La guerre entre la Russie et l’Ukraine qui a commencé depuis février 2022 a entrainé des conséquences néfastes entre autres sur les plans économique, alimentaire, hydrocarbure dans le monde. Pour résoudre un tant soit peu ces conséquences, les puissances du monde ont jeté leur dévolu sur le continent africain.
Le Père Arnaud Éric Aguénounon, Philosophe politique, spécialiste des questions de relations internationales, Écrivain-Essayiste et Directeur de l’Institut des Artisans de Justice et de Paix et du Centre de Recherche et de Formation « le Chant d’Oiseau » a accordé une interview exclusive à votre journal La Nouvelle Tribune dans laquelle il a fait des propositions pouvant permettre à l’Afrique d’amorcer réellement son développement.
Quelles sont les pistes de solutions que vous proposiez que l’Afrique amorce réellement pour son développement ?
Avant de donner les pistes, je pars d’un principe cardinal qui est que le développement de l’Afrique ne doit en aucun cas se calquer sur le développement occidental. Le développement à l’occidental, nous ne pouvons pas l’avoir en Afrique. Ce n’est pas possible. Je donne un simple exemple pour que vous voyiez que comparaison n’est pas raison. Quand vous prenez, par exemple, le Smig en France, le Smig tel qu’on le comprend en France tient compte de tout le système social qui l’entoure : les allocations familiales, le système de santé, l’allocation chômage, tout ça fait que le Smig est à montant conséquent.
En Occident, vous verrez que, pour le peu que je connais de l’Europe, je vois rarement de terre, de sable, tout est goudronné. Je ne sais à quel moment nous aurons les pistes et les routes de tous les villages du Bénin ou d’Afrique goudronnés. Et la preuve on n’a pas fini de tracer toutes les routes. C’est pour dire donc que le développement à l’Occidental ne peut pas être reproduit en Afrique.
La première piste de solutions que je propose, est que les Africains doivent forcément se mettre ensemble. On doit forcément se mettre ensemble pour avancer, mais en le disant, je vois en même temps la dimension utopique de cette proposition. C’est une utopie parce que l’Union africaine, la CEDEAO et l’UEMOA peinent à se faire entendre et à construire de solides groupements avec les facilitations commerciales adéquates.
On n’est pas capable de faire ou d’instituer de façon claire la circulation des biens et des personnes. Ensuite, on n’est pas capable de faire la promotion des produits africains. Un produit ghanéen, un produit sud-africain, un produit congolais comment l’accepte-t-on sur le marché ? Est-ce que le produit africain est-il plus valorisé que les produits venant de la Chine, de l’Europe ? Donc la première chose, c’est que tous les pays d’Afrique puissent se mettent ensemble, se valoriser eux-mêmes et mutuellement ; mettre en valeur leur travail, mettre en valeur leurs compétences, promouvoir leurs produits grâce à la libre circulation. Un rapport d’Etat à Etat, entre régions. Tout comme par le travail étatique solidaire.
La seconde solution, c’est qu’il faut d’abord l’autosuffisance agricole, alimentaire, hydraulique et énergétique. L’auto-prise en charge, agricole, alimentaire, énergétique et hydraulique. C’est important. Si on n’arrive pas à se nourrir de l’agriculture, à nourrir nos populations, c’est grave. C’est la première chose, nourrir nos populations, mettre ensemble toutes les stratégies de développement agricole, de développement hydraulique, énergétique parce que tout part de là. Si l’agriculture ne marche pas, si nos populations ne mangent pas, si on n’a pas l’hydraulique, si on n’a pas l’énergie, on ne pourra pas décoller. Et ceci est un élément basique et clair, nourrir le peuple, nourrir les populations.
Le 3ème élément, c’est de promouvoir les initiatives entrepreneuriales de tout point de vue, que cela soit l’artisanat, les petites moyennes entreprises, il faut les promouvoir. Il faut promouvoir le secteur de l’artisanat, les ouvriers, les électriciens, les maçons, les plombiers… comment valorise-t-on ceux-là dans notre culture, dans nos pays africains, un tisserand comment on le valorise ? Un potier, un sculpteur ? Voilà des choses basiques. Le forgeron comment est-il valorisé ? Et à partir de ce secteur on peut valoriser les entreprises et tout le reste. Dès qu’une entreprise ou un acteur du monde économique est un contre-pouvoir, il est combattu. Et donc si on ne s’occupe pas de ce qui est de chez nous, de ce qui est basique, c’est normal que d’autres nationalités prennent la place. Quel danger pour l’Afrique !
L’élément suivant, c’est la capacité de nous mettre dans un réalisme où l’économie informelle peut être considérée comme l’économie de survie. L’économie informelle est une économie de survie. Si on détruit l’économie informelle parce qu’on veut chaque fois fiscaliser, avoir des impôts, on va tuer les plus pauvres. L’économie informelle existe comme une économie de survie. On ne peut pas calquer ce qui se passe en Europe ou dans un pays occidental sur les pays pauvres que nous sommes. On ne peut pas tuer l’économie de survie. Des gens vivent de ça ! Il faut distinguer, l’économie de survie qui est l’économie informelle, de l’économie formelle qui est l’économie légale, professionnelle et règlementaire. C’est l’économie de ceux qui ont les moyens et qui en font l’outil professionnel. Les autres en font réellement un outil de survie. Il faudrait faire ces différences-là. C’est fondamental.
Et l’autre point, c’est que nous puissions avoir le souci de tourner nos produits vers les Etats qui ont déjà une petite industrie : le Nigéria, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Kenya, l’Afrique du Sud, les pays du Maghreb. On peut créer cette coopération Sud-Sud avec ces pays-là qui ont une industrie émergeante. Donc ceux-là peuvent transformer nos produits. Mais si on va envoyer toujours nos produits vers l’extérieur, toujours en Occident, ça ne marchera pas !
La dernière chose, il faut que nous quittions tout ce qui est uniquement de l’ordre de la théorie et de la théorisation. Il y a trop de théories. Il faut aller vers des initiatives pratiques. Et c’est pour cela qu’il faudra encourager ceux qui sont pratiques et ceux qui font déjà des choses sur le terrain. Je prends un exemple de conception théorique.
On a parlé de l’aéroport de Glo-Djigbé au Bénin, chez nous. C’est beau. C’est bien de penser à un aéroport à Glo-Djigbé. Mais on n’a pas les ressorts pour cela. A mon avis, pour le peu que j’ai voyagé, Casablanca ou bien Bruxelles ou Paris ou Sénégal, Addis-Abeba, les grands aéroports du monde vivent des trafics de leurs compagnies nationales. Vous allez voir sur ces tarmacs là que la flotte principale est NATIONALE. A Casablanca c’est Royal Air Maroc, à Bruxelles, c’est Brussels Airlines, à Paris, c’est Air France. Il faut avoir une flotte pareille pour pouvoir avoir un grand aéroport. Les Sénégalais l’ont compris, ils ont Air Sénégal qui va aujourd’hui en Occident, Paris, New York et ils ont un aéroport qui correspond à cette politique-là.
Deuxième élément pour cet exemple-là, dans notre pays le Bénin, commençons déjà par penser au trafic aérien local, intérieur. Qu’est-ce qui nous empêche de mettre, en route l’aéroport de Tourou ? Qu’est-ce qui nous empêche ? Créons ce trafic aérien local et de ce trafic aérien local on peut aller vers l’international
. Nous sommes un petit pays, soyons modeste ; nous sommes un petit pays et nous sommes en marche. On ne peut pas être comme le Sénégal, comme la Côte d’Ivoire, on ne peut être comme le Ghana ni comme le Nigeria, c’est faux. C’est de nous leurrer que de nous comparer à ces pays-là. Faisons notre chemin personnel en coopérant avec ces pays cités. Revenons à notre exemple précédent.
Dans la conception aéroportuaire, le trafic aéroportuaire se nourrit beaucoup plus des vols qui sont en transit. Si, par exemple, le Bénin a une compagnie nationale qui fait toute la sous-région, voir l’Afrique en général, on verra que c’est le nombre de passagers en transit qui va constituer l’importance du trafic de cet aéroport-là. C’est pourquoi les grandes compagnies font toujours des rotations en passant par leur capitale. C’est l’un des atouts quand on a une compagnie qui va vers d’autres destinations et qui crée chaque fois des transits utiles.
Quelles attitudes les dirigeants africains doivent adopter face aux puissances du monde qui courent vers l’Afrique pour défendre leurs intérêts ?
Je crois que la première attitude, c’est de se faire respecter. Se faire respecter, c’est d’être un pays ou un continent qui travaille, qui sait se mettre ensemble, qui sait faire bloc. Avoir une économie forte dans la réalité et ressentie positivement dans le panier de la ménagère au quotidien. Donc il y a ce travail. Si on n’arrive pas à le faire, on ne peut pas tenir en face de ceux qui viennent sur le continent. On est obligé de prendre ce qu’ils ont à nous donner. Deuxième chose, quand on a fait un travail interne et quand on est solide cela veut dire qu’on a pris conscience de ses richesses. On sait comment exploiter ses propres richesses, on peut dialoguer avec le pays occidental et faire des propositions. Parce qu’on sait ce qu’on a soi-même et on sait ce qu’on peut en faire. Et là, on peut clairement proposer des voies et moyens pour la transformation. Donc on ne doit pas subir le diktat économique des autres.
Votre mot de fin
Mon mot de fin est que si on va être pessimiste, on dira que l’Afrique ne pourra pas se développer. Car on a tué Sankara , Kwame Nkrumah, . Nos propres prophètes, on les tue, et on installe des jouisseurs. On installe nous-mêmes la dictature. On installe nous-mêmes le népotisme. On installe nous-mêmes la gabegie. On installe nous-mêmes le sous-développement. Si je veux être pessimiste, c’est cela je vais dire. Mais, je préfère être optimiste en disant que je crois en un potentiel de l’Afrique qui gagne. Je crois en ces acteurs, entrepreneurs ivoiriens, camerounais, sénégalais, maliens, Burkinabè ou Sud-africains qui se battent chaque jour. Je crois en cet entrepreneuriat privé africain qui se bat chaque jour. Des jeunes qui décident de rentrer d’Europe ou d’Amérique s’installer chez eux et qui font un travail de fond et qui se battent chaque jour, je compte sur ceux-là. C’est en voyant ceux-là, c’est en voyant les artisans, c’est en voyant ces entrepreneurs que je dis oui, soyons optimiste, quelque chose peut aller à pas de tortue.
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