Critique

Édem Kodjo, écrivain «Au Commencement était le glaive*» de Édem Kodjo
Sur tout un continent et au-delà, dans le cercle des initiés et de ceux et celles qui pratiquent l’Afrique moderne d’aujourd’hui et de demain1, monsieur Édem Kodjo est sans doute l’homme politique africain qu’on ne présente plus. Vu de loin, la densité de sa personnalité fait bien soupçonner ses capacités multiples qui peuvent suggérer autant l’admiration que la jalousie chez ceux que la nature a peu comblés. Un peu plus près, l’homme se présente souvent attentionné, raisonnablement passionné et bon communicateur. Et alors, on attend qu’il se révèle davantage, qu’il se laisse aller… Voilà qui est fait maintenant, à travers son premier roman, Au commencement était le glaive paru le 25 mars dernier en France, aux Éditions de La Table Ronde, disponible dans les grandes villes africaines et européennes, et  celles d’Amérique du nord.

À travers ces quelques 300 pages, Édem Kodjo se jette véritablement à l’eau en jouant avec de multiples bouées, ses personnages, dont aucun ne vole la vedette à l’autre. Au fait, a-t-il peur de se noyer en coulant à pic à son premier saut dans l’océan littéraire ? Au commencement était le glaive est un roman nomade qui déménage sans cesse lecteurs et lectrices entre la célébration de la beauté et la condamnation de la haine, jusqu’au jour du dernier jugement ordonné par un «Volcan en furie», le Moromoro, déçu des excès de l’espèce humaine.
Des excès dites-vous ? L’auteur ne s’en est pas privé. Au chapitre de la beauté physique fulmine la divine Fantamadia Funlayo érigée en «Monument national». Ce patrimoine d’élégance africaine, sculpté d’une main de connaisseur de la gente féminine par un Édem Kodjo littéralement en transe, est au centre d’un panthéon où rayonnent la beauté intérieure de la reine mère Immaculée Kagerassa, la beauté spirituelle du père franciscain Idelphonse Mfuni, la beauté intellectuelle de Ranassom -le prince pétri de connaissances et de délicatesses et, enfin, la beauté philosophique du vieux fou, le sorcier Mankan, s’appuyant par endroit sur une beauté naïve et naissante du petit orphelin Aznari.
Aux côtés des sublimes, la cupidité humaine sert de passerelle à une haine dévastatrice entre personnages hauts en couleurs et en épopées. Rignin (Rien) ne sera épargné dans un camp (Hamouris) comme dans l’autre (Bamounas) pour sortir cannons, conseillers, généraux, princes, courtisans, charlatans, journalistes, chevaux et glaives pour en finir et faire gicler du sang, partout. Rignin! assène souvent Chafou le Terrible, le seul et unique chef, le Conducator colérique du peuple des Bamounas. Chafou le Terrible a hérité de ses ancêtres Bamounas une dent très longue contre le peuple voisin des Hamouris et la dynastie des Cheikh Saleh qui y gouverne. Le duel, corps à corps, entre ces deux dirigeants voisins, Saloum Cheikh Saleh et Chafou le Terrible, transformera toute la riche contrée en un univers de violence aveugle et inutile qui constitue encore la triste réalité de certains peuples.        La première œuvre romanesque d’Édem Kodjo a une prise solide et ferme sur la réalité politique de l’Afrique, d’une Afrique encore ventripotente d’inutiles cycles de ressentiments vengeurs. Édem Kodjo a d’abord écrit un roman qui lui ressemble; il a épousé la femme qu’il a toujours fréquentée et qu’il connaît le mieux : l’Afrique. Noces alléchantes, pari gagné!
D’une écriture tricotée serrée au début du roman, l’auteur a joué gros, au risque de ne pas accrocher ses lecteurs dans les premières pages. Ne vous y méprenez pas du tout! Tout au plus, soulignez quelques mots pour y revenir, si le cœur vous en dit. Mais ici encore, les vertus de la patience et de l’effeuillage littéraires ainsi que votre propre côté activiste, voyeur et le Sakabo en vous – ce que ravive souvent l’auteur, sauront vous gratifier d’une histoire soutenue et des personnages désespérément contemporains et tragi-comiques. Heureusement que ces Chafou et Cie n’existent que dans l’imagination féconde de l’auteur de Au commencement était le glaive : une lecture captivante.

Pierre S. Adjété Pierre S. Adjété
Montréal, Québec
Canada (Footnotes)
1 Également du même auteur, Édem Kodjo Et demain  l’Afrique…  Éditions Stock, 1985.

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