Camille Amouro propose ici un extrait d’un rapport qu’il a produit au Ministère de la culture, de la jeunesse et des sports, en novembre 2006 sur une imminente augmentation de la production par trois types de réglementations : la réforme fiscale, la réforme foncière, la réforme de la vision et de l’administration de la culture. Malheureusement, dans ce rapport, seule la proposition concernant l’instauration d’un service civique volontaire pour une alphabétisation totale a été prise en compte avant d’être détournée de son cadre, par le gouvernement. D’autres extraits sont attendus dans cette tribune.
Les pays émergents ont une caractéristique commune. Leur développement économique est indissociable à un ancrage dans leur propre culture. Ils ont préservé leurs noms, leurs langues, leurs religions traditionnelles, leurs façons de s’habiller, leurs fêtes, leurs arts culinaires, leurs habitats. Il y a des ouvertures, certes, dans chacun de ces domaines. Par exemple, l’Anglais est relativement parlé dans tous ces pays qui comptent quelques buildings dans le style occidental et où, quelques fois, certaines minorités s’habillent en costumes occidentaux et pratiquent des cultes d’inspiration occidentale.
Rétrospectivement, l’ère Meiji a propulsé le Japon dans sa puissance économique actuelle, dans les mêmes conditions culturelles.
En revanche, sur la dizaine de fêtes traditionnelles officielles au Bénin, seules deux peuvent être considérées comme béninoises. Ces deux fêtes ne correspondent à aucun événement traditionnel béninois : le 1er août, jour de l’indépendance, par la volonté de Charles de Gaulle, et la fête du vodun dont la date a été arbitrairement imposée, sans évoquer une réminiscence collective particulière. Au-delà de la logique élémentaire qui comprend difficilement que les Béninois fêtent les dates des autres et qu’aucun des autres ne fête les siennes, cette situation pose des problèmes culturels et économiques sur lesquels il convient de s’arrêter.
La plupart des prénoms sont d’origine étrangère. L’habitation traditionnelle, au lieu d’être améliorée a été purement remplacée par du béton, sans aucun souci esthétique. Les tenues vestimentaires d’apparat officielles n’ont aucune inspiration locale. Dans les galas officiels, les mets servis et la manière de les manger, sont loin de refléter nos réalités. Bref, culturellement, le Bénin et les autres pays sous-développés se situent à l’antipode des pays émergents.
Cette coïncidence entre la culture des pays émergents et leur décollage économique n’est pas un hasard. Autrement, qu’est-ce qui justifie a contrario la coïncidence entre le sous-développement et l’aliénation culturelle ?
Il n’y a pas, d’un côté, la culture et de l’autre, l’économie. La culture n’est pas un domaine. C’est la totalité des domaines de l’activité humaine, donc de l’économie. Les cultures traditionnelles, partout, ont adapté les besoins de l’individu aux produits disponibles sur place, dans la mesure du possible.
Le lien entre la culture et l’activité productrice est évident.
Imaginons la moitié des Béninois s’habillant à la mode béninoise, avec du tissu fabriqué au Bénin, des ouvriers béninois, des artisans béninois. Cet acte culturel serait aussi normal qu’une Thaïlandaise en robe de soie ou un Anglais en nœud papillon. Evaluons ensuite le nombre d’emplois ainsi créés dans la production des matières premières, dans leur transformation, dans l’artisanat…, le montant des frais d’importation économisés et leur impact sur la balance commerciale, le montant des exportations possibles et leur impact sur la balance commerciale, l’impact de toute cette chaîne sur la créativité des Béninois et les possibilités que celle-ci induit…
Le Burkina Faso a, à une étape de son histoire, pris des options fort sérieuses en ce sens. Malgré la maladresse de l’approche et la solitude de la mesure par rapport à la chaîne des comportements, le résultat a été éclatant. Il faut dire que le Ghana et quelques zones du Sahel étaient déjà pionniers quand on se limite au domaine de l’habillement.
Imaginons ensuite que le Bénin dispose d’une véritable convention d’urbanisme qui impose des types de façades à des architectures spécifiques selon les zones. Imaginons que ces façades sont inspirées de nos réalités historiques ou de notre architecture traditionnelle et que l’espace urbain est organisé, dans chaque zone compte tenu du type de communication intergénérationnelle inhérente. Calculons ensuite l’impact économique sur l’emploi et la transformation des matériaux locaux, l’impact sur la créativité des architectes, décorateurs et urbanistes, l’impact sur la recherche scientifique, l’impact sur la santé et le développement…
Imaginons que dans la majorité des foyers, la moitié des récipients soient ceux fabriqués sur place et utilisés traditionnellement, qui peuvent ne pas être, ni moins beaux, ni moins usuels… Evaluons la capacité à la modernisation de la fabrication de ces récipients, l’évolution de leur esthétique, l’économie générée par rapport aux récipients importés et l’impact sur la balance commerciale…
On pourra multiplier les exemples. Pour en revenir aux fêtes, elles reflètent une culture et combinent la majorité des façons de vivre et des façons d’être. Les fêtes du Bénin reflètent tout simplement une perte d’âme des Béninois, assujettis, plus que jamais, à l’importation de valeurs externes et dépendant donc de produits externes conçus pour ces valeurs.
La réduction des importations de produits culturels, en rééquilibrant la balance commerciale, favorise l’augmentation de la production, développe la créativité compte tenu des réalités actuelles, modernes, et peut ainsi insuffler une meilleure politique fiscale. Dans ce cercle vertueux où l’inflation est maîtrisée, de petites et moyennes industries sortent du secteur informel et, de plus en plus grandes et nombreuses, vont conquérir des marchés régionaux et internationaux.
Il est important de noter qu’en y intégrant certaines denrées alimentaires, le poids financier des produits culturels est loin d’être négligeable au regard de l’ensemble de la chaîne de production et de consommation. Globalement, il peut passer de la troisième à la deuxième dépense des ménages moyens normaux.
Tableau (illisible)
Les dépenses culturelles correspondent aussi bien aux équipements, qu’aux sorties, aux cérémonies et aux vêtements. Les équipements, c’est la télévision, la radio, les appareils électroménagers, les récipients et divers couverts, la vidéo, les meubles, l’ordinateur, les livres, disques ou cassettes… Ces dépenses ont aussi un impact sur le coût du logement, celui-ci intégrant la consommation électrique. Bien qu’étant des besoins fondamentaux, les vêtements sont classés ici parmi les besoins culturels. En effet, outre le besoin de se protéger des intempéries, l’habillement dépend du climat, de la région et de la communauté à laquelle l’individu appartient. Dans les familles plus modestes, la garde-robe est réduite aux tissus de funérailles et autres cérémonies. L’habillement est ainsi indissociables des sorties et autres cérémonies. La cuisine intègre aussi l’appartenance à une communauté. Ainsi, alors que le pain et le café font partie des habitudes urbaines depuis peu, remplaçant « la pâte couchée » et l’infusion d’écorces de caïlcédrat ou de quinquélibat, dans certains pays anglophones, le petit déjeuner est demeuré traditionnel, y compris dans de grands hôtels : les buffets se composent aussi bien de thé ou café que de bananes frites, du haricot bouilli ou du piron. De même, à Cotonou, le spaghetti remplace l’igname frite et le beignet de haricot, la bière le cakpalo, le Gin, le Sodabi… D’ailleurs, dans tous les pays, la cuisine est considérée comme un art, donc comme un élément de culture.
Tableau (illisible)
L’analyse du tableau de la Production nationale et du marché intérieur des produits culturels montre à comment le processus de production et de consommation, donc de l’économie, est essentiellement culturel. Les produits culturels présents dans ce tableau sont : artisanat d’art, autoradios, baladeurs, bijoux, boissons (bière, vin, spiritueux), CD (musiques, films), CD (vierge), clés USB, MP3, couverts, denrées européennes (spaghetti, biscuits, bonbons, pain, bouillons, divers pâtés, fromage…), denrées traditionnelles, dérivés de quincaillerie, émetteurs divers, facture instrumentale, friperies, Hi-Fi, lecteurs DVD, lecteurs VCD, livres, logiciels, meubles de luxe, meubles ordinaires, œuvres d’art, ordinateurs, parfums, partitions, presse, prêt-à-porter, radios, récipients divers, spectacle vivant, stylos, crayons, téléphones portables, téléviseurs, tissus, vidéo (cassettes) , vidéo (lecteur), vidéogramme, et autres.
Dans la colonne « production », il est utile de remarquer que le contexte général de la concurrence mondiale, l’étendue du marché national et le niveau de nos moyens de transformation nous limitent concomitamment pour la plupart des produits de l’industrie de l’information. En revanche, pour d’autres produits, la faiblesse de la production s’explique, soit par l’absence de volonté politique, soit par une faille dans la politique fiscale. C’est le cas des vêtements, dérivés de quincailleries, certaines boissons et autres, couverts.
La colonne « consommation » nous indique l’ampleur de l’aliénation culturelle au détriment de nos propres richesses et son impact sur la balance commerciale. Même sur le plan alimentaire, des habitudes culturelles nouvelles nous détournent, de manière progressive mais certaine, de nos richesses en denrées. Le danger est d’en arriver à compromettre notre autosuffisance alimentaire, par la nécessité d’importer nos denrées alors que notre production locale ne nous en garantit pas les ressources.
En complétant ce tableau, on observera nettement une grande incohérence dans la balance commerciale. Si nous sommes tenus d’acheter ce que nous ne pouvons pas produire, le processus de consommation étant exclusivement culturel, nous pouvons donc consommer d’abord ce que nous savons produire.
La participation au commerce international, condition d’une augmentation de la croissance, exige la production de biens et services répondant aux besoins du marché. Dans le triple contexte d’un petit pays sans ressources minières notables dont les recettes fiscales représentent 90 % des recettes budgétaires, d’intégration économique et monétaire (CEDEAO, UEMOA) et d’application du Tarif Extérieur Commun (TEC), il est urgent de se positionner avec des produits compétitifs par leur spécificité et leur coût et qui visent le marché national au premier chef. La part de la culture dans ce marché, ainsi que nous venons de l’appréhender, est notable.
Or, au Bénin, la contribution des produits de transformation (alimentaires, distribution d’électricité et d’eau, textile, minéraux, activités extractives, meubles…) à la richesse nationale, est faible. En 2000, la totalité des secteurs ne représentent que 9,2% de la production intérieure au sein d’un secteur secondaire dont l’importance dans le produit intérieur brut n’est guère supérieure à 13,9%. Il convient d’améliorer l’environnement réglementaire par une réforme fiscale et un code des investissements qui tiennent compte de la dimension culturelle du développement.
Camille Amouro