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Bénin : La caste des forgerons dans le royaume d’Abomey

Dans l’histoire du royaume d’Abomey, la puissance militaire et les prouesses de guerre qui ont fait la renommée de cette monarchie reposaient sur plusieurs piliers. Parmi eux, une caste essentielle, bien que souvent reléguée à l’arrière-plan, a joué un rôle déterminant : celle des forgerons. Ces artisans du feu et du fer ont façonné les armes redoutables qui ont permis aux armées du Dahomey de se distinguer sur le champ de bataille.

Au sein du royaume d’Abomey, les forgerons formaient une caste distincte et respectée. Le travail du fer était perçu comme un art sacré, dont la maîtrise nécessitait un savoir ancestral transmis de génération en génération. Cette transmission ne se limitait pas à l’aspect technique, mais incluait également des connaissances mystiques. En effet, le feu, qui transformait le minerai en métal, était souvent associé aux divinités, conférant aux forgerons un rôle presque sacerdotal. Tout un quartier est consacré à la famille Hountondji et ses alliées Abialla, Assogbaguè… qui constituaient cette caste : le quartier Hountondjissramè.

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Leur statut dans la société était ambivalent. D’un côté, ils étaient indispensables à l’armée et au pouvoir royal, de l’autre, leur métier les marginalisait dans une certaine mesure, car ils manipulaient des forces considérées comme puissantes et potentiellement dangereuses. Ils étaient regroupés en corporations bien structurées, placées sous l’autorité de chefs de caste et parfois sous la surveillance directe du roi lui-même. Leur contribution à la suprématie du royaume dépasse la simple fabrication d’outils, s’inscrivant dans un système socio-économique et spirituel bien plus vaste.

Des artisans de guerre au service du roi

Les forgerons étaient les principaux fournisseurs de l’arsenal militaire du royaume. L’armée du Dahomey, célèbre pour son organisation et son efficacité, comptait sur leurs talents pour produire une gamme variée d’armes : des épées aux lames acérées, des machettes, des lances et des pointes de flèches. Ils perfectionnaient également les armes à feu obtenues par le commerce avec les Européens, les modifiant et les réparant pour garantir un avantage stratégique. Leur rôle ne se limitait pas à la fabrication. Dans certains cas, ils assuraient aussi la maintenance et l’amélioration des armes avant et après les batailles. Ce savoir-faire leur conférait une importance stratégique majeure, et certains d’entre eux étaient intégrés à l’entourage royal afin de superviser les productions en fonction des besoins militaires du moment.

En dehors du domaine militaire, les forgerons contribuaient à l’économie du royaume en produisant des outils agricoles, des objets domestiques et des ornements métalliques. Leur activité soutenait ainsi l’agriculture et l’artisanat, renforçant l’autosuffisance du Dahomey. De plus, le commerce du fer et des armes jouait un rôle clé dans les relations diplomatiques du royaume. En échange d’armes plus sophistiquées, le Dahomey échangeait souvent des esclaves, du sel et d’autres biens précieux avec les Européens. Cette dynamique commerciale était en grande partie soutenue par la production locale des forgerons, qui garantissait l’entretien et l’amélioration des équipements importés.

Des liens étroits avec les croyances et les rituels

La caste des forgerons n’était pas seulement un groupe d’artisans, mais aussi une classe investie d’un fort pouvoir spirituel. Le forgeron était souvent perçu comme un intermédiaire entre les forces mystiques et le monde terrestre. Certaines divinités étaient associées à leur métier, comme Ogoun, le dieu du fer et de la guerre dans le panthéon vodoun.

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Des rituels entouraient la forge et la création des armes, car il était crucial de s’assurer que les outils ne portaient pas de mauvais présages. Certaines armes destinées aux rois ou aux généraux faisaient l’objet de cérémonies spécifiques, au cours desquelles elles étaient bénies avant d’être utilisées en combat.

Le déclin progressif d’un rôle central

Avec la colonisation et l’introduction de nouvelles technologies industrielles par les puissances européennes, le rôle des forgerons dans le royaume d’Abomey s’est progressivement réduit. L’accès à des armes produites en série par les industries occidentales a relégué les forgerons locaux à des activités moins stratégiques. Toutefois, leur savoir-faire a survécu à travers l’artisanat traditionnel, qui continue de prospérer aujourd’hui.

Bien que le royaume d’Abomey ait disparu en tant qu’entité politique indépendante, l’héritage des forgerons demeure. Aujourd’hui encore, dans certaines régions du Bénin, les descendants de cette caste perpétuent leur art, fabriquant des objets en métal destinés aux marchés locaux et à l’exportation. Leur savoir-faire reste un témoignage vivant de l’ingéniosité et de l’importance stratégique de leurs ancêtres dans l’histoire du Dahomey.

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