Conte

/food/iculture.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » »  » />La Lumière, le Singe, la Panthère et les Autres

Ce jour là, dame Nature faisait sa sieste, bercée par une brise légère et le frou frou des arbres. La forêt était calme, calme et silencieuse, silencieuse et lumineuse. C’était en effet l’heure de visite de la Lumière, à qui on ouvrait la porte tous les jours, de midi à cinq heures. Et tous les jours, c’était le même rituel. Ce jour là, à midi plein, la Lumière frappa donc à la porte. Et comme tous les jours, l’Ombre, son inséparable rivale, se précipita pour l’accueillir. La porte de la forêt s’ouvrit, lentement, progressivement, irrésistiblement, et l’Ombre s’effaça, lentement, progressivement, irrésistiblement, entraînant derrière elle sa sœur jumelle, l’obscurité.
Tous les occupants des lieux se mirent alors en fête. Les arbres commencèrent à dodeliner de la tête, ivres de joie. Les animaux entonnèrent un alléluia à la vie, toutes voix confondues. Les fleurs ouvrirent leurs ailes, offrant au ciel un bouquet aux mille senteurs.
La Lumière, touchée par la grâce de cet accueil, se mit à briller de mille feux.
Elle s’avança vers le centre de la forêt et choisit de s’installer au pied de l’arbre le plus haut, l’Iroko, l’arbre dont les feuilles tutoient le ciel et dont les racines conversent avec les profondeurs de la terre.
Aussitôt, tous les animaux firent cercle autour d’Elle, chacun y allant de son cri de joie, du soprano au baryton, en passant par le ténor.
La joie illuminait tous les cœurs:
Le rossignol prenait la pause sur le dos de l’éléphant, la mouche taquinait le nez de la lionne, le singe sautait d’arbre en arbre, faisant admirer son numéro de cirque, sous les yeux impassibles de la panthère.
La Lumière, touchée par l’esprit de liberté, de solidarité et de paix qui régnait parmi les occupants des lieux, décida d’en savoir plus. Et elle interrogea le rossignol.
– Dis moi, Rossignol, quelle est
ta force?
Le rossignol prit son souffle et entonna un refrain aussitôt repris en choeur par tous les animaux.
La chorale se tue et le rossignol répondit:
– Ma force, dame Lumière, c’est de faire chanter les coeurs et de distribuer la joie. Sans moi, la forêt disparaîtrait sous le poids de la tristesse.
La Lumière opina de la tête et dirigea son regard vers les arbres, pour le plus grand plaisir du singe qui se trouva instantanément projeté sous les feux des projecteurs.
– Et toi Singe, dis moi! Quelle
est ta force?
Le singe, cabotin et espiègle, se mit en quatre pour faire admirer son numéro de trapéziste, sous l’oeil pataud de l’éléphant.
– Moi, répondit le singe, je suis celui qu’aucune force ne peut atteindre. Je sais tout, je vois tout et quand le danger arrive, je saute d’arbre en arbre pour prévenir les autres. Je suis le plus malin, voilà tout, et c’est ma force.
Tous les regards se levèrent vers lui et n’eût été la présence de la Lumière, certains lui auraient volontiers rabattu le caquet.
La Lumière esquissa un petit sourire et détourna son regard du petit malin dans les arbres.
Elle fit face à l’éléphant et le fixa droit dans les yeux.
Le vieux pachyderme, brusquement jeté sous les feux de la rampe, baissa les yeux de timidité. Le rossignol, attendri par la scène, se cala plus confortablement sur son dos et, du bec, lui fit une petite chatouille pour le dérider.
L’éléphant redressa la tête, fit une spirale avec sa trompe pour se redonner un maintien et répondit:
– Dame Lumière, moi, ma force, je ne la connais pas. Alors je fais attention! Je fais tout le temps attention! Je passe ma vie à faire attention!
– Mais attention à quoi? demanda la Lumière?
Et l’éléphant de répondre.
– Attention aux autres!
Et les autres approuvèrent, rassurés. Ouf! L’éléphant ne leur marchera plus sur les pieds. C’est que ça fait mal, un éléphant qui vous marche sur les pieds, surtout quand il fait attention! La Lumière, attendrie par tant de générosité et d’esprit de solidarité, fit un effort pour détourner son regard du rossignol chantant et de l’éléphant attentionné.
Apparut alors la Lionne, la reine des lieux.
– Et toi Lionne, lui demanda la
Lumière, aurais tu une force?
– Je n’ai que ça, répondit la Lionne, et tout le monde le sait, mon mari aussi. C’est si vrai que c’est moi qui vais chercher la nourriture pour toute la famille. Mon mari, lui, préfère garder ses distances: il prétend que c’est pour mieux nous protéger. Mais moi je sais une chose, je suis son avenir, car sans ma force, la sienne n’existerait pas.
– Et que fais tu donc de ta force?
 Lui demanda La lumière.
Et la lionne de répondre:
– Ma force me sert pour vivre, survivre et protéger les miens. Je ne demande rien d’autre. Il y en a qui n’ont toujours pas compris cela! conclut elle, avec un regard circulaire.
La Lumière, touchée par cette vérité féminine, tourna son regard vers un autre félin, le plus obscur, le plus mystérieux, le plus effrayant, la Panthère.
– Et qu’en pense la panthère, lui jeta-t-elle, un brin provocatrice.
La panthère s’étira de toute sa grâce, observa un long moment de silence pendant lequel tous les regards étaient braqués sur elle, regarda à droite, regarda à gauche et, plantant ses yeux dans ceux de la Lumière, sans sourciller, déclara:
– Moi, dame Lumière, je suis condamnée au respect de l’autre. Et c’est ce qui fait ma force!
Tous firent silence autour d’elle: le singe arrêta ses pitreries, le rossignol se tint coi, l’éléphant remua la queue de plaisir et la lionne en oublia son mari.
Profitant de ce brouhaha de silence, la Lumière reprit la parole et questionna:
-Et en quoi le respect de l’autre
serait-il donc une force?
Et la panthère de lui répondre:
– Parce que le respect de l’autre le fait exister. Et moi toute seule, je ne suis rien. Vous comprenez, Dame Lumière, sans les autres, je ne suis rien!
La Lumière avait compris, mais les autres aussi, qui soudain, firent à la panthère une ovation si vibrante que même dame Nature crut que le félin noir avait pris le pouvoir. La Lumière, éblouie, émerveillée et rassérénée, se décida à prendre congé de cette joyeuse troupe. Et cette fois là, personne ne laissa le soin à l’Ombre de la raccompagner jusqu’à la porte de la forêt.
Tous les animaux se mirent en rang pour lui faire cortège, en une haie d’honneur chantante.
Et avant qu’elle ne disparaisse, elle entendit le singe lui glisser à l’oreille, avec un culot que seul un singe peut avoir:
– C’est quoi votre parfum?
Dame Lumière s’arrêta, pivota sur ses talons de feux, gratifia le petit malin d’un sourire moqueur et, s’adressant à toute l’assemblée, partagea son secret:
– Deux pétales de fleur d’Amour, trois feuilles de Concorde, et vous malaxez le tout avec un pilon en bois de Paix. Après cela, à chacun son parfum!

Roger Sidokpohou, écrivain béninois vivant au Brésil

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