La lutte contre les violences faites aux femmes et les autres formes de violences sexistes a connu de francs succès au Bénin ces dernières années qui ont contribué à la réduction des cas. Mais dans la Donga -département situé au nord ouest du Bénin- le phénomène a encore la peau dure. Ceci à cause de la montée de l’islam radicale, de l’influence des pesanteurs socioculturels et du chômage accru dans la région. Chérita a un visage peu rayonnant en cette froide matinée du lundi 16 novembre 2020. Elle vit aujourd’hui seule avec un petit garçon d’un an et demi au quartier Baréi à l’entrée de Djougou dans une habitation précaire.
Son mari l’a abandonnée depuis plus de deux ans déjà et serait parti pour Cotonou. Pourtant, elle portait une grossesse d’un mois et demi à l’époque et dont il est l’auteur. Elle raconte avoir vécu une vie d’enfer auprès de lui, mais supportait tout au nom de « l’amour« . » Il disait qu’il m’aimait beaucoup et je croyais en lui, malgré qu’il me faisait souffrir en criant à longueur de journée sur moi et me portait des coups pour la moindre faute » se souvient-elle avec amertume. Il partait souvent en ville pour ne revenir que tard la nuit sans s’occuper de comment la maisonnée tournait.
Chérita se débrouillait pour assurer régulièrement le repas quotidien, non seulement pour elle, mais aussi pour le mari. Elle travaillait dans un petit motel de Djougou, lieu même de leur première rencontre. Mais il partira un jour sans ne plus revenir. Elle a dû courir dans tous les sens pour entretenir sa grossesse jusqu’à terme grâce à de bonnes volontés. Elle accouchera par césarienne dans des conditions très difficiles, qu’elle raconte, les yeux larmoyants : « Malgré la grossesse pesante, j’étais obligée de parcourir des ruelles de Djougou à la recherche des amis et autres bonnes volontés régulièrement à ma rescousse pour me nourrir et assurer le suivi de mon état. Pour accoucher, ce sont les gens de mon église Fosquare qui me sont venus en aide« . Cette bénino-togolaise travaillait en tant que servante à l’hôtel du Lac et le peu d’économies qu’elle avait s’était complètement épuisé. Son garçon a un an et demi aujourd’hui, toujours sans le moindre signe du père géniteur.
« Ici à Djougou, les hommes négligent trop les femmes. Ils s’occupent également très peu des enfants. Ce sont les femmes qui doivent tout faire au foyer pour assurer le repas quotidien« . Commerçante originaire d’Abomey, dame Cécile Dossa s’en indigne assez. Elle a vécu plusieurs cas depuis une vingtaine d’années qu’elle vit à Djougou avec son mari. Elle dit avoir été obligée de récupérer une petite fille de 08 ans qui trainait tout le temps dans la rue, malgré que ses parents vivaient dans la ville. Parfois, l’enfant pouvait passer trois jours sans retourner à la maison à l’indifférence totale de ses géniteurs.
« Les femmes et les enfants sont pour la plupart très malheureux ici à Djougou. C’est une zone à prédominance musulmane, environ 72% de la population, et ils interprètent mal la religion musulmane. Comme le Coran a dit qu’un homme peut prendre jusqu’à 4 femmes, tous s’y plaisent à le faire sans se soucier de comment les nourrir ainsi que les enfants qui en sortent » déplore Antoine D, un directeur d’école. Il rapporte qu’il voit très rarement des hommes quand dans son école, des parents sont convoqués pour des situations liées à leurs enfants. C’ est toujours des femmes qui se pointent, prêtes à répondre à tout et de tout. Avec le phénomène de l’exode rural, ils sont nombreux, ces jeunes de la Donga, qui après avoir engagé plusieurs femmes au foyer, débarquent à l’extérieur dans des pays comme la Lybie ou encore l’Algérie à la recherche d’un bon emploi, laissant leurs femmes et enfants dans la détresse et dans la pauvreté.
Déjà 552 cas en 2020
Le 14 septembre 2020 dernier, une séance d’orientation et d’engagement des élues conseillères des deux départements à savoir Atacora et Donga s’est tenue avec comme sujet au menu, la situation des femmes et enfants dans la zone et les violences basées sur les genres. A l’occasion, la représentante pays de Care International Joyce Speeno a fait savoir qu’il est impossible d’éradiquer la pauvreté tant que les individus ne disposent pas des mêmes droits et des mêmes chances. « Nous sommes toujours déterminés à vous accompagner au niveau communautaire et au niveau central pour assurer aux enfants et aux femmes la puissance de leurs droits » avait-elle rassuré. En 2020, selon les données fournies par le ministère des affaires sociales, la Donga a enregistré 552 cas de violences faites aux enfants et aux femmes, sous forme de coups et blessures, harcèlement sexuel, viol, enlèvement et séquestration, détournement de mineurs. Par ailleurs, 211 cas d’accouchement par les mineurs dans les quatre communes que compose la Donga.
D’autres résultats d’une étude menée indiquent également qu’une fille sur 10 est mariée avant l’âge de 15 ans dans l’Atacora Donga et plus de 3 sur 10 avant 18 ans. En ce qui concerne les mutilations génitales, la prévalence chez les femmes de 15 à 49 ans est de 16, 3 pour cent et ces départements qui montrent les plus hautes fréquences de la situation dans le septentrion.
Parcourir plusieurs kilomètres à pied pour mourir la famille
Croisée sur l’axe Djougou – Natitingou, Rahimou Aminou, la trentaine, sous le chaud soleil de midi, ce mercredi 18 novembre 2020, est entrain de braver 7 km à pied pour rallier le marché Pabébou en provenance du quartier Toungoulin à Copargo. Elle s’en va acheter des ingrédients pour son watché (mélange de riz et de haricot) qu’elle vend pour subvenir aux besoins de son foyer. Elle pouvait prendre taxi contre 200f, mais ça agira sur ses maigres revenus. A la question de savoir si elle se sent une femme heureuse au foyer, elle remue brutalement la tête et lâche : » Nous souffrons trop nous les femmes d’ici. Nous sommes contraintes de tout faire pour assurer le repas quotidien. Nos petits revenus ne servent qu’à cela, pas à acheter des pagnes ni à nous maquiller« . La quatre-vingtaine, Vimbra Sadjioka, chef quartier de Toungoulin partage les mêmes peines.
Plusieurs d’entre elles, font de longues distances à pied pour vendre du fagot de bois, lourd à porter, afin de subvenir aux besoins de leur foyer. Parfois, à le croire, elles parcourent 26 km en aller -retour sans arriver à livrer leur marchandise et devraient reprendre le même trajet le jour de marché suivant. Il accuse ouvertement les hommes d’être à la base des souffrances des femmes locales. « Quand l’homme rentre du champ le soir avec un tas d’ignames, c’est fini, la femme doit s’occuper de tout le reste. Mais avec les sensibilisations que nous organisons de plus en plus, les choses changent un peu. Ils commencent à mieux s’occuper des enfants sinon, ils laissaient presque toutes les charges à la femme, la scolarisation, les soins de santé et autres.. » affirme l’élu local.
Jeune conducteur auto, Aminou, 28 ans, en bon musulman ne veut pas se contenter de la seule femme sous son toit. Il tient à prendre une seconde alors qu’il se plaint de sa situation actuelle de chômeur. Son raisonnement est ceci: avec une deuxième et une troisième femme, pour conséquence, des enfants de mères différentes la concurrence s’installe et chacun cherche à mieux faire pour plaire au mari, en termes d’apport au mieux être de la maisonnée. Un responsable du Centre de promotion sociale de Copargo, sous anonymat confirme les peines de plus en plus grandissantes des femmes de l’Atacora Donga, qui, selon lui, ne méritent pas de tant souffrir. » Ce qui est malheureux, elles sont très nombreuses à cacher leur situation réelle, la classant dans l’ordre normal des principes traditionnels. Les centres de promotion sociale sont en première ligne dans la prise en charge des victimes. Malheureusement, beaucoup de cas de violence continuent de rester dans l’anonymat. Pour cette source du Cps de Copargo, l’absence de prise en charge aggrave la situation des victimes, qui peuvent sombrer dans une détresse morale, pouvant conduire à une déchéance psychique, des troubles mentaux, voire le suicide.
L’influence de la communauté
Le commissariat d’arrondissement de Batrou à Djougou a enregistré déjà plusieurs cas variés de violences contre les femmes et les enfants en cette année 2020. Une source interne cite entre autres le cas d’une femme qui est venue porter plainte contre un homme avec qui elle venait d’avoir seulement deux mois d’amitié. Pour une histoire de jalousie, la soupçonnant de sortir avec un autre homme, il l’a sévèrement battue en lui brisant un œil. L’homme interpellé par la police a été automatiquement déposé en prison. Il y a eu un cas de viol, où le violeur est l’ami sincère du tuteur de la jeune fille victime, une élève en classe de troisième. Elle était venue porter plainte elle même, mais n’a plus hélas contribué à la poursuite de l’enquête. Elle aurait reçue des pressions de son tuteur qui l’aurait dissuadée, soucieux de préserver cette amitié. L’affaire s’est donc simplement noyée.
Si à Djougou et ailleurs dans la Donga, les cas sont légion, l’implication pressante de la communauté pour protéger les auteurs, au prétexte de règlements à l’amiable, ne permettent pas souvent d’aller au bout des sanctions pénales. Selon la même source policière, imams, sages, notables et même des autorités locales interviennent directement et très souvent pour solliciter l’arrêt de la poursuite judiciaire. La loi est pourtant claire sur les peines que courent les auteurs de tels actes. La loi N° 2011-26 du 09 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes, prévoit en son article 30 que : « Pour toute infraction pénale qui réprime des violences physiques ou sexuelles, le fait que la victime et l’auteur jouissent d’une relation domestique, définie à l’article 3 de la présente loi, sera retenue comme situation aggravante. La peine maximale en matière délictuelle est aggravée par cinq (05) ans d’emprisonnement et celle en matière criminelle est aggravée d’au moins dix (10) ans ».
Il est à noter par ailleurs, que depuis 2015, des innovations sont mises en œuvre pour une meilleure protection sociale au Bénin. Entre autres, il y a la mise en place d’une plateforme électronique de dénonciation, qui a reçu l’appui financier du PNUD. Elle donne la possibilité à toute victime ou témoin de dénoncer un cas de violence basée sur le genre sans se rendre dans un centre de promotion sociale, qu’il s’agisse de mariage forcé, de mutilation génitale, de viol, d’inceste, d’incitation à la débauche, de harcèlement sexuel, ou de toutes autres formes de violences faites aux femmes.
Erickson Assouan, Partenariat OSIWA-LNT
Laisser un commentaire