Le changement est mort, vive le changement!
« Ceux qui veulent gloser doivent regarder autour d’eux si rien ne cloche. »
Molière Je ne regarde plus la télé. Et je peux assurer mon monde que les deux seules choses que je perds, c’est le plaisir d’une conversation amusante avec la vendeuse de plantes médicinales ou le brin d’humour à jeter à une servante de pharmacie qui ne le comprendra pas. A y voir de près, je ne perds finalement rien puisque la vendeuse de plante médicinale ne se plairait pas à une conversation si, au bout du compte, le fric ne tombe pas dans ses mains. Et c’est un euphémisme de dire que ces temps-ci, le fric a du mal à tomber dans la plupart des mains, vu qu’il s’amasse, telle une danse des gamètes, autour de la garniture chromosomique de la haute autorité.
Pourquoi je ne regarde plus la télé ? Parce que, à l’instar des autres appareils électroménagers et même d’une lampe à néons, la SBEE m’a bousillé le poste. Il faut dire que ce dernier a la peau dure, étant donné le nombre d’appareils qui l’ont précédé. Car, décidément, il faut reconnaître que le super technicien chargé des coupures et des remises dans notre capitale a un sérieux problème avec la pluie. J’ai comme l’impression que la pluie le rend nerveux. Il en arrive à perdre tous ses sens. C’est ce qui explique la dizaine, la quinzaine ou, dernièrement, la vingtaine de coupures à chaque pluie. Et, ayant déjà perdu sens et patience, il nous envoie le jus comme de l’adrénaline, avec une telle violence que même les régulateurs en craquent. Voilà pourquoi je ne regarde plus la télé.
Pourquoi je ne m’en plains pas ? Parce que cela ne servirait à rien. La SBEE est au service des plus riches et je n’en fais pas partie. Ils demanderont si j’ai une assurance. Déjà que j’ai du mal à régler la facture de moins en moins gentille. Je comprends pourquoi la voisine de mon ami Jacob ne votera jamais pour Madame Gbèdo : elle gagne trente mille francs par mois dans l’administration où elle travaille et le loyer de son appartement de deux pièces, à Cotonou, s’élève à vingt mille francs ; quand elle a payé l’électricité et l’eau, il lui reste zéro franc. Il lui faut donc sortir avec un député marié pour assurer le déplacement, le repas et la santé. Et ce n’est même pas qu’elle est extravagante ! Elle est juste raisonnable. Donc un conseil à Madame Gbédo : dans la situation actuelle, vous ne pouvez compter que sur le sexe masculin, sur des voix masculines pour vous porter au pouvoir. Les femmes ont trop à perdre en soutenant d’autres femmes.
Pour en revenir à la télé, je ne m’en plains pas non plus parce que j’ai découvert qu’elle ne servait à rien. Et qu’en définitive, je n’étais pas marginal. Dans les bureaux de l’administration où il y a un poste qui fonctionne, seuls les plus grands patrons se connectent à la chaîne nationale pendant les trente minutes des infos. Le reste du temps ils sont sur des chaînes étrangères, comme les autres patrons. On ne peut leur en vouloir, car même ceux qui captent la nationale pour les infos le font par réflexe, étant donné que les vraies infos, ils les ont déjà sur les autres chaînes. En ce qui concerne l’actualité nationale, les rumeurs de la rue sont traitées avec plus de professionnalisme et surtout plus d’humour. Alors, pourquoi y gaspiller de l’énergie ?
Et j’en oublie où je voulais en venir. Ah ! J’apprends que le chef de l’Etat va procéder à un remaniement ministériel et que ce coup-ci, le gouvernement serait bien politicien, c’est-à-dire qu’il intégrerait les G machins. Un tel aveu d’échec est louable. Je veux dire que dans le bras de fer qui a opposé jusque là les cauris et les G, les derniers n’ont réclamé qu’une chose : entrer au gouvernement. Transformer le jet de pierres en jet de cauris. Bouffer ensemble. Or, finalement, les cauris ne se sont pas montrés franchement plus compétents et plus ouvriers. Ils ne peuvent donc plus prévaloir d’une légitimité populaire pour tenir tête aux G. Ils décident donc de mettre fin au « changement », opposant ainsi, à l’alternative de l’autocritique ou de la démission, celle du retour. Je dirais même d’un « retour en arrière ». C’est ce que les Japonais appellent hara-kiri.
Camille Amouro