modernisation, qui indiquait avec comme vision en 2023 « … un parlement des droits humains, moderne, efficace, accessible à toutes les couches sociales, soucieux du patrimoine public, qui dans la dignité, la fraternité, le consensus et la rigueur, assure la protection des initiatives des citoyens et promeut leur mieux être dans un climat de paix, de confiance et d’amour de la patrie »

Serge Prince Agbodjan

Juriste

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