/food/zotti.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » » » /> «Poulet-bicyclette et Cie» de Florent Couao-Zotti
Florent Couao-Zotti vient de nous offrir un nouveau livre, Poulet-bicyclette et Cie, paru cette année chez Gallimard, dans la collection «Continents Noirs».
Comme L’homme dit fou et la mauvaise foi des hommes, publié en 2000, il s’agit d’un recueil de dix nouvelles, une sorte de chronique de la vie quotidienne des marginaux et des exclus de la société béninoise contemporaine. Avec cette différence que, cette fois, les textes ne se limitent plus à l’espace urbain de Cotonou ; ils explorent également ses franges (Fidjrossè-Plage), sa banlieue proche et lointaine (Sème, Kraké-Plage, «la route des pêches» jusqu’à Grand-Popo), mais aussi Porto-Novo, un village du Borgou, et même un oued du sud du Sahara.
«Femelle de ta race», la première nouvelle du recueil, a pour thème la situation d’un jeune enfant écartelé entre son père et sa mère qui vivent désormais séparés. Elle nous fait vivre le combat intrépide de la femme pour sauver son fils de l’action malfaisante des «christianistes-célestes» qui, à la demande du père, personnage fantasque et intraitable, ont organisé une séance d’exorcisme «pour le libérer de sa mère».
«Barbecue blues», ce sont les tribulations d’un jeune rôtissier et d’une femme aux prises avec des trafiquants de drogue et des douaniers lubriques et corrompus dans la zone frontalière de Sèmé. Une excellente illustration de l’écriture couao-zottienne : courses poursuites, affrontements sanglants, coups de feu, sexe en désordre … Tout se déroule dans une sorte d’infra-humanité sordide où les rapports entre individus n’obéissent qu’à l’intérêt et à la loi du plus fort.
«Les amants du soleil» nous mène, entre poésie et mystère, vers les rives des amours mortelles d’une mamysi, une fidèle de Mamy Wata, la déesse des eaux, et d’un poète qui découvrent qu’ils sont frère et sœur nés d’un même père. Ce texte évoque, par certains côtés, Les fantômes du Brésil, roman du même auteur paru en 2006.
«Métal rapiécé» décrit les métamorphoses d’une «venue de France», une voiture de deuxième main, transformée successivement en corbillard, restaurant ambulant, maison close sur roues, taxi sur la ligne Cotonou – Porto-Novo, et qui finit sa course dans un incendie. Isolée sur la route, elle semble toujours attendre une nouvelle vie comme l’indique l’inscription qu’elle porte à son fronton : «Agbélenko», (la vie est encore devant). L’histoire de ce tacot increvable racontée avec beaucoup d’humour par lui-même ne fonctionne en réalité que comme un prétexte pour passer en revue la vie des fonctionnaires retraités, des gagne-petit, des prostituées, des pasteurs des nouvelles églises et, surtout, la mentalité et le sens de la débrouillardise du petit-peuple.
«Le fils de l’ancêtre» prend ce titre parce qu’ainsi apparaît aux yeux d’une communauté de pêcheurs profondément superstitieux un nourrisson vivant poussé sur la plage par la mer. On décide unanimement de le rejeter dans les eaux dans l’attente d’une confirmation de la légende du retour annoncé du chef de la lignée mort noyé depuis deux cents ans. Le bébé est définitivement englouti par les flots. C’est alors que Djodjo, la folle du village, vient, désespérée, réclamer son nouveau-né, mettant à nu, elle la folle, les effets néfastes de certaines croyances populaires.
Le texte suivant, «le retour du mort», revient sur ce thème de la vie après la mort comme pour souligner, à travers un drame d’amour presqu’ordinaire, que la réalité est plus vraie que la légende. Parce qu’il convoite Essivi, la fiancée de Datchê, Akuété agresse ce dernier à la pêche et le laisse pour mort en pleine mer. Quarante jours après – très exactement… pour ne pas quitter le registre funèbre – Datchê revient au village. L’émoi est naturellement à son comble. «Le fantôme» finit par convaincre les villageois qu’il n’est pas mort, et raconte comment son «frère» Akuété a tenté de l’assassiner. Confondu et acculé, Akuété se rue sur Datchê pour le poignarder, mais le sort a voulu que ce soit Essivi qui reçoive le coup fatal, «exactement dans le sternum, la césure qui divisait ses seins en deux, les grosses pointes rondes qui assoiffaient tellement l’envie des deux hommes».
«Enfant-siège, enfant sorcier» raconte le combat titanesque d’une femme bariba pour arracher son nouveau-né, supposé «enfant sorcier» parce que né par le siège, à une mort programmée au nom de la tradition. Guécadou, avec l’aide inespérée des dieux, sort victorieuse de cet affrontement implacable, mais elle doit s’exiler avec son bébé et son mari. Suspense, rebondissements, émotions vives, intensité dramatique sont les principales caractéristiques de ce texte poignant sur les dérives de la tradition et le poids de l’ignorance dans la vie des hommes. Le recours au surnaturel pour un dénouement heureux traduit l’indignation et la révolte de l’écrivain qui proclame ainsi, sans ambages, l’incapacité des sociétés engluées dans la tradition à s’humaniser sans l’intervention vigoureuse d’une puissance régulatrice pour sortir de la nuit.
La nouvelle suivante, intitulée comme par hasard «Sortir de la nuit», est un long poème qui rapporte un drame de l’amour et de la jalousie. Pour avoir tué sa «belle-mère» qui était en fait son amie avant d’être détournée par son père qui en a fait son épouse, la narratrice est condamnée à dix ans de prison. Libérée au bout de cinq ans, elle tente de réintégrer sa famille mais son père et des demi-frères la rejettent.
Quant à «Brèves de mur», une nouvelle au titre étrange qui constitue à elle toute seule un recueil de nouvelles brèves (une à deux pages) dans le recueil de dix nouvelles, elle a pour élément central le mur de séparation entre les maisons de deux vieilles familles de Cotonou ; mur qui est le témoin de toutes sortes d’histoires, des plus amusantes aux plus tragiques, déroulant une chronique de la vie quotidienne dans un quartier populaire.
Enfin, «La femme étoile» a pour thème la vengeance de Farda, une femme du désert, assassinée par son beau frère parce qu’elle a résisté sans concession au lévirat. Le face-à-face de la défunte avec son meurtrier a lieu à Cotonou où ce dernier s’est exilé avec le fils de la victime. S’agit-il ici aussi du mystère de la vie après la mort ? Farda a-t-elle effectivement péri dans l’incendie de sa case par la bête lubrique aux naseaux fumants de la tradition ? Il reste qu’elle se refuse au pardon malgré les remords du criminel. Malheureusement le feu de la vengeance tombe, par la faute du vent, sur son enfant qu’il enveloppe comme un boubou.
Avec ces dix nouvelles, où la réalité s’allie souvent au mystère, l’observation la plus rigoureuse à l’irruption du merveilleux générateur d’utopies scintillantes, Florent Couao-Zotti semble prendre un plaisir espiègle à explorer les potentialités du genre : nouvelle brève, nouvelle courte, nouvelle «classique», nouvelle longue, nouvelle à la première personne, nouvelle à la deuxième personne, nouvelle à la troisième personne, nouvelle en prose, nouvelles en vers, nouvelle-en-prose-et-en -vers, recueil de nouvelles, recueil dans le recueil… pour donner une dimension nouvelle à un projet littéraire aussi stylistiquement savoureux que profondément humaniste, et qui prend de l’épaisseur d’année en année.
Guy Ossito MIDIOHOUAN