Voici plus d’un mois que le Bénin est engagé dans un bras de fer avec le Niger. Après avoir été le fervent défenseur de l’option militaire décrétée par la Cedeao contre le général Tiani, le président béninois Patrice Talon paye semble-t-il, le prix fort de son engagement excessif dans ce dossier. Livré à lui-même et abandonné par ses pairs, il se retrouve tout seul dans un engrenage dans lequel il risque de perdre beaucoup de poils.
En toute chose, « il faut savoir raison gardée ». Tout le monde connaît cette expression. Dans l’Antiquité gréco-latine, la démesure était considérée comme l’un des pires péchés et l’auteur encourait une punition divine. C’est probablement pour ce motif que cette expression a été créée. Elle signifie qu’il faut être capable de se maîtriser en toute circonstance, d’avoir le sang froid et de ne pas dépasser ses limites. Elle vaut aussi bien dans les relations humaines courantes que dans le négoce et les affaires, mais surtout en politique. En effet, en politique, il faut toujours « savoir raison gardée » pour préserver demain, parce qu’on ne sait pas forcément ce qui va se passer malgré toute la puissance du moment. Pour ce faire, il faut avoir le courage d’essayer d’autres solutions que celles qu’on a toujours investies afin d’éviter de s’engluer dans une situation inextricable.
Malheureusement, il semble que les autorités béninoises n’ont pas su tirer toutes les leçons de cette maxime populaire et le président Patrice Talon est aujourd’hui entrain de l’apprendre à ses dépens en entraînant avec lui, son pays et toute la sous-région ouest africaine dans une aventure périlleuse. De quoi s’agit-il? Évidemment de la crise diplomatique et économique qui cristallise toutes les attentions au Bénin comme au Niger et toute la sous-région ouest africaine. Pour bien comprendre la situation, il faut remonter à l’élément déclencheur de la crise qui secoue le Bénin et le Niger. Tout est parti du coup d’État perpétré au Niger par la junte militaire dirigée par le général Abdourahmane Tiani le 26 juillet 2023. S’en est suivi, une batterie de sanctions économiques et financières avec l’option d’une intervention militaire de la Cedeao si les autorités autoproclamées ne rétablissent pas l’ordre constitutionnel dans un délai de sept jours.
Le président béninois Patrice Talon aborde le dossier en bon élève de la Cedeao, et se met dans la peau du redresseur de torts. Il prend le manteau de défenseur du droit constitutionnel et suit à la lettre les exigences de l’organisation sous-régionale. Il affirme sans fard à l’issue de la première réunion de crise sur la situation qu’ » en aucune manière, la Cedeao n’acceptera que les coups d’État deviennent le moyen par lequel les gouvernants doivent diriger. Si nous laissons faire, notre sous-région va être désintégrée. Nous avons décidé que si nous n’avons pas le choix, ce sera par la force que la mauvaise force sera vaincue ». Ses paroles sont suivies par des actes. Le bruit des bottes résonne. La force d’attente de la Cedeao qui était en veilleuse depuis de longues années est mise en branle. L’armée nigériane devrait la tenir au bout des bras et diriger toutes les opérations.
Au même moment, les frontières terrestres entre le Niger et ses voisins sont fermées. Des milliers de camions en direction du Niger via la frontière béninoise sont bloqués à Malanville et leurs marchandises pourrissent au chaud soleil. Les opérateurs économiques nigériens sont aux abois. L’électricité en provenance du Nigéria est coupée. Les prix des denrées alimentaires flambent sur les marchés. Les populations souffrent le martyre. La Société civile, les chefs religieux, les gardiens des traditions et les acteurs politiques de la sous-région supplient leurs dirigeants pour qu’ils assouplissement les sanctions qui pèsent lourdement sur les populations. Mais, ceux-ci font la sourde oreille.
Face à la détermination de la junte militaire nigérienne et la résilience de son peuple, le 24 février 2024, ces mêmes dirigeants de la Cedeao font volte-face et lèvent toutes les sanctions contre ce pays. Le projet d’intervention militaire contre le Niger s’est aussitôt enrayé. Le Bénin suit le mouvement et ouvre ses frontières terrestres avec le Niger. Mais la junte militaire ne décolère pas. Elle n’a pas oublié les positions va-t-en-guerre du président Talon et compte le lui faire payer le prix fort. Elle laisse fermées ses frontières d’avec le Bénin sous le prétexte que ce pays abrite des bases militaires françaises où s’entraineraient des djihadistes pour la frapper.
Malgré les démentis formels de Cotonou, les tensions vont monter jusqu’au 08 mai dernier. Coup sur coup, les deux pays vont s’envoyer des volées de bois vert. Le Bénin répond à la non ouverture des frontières nigériennes par la suspension du chargement du pétrole brut de son voisin, via le terminal de Sèmè-Podji côté Bénin et ferme ses frontières fluviales. Après s’être donné un temps de réflexion, Patrice Talon lève le blocus pour permettre l’exploitation du pipeline qui relie les deux pays en guise de bonne foi. Mais la junte militaire nigérienne refuse la main tendue. Alors, le Bénin remet une nouvelle couche à la crise avec l’arrestation de cinq responsables nigériens de la société chargée du contrôle de pétrole dont deux seront libérés et trois déposés en prison après un court passage devant le Procureur spécial de la Criet. Cette fois-ci, c’est autour des autorités nigériennes de fermer les vannes du pétrole. A l’heure actuelle tout le monde est dans l’expectative.
Talon seul face à la junte militaire
Plus d’un mois après le déclenchement de la crise, le bras de fer continue et personne ne peut prévoir quand et comment elle prendra fin. Aussi bien le Niger que le Bénin, chaque camp met en avant des arguments contradictoires et controversés sur le caractère de la crise et s’engage dans une série de communications politico-mediatiques qui risquent de dériver dans une confrontation frontale. Il faut savoir qu’au temps fort de la crise entre le Niger et la Cedeao, c’est le président Patrice Talon qui a été le porte-flambeau de l’option militaire pour rétablir le président Mohamed Bazoum dans ses fonctions.
Plusieurs voix avaient à l’époque appelé à temporiser. En ce moment là, il avait le soutien du président nigérian Bola Tinubu fraichement élu à la tête de son pays et président en exercice de la Cedeao. Il avait également l’appui du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, de l’ex-président sénégalais Macky Sall, de Emmanuel Macron de la France et plusieurs autres chefs d’État européens. Fort de tout cela, Patrice Talon fonçait tête baissée. Aujourd’hui, mal lui en a pris. Le constat est là sous nos yeux. Après avoir poussé Patrice Talon à la faute, Tinubu, Ouattara, Sall, et leurs collègues de la sous-region l’abandonnent à son sort et refusent d’assurer le service après-vente. Certes en coulisse, la diplomatie est très active. Le « téléphone rouge » continue de fonctionner à plein temps et à plein régime. On lui suggère tel ou tel comportement à adopter en telle ou telle circonstance.
Mais, à ce jour, aucun de ses soutiens n’est venu à la rescousse du chef d’État béninois. En tant que président en exercice de la Cedeao, Bola Tinubu devrait tout au moins réagir et afficher officiellement la position de l’organisation qu’il préside. Il n’en est rien. Encore moins du côté de ses pairs de la Cedeao. Peu importe les raisons qui sous-tendent ce silence ou sa validité. Mais cette attitude de ces chefs d’État de la sous-région est à tout point de vue, symptomatique de leur duplicité dans la gestion de cette affaire. Il ne s’agit pas de prendre parti, de distribuer les bons et mauvais points. Mais plutôt, d’une exigence diplomatique. D’ordinaire, les dirigeants politiques font des déclarations pour appeler les deux parties en conflit, au calme, à la désescalade, à la retenue et au dialogue.
A ce jour, aucune déclaration allant dans ce sens n’a été faite. Et comme perdu et inquiet de son propre sort, le président Talon se bat tout seul, ne sachant plus à quel saint se vouer, avec le risque de foncer tout droit dans le mur. Au point où certains de ses compatriotes se posent la question de savoir s’il n’avait vraiment pas fait un mauvais casting en choisissant de suivre à l’aveuglette la Cedeao. La junte militaire n’a pas voulu se laisser compter et se faire dompter. C’est ce qui explique en partie l’engrenage dans lequel se trouvent les deux pays voisins où aucun camp n’a envie de perdre la face.
Dans ce genre de situation, ce sont les populations qui payent le prix des raidissements des positions et des inconséquences des décisions de leurs élites politiques. Comble de malheurs, s’ouvre ce jour lundi 17 juin, le procès de trois responsables nigériens de la société Wapco-Niger, accusés de s’être introduits frauduleusement sur le terminal pétrolier de Sèmè-Poji. En cas de condamnation à des peines sévères de ces compatriotes, que va être la réaction de la junte militaire nigérienne ? Le président Tinubu et ses collègues garderont-ils toujours la même posture? Ou bien attendront-ils le pourrissement de la situation avant de jouer aux sapeurs-pompiers ? Patrice Talon ne risque-t-il pas d’être encore plus isolé si les dirigeants nigériens enfoncent le clou en durcissant leur position ? Voilà autant de questions auxquelles personne ne peut trouver de réponses exhaustives. Le suspens reste ouvert. (Rejoignez la famille des abonnés de la chaîne WhatsApp de La Nouvelle Tribune en cliquant sur le lien suivant 👉🏾 https://whatsapp.com/channel/0029VaCgIOFL2ATyQ6GSS91x)
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