‘’La Cour constitutionnelle n’a pas rendu une décision sentimentaliste’’
La décision Dcc 08-072 de la Cour Constitutionnelle qui condamne les députés par rapport aux nombreux reports successifs des débats pour le compte de la quatrième session extraordinaire a suscité beaucoup de polémique en son temps. {joso}Malgré le communiqué publié par la Haute Juridiction, une confusion entoure toujours la question. Moïse Bossou, professeur de droit à l’Université d’Abomey-Calavi apporte à travers cette interview, un éclaircissement sur le sujet.
La Cour Constitutionnelle a eu à statuer en 2000 et en 2008 sur des questions de procédure législative sur la base de l’article 46 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
Monsieur le Professeur, pensez-vous que la Haute Juridiction puisse déclarer recevables les requêtes introduites par les citoyens au sujet de la violation par les députés de leur propre règlement intérieur ?
Cette question de recevabilité a été déjà soulevée en 2000. Elle resurgit encore aujourd’hui. Le silence de la décision de la Haute juridiction sur la recevabilité de la requête introduite par Monsieur Joseph GNONLONFOUN est à l’origine de cette question.
En fait, dans de nombreux systèmes constitutionnels, le déclenchement du contrôle de constitutionnalité abstrait par voie d’action n’est réservé qu’aux détenteurs de fonctions publiques.
Mais, le souci de protéger la Constitution des abus de l’exécutif, du législatif ou de l’administration a conduit le constituant Béninois à accorder aux citoyens l’action directe en inconstitutionnalité.
C’est dans ce sens que les articles 3 alinéa 3 et 122 de la Constitution permettent à tout citoyen, sans condition de délai, de demander directement à la Cour Constitutionnelle, l’annulation d’une loi, d’un texte réglementaire ou d’un acte administratif qui méconnaîtrait la constitution.
Le requérant n’a pas à invoquer une violation de ses droits fondamentaux ou un intérêt personnel et direct à l’annulation de l’acte en cause. Son intérêt à agir est la préservation de l’ordre constitutionnel. Son action en inconstitutionnalité doit seulement respecter les conditions de forme de l’article 29 alinéa 2 du règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle, qui édicte « que tout citoyen peut, par une lettre comportant ses nom, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des actes qui lui paraissent contraires à la Constitution ».
Dans plusieurs pays africains, on observe la même possibilité donnée aux citoyens. Par exemple, au Burundi, l’article 53 de la Constitution dispose que : « tout personne physique ou morale intéressée peut saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, directement par voie d’action ». Au Gabon, l’article 85 alinéa 2 permet à tout citoyen de déférer les actes réglementaires devant la Cour Constitutionnelle. En République centrafricaine, l’article 70 alinéa 3 de la Constitution dispose : « toute personne qui s’estime lésée peut saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois directement ».
Au regard de tout ce qui précède, l’action en inconstitutionnalité du citoyen Joseph GNONLONFOUN contre une éventuelle violation du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale est parfaitement recevable.
Monsieur le Professeur, comment expliquer le revirement de la Cour Constitutionnelle relatif à l’article 46 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ?
Contrairement à ce que certains journaux ont pu écrire, la Cour Constitutionnelle n’a pas rendu une « décision sentimentaliste » encore moins une décision en fonction de considération d’ordre politique et non juridique.
Il est évident que certaines décisions peuvent inévitablement avoir des répercussions politiques. Mais il n’est pas juste de faire croire que dans la décision DCC 08-072 du 25 juillet 2008, la Cour Constitutionnelle a décidé de l’inconstitutionnalité du report sine die en fonction des considérations politiques. L’accusation n’est pas sérieuse vis-à-vis d’une jurisprudence qui ne contient que des éléments juridiques.
La rédaction de la décision et notamment du dispositif ont visiblement plongé les commentateurs dans un embarras. L’embarras provient de ce que la décision des 31 Août et 2 Octobre 2000 et celle du 25 juillet 2008 se sont référées à la même disposition de l’article 46 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
Les critiques n’ont pas assez prêté attention aux motifs de la décision DCC 08-072. Ils se sont attachés seulement au dispositif et ça se comprend. En fait, il n’y a pas de revirement de jurisprudence.
Monsieur le Professeur, quelle compréhension doit-on alors avoir de ces deux décisions ?
Pour faire apparaître le sens de ces deux décisions, il convient tout d’abord de rappeler les faits de chaque espèce.
1.) Le vendredi 19 Novembre 1999, l’Assemblée Nationale a voté une résolution relative à une suspension des séances plénières et des travaux en commission pour une durée de 72 heures, suite à l’incident survenu le lundi 15 Novembre 1999 sur l’axe routier Cotonou- Porto-Novo et qui a causé des préjudices au cortège du Président de l’Assemblée Nationale.
Cette suspension de séance traduit la révolte des députés mécontents du traitement réservé à leur Président.
La résolution votée par l’Assemblée Nationale et qui portait suspension des séances, n’a eu pour conséquence, qu’une désorganisation du travail parlementaire pendant 72 heures.
2.) Le jeudi 17 juillet 2008, l’Assemblée Nationale a pris la décision d’ajourner sine die, la discussion et le vote de trois projets de loi portant ratification des accords de prêts inscrits à l’ordre du jour de la quatrième session extraordinaire de l’année 2008.
L’ajournement sine die dans le cas d’espèce signifie le report des points inscrits à l’ordre du jour sans fixer une date pour la reprise.
Ces deux situations n’obéissent pas au même régime juridique.
La suspension de séance pour 72 heures votée en 1999 est intervenue dans le cadre de la deuxième session ordinaire de l’année en cours ouverte dans la seconde quinzaine du mois d’octobre. Cette suspension de séance se distingue de l’ajournement sine die en ce sens que dans le cas de la suspension de séance, la résolution votée par les députés ne contient aucun élément qui empêche la reprise après 72 heures de suspension.
L’ajournement sine die vise au contraire, à refuser la poursuite de la tenue de la session extraordinaire et à empêcher de ce fait, toute discussion sur le projet de loi portant autorisation de ratification dont l’initiative est exclusivement gouvernementale. Ce domaine est le seul cas où l’initiative de la loi n’est pas partagée entre le Président de la République et les membres de l’Assemblée Nationale.
Alors, la question se pose : l’Assemblée Nationale peut-elle décider de l’ajournement sine die des questions inscrites à l’ordre du jour d’une session extraordinaire convoquée par son Président, à la demande du Président de la République ? Tout le débat est là.
La Haute juridiction a répondu négativement dans la décision DCC 08-072 : « … En décidant de l’ajournement sine die de l’examen des trois projets de lois relatifs aux accords de prêt, motif pris d’une question préjudicielle constituée par l’installation des conseils communaux, point non inscrit à l’ordre du jour de ladite session, l’Assemblée Nationale a méconnu les dispositions de son règlement intérieur et partant de la Constitution ».
L’objet de l’ajournement sine die décidé le 17 juillet 2008 est de faire constater qu’il n’y a plus lieu de se réunir en session extraordinaire pour examiner les trois accords de crédits. Il s’agit là d’une négation volontaire par l’Assemblée Nationale de son pouvoir délibérant. C’est aussi une violation de la Constitution par abstention.
Déjà, dans la décision DCC 29-94 du 9 septembre 1994, la Cour Constitutionnelle a rappelé « que l’ordre du jour des sessions extraordinaires de l’article 88 de la Constitution, est strictement limitatif et que la session ne peut dès lors sans violer la Constitution connaître d’une autre question …».
On notera que dans la décision DCC 08-072 du 25 juillet, la Cour Constitutionnelle a largement contribué à astreindre le parlement au respect des règles édictées par les articles 88 de la Constitution et 86 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
Selon la Haute juridiction, « l’Assemblée Nationale réunie en session extraordinaire, non seulement ne peut débattre que des questions inscrites à l’ordre du jour pour lequel elle a été convoquée, mais encore, est tenue d’en débattre… ». Il en résulte que les députés ne sauraient en aucun cas en traiter d’une question étrangère à leur convocation.
L’ajournement sine die des questions inscrites à l’ordre du jour d’une session extraordinaire dont la durée ne peut excéder quinze (15) jours revient ni plus ni moins à constater l’opportunité de cette session.
Il s’agit là d’un procédé inadmissible de contrôle politique qui donne droit à l’Assemblée Nationale de se prononcer sur l’opportunité de la session extraordinaire à la demande du Président de la République.
Cette possibilité que l’Assemblée Nationale s’est donnée de rejeter en définitive, au moyen de l’ajournement sine die, une session extraordinaire convoquée à la demande du Président de la République ne rentre pas dans les attributions du parlement béninois.
La tenue d’une session extraordinaire à l’initiative du chef de l’exécutif permet d’éclipser ponctuellement la maîtrise totale par l’Assemblée Nationale de son ordre du jour.
Le dernier alinéa de l’article 88 précise que « l’Assemblée Nationale se sépare sitôt l’ordre du jour épuisé ». Cette formulation s’accommode mal du régime de l’ajournement sine die de l’article 46 parce qu’on est dans le contexte d’une session extraordinaire et non d’une session ordinaire.
Monsieur le Professeur, que pensez-vous du communiqué de presse de la Cour Constitutionnelle ?
La Cour Constitutionnelle n’a nullement besoin de publier un communiqué de presse chaque fois que sa décision est contestée. Cette auto- justification n’est pas digne d’une Haute juridiction dont les décisions sont insusceptibles de tout recours.
La Cour Constitutionnelle ne doit pas se comporter comme un citoyen ou un homme politique pressé de faire jouer son droit de réponse dans les médias.
Les décisions de la Cour Constitutionnelle se suffisent à elles-mêmes et c’est dans ces décisions et non dans les communiqués de presse que la Haute juridiction Constitutionnelle doit se montrer pédagogue.
Réalisation : La Nouvelle Tribune &
L’autre Quotidien{/joso}