Quand Alougbine Dine exporte le classique sur le marché populaire
«Médecin malgré lui» de Molière, présenté le week-end dernier au théâtre de verdure de la Maison internationale des jeunes de Porto Novo, par les élèves de l’Ecole internationale de théâtre du Bénin (Eitb), a été d’une grande réussite.
Réussite que l’on doit au metteur en scène Alougbine Dine, directeur de l’Eitb. Il a réussi à adapter cette pièce classique aux réalités africaines. Il l’a lavée de sa carapace d’hermétisme pour en faire une œuvre digeste, compréhensible par les différentes couches de la société: enfants, jeunes, adultes, analphabètes, déscolarisés, lettrés, profanes et professionnels des arts de scène.
Molière est, avant tout, un auteur difficile à comprendre. La langue française, il en fait une exploitation assez savante. Entre ses rimes, ses rejets et ses relances, on se perd des fois. On s’ennuie même. Mais, à la représentation de Porto Novo, l’ennui a été absent. Il a déserté le podium. Il n’était pas au rendez-vous.
Le déclic se manifeste dès l’entrée sur scène des comédiens. Ils saluent le public, chacun dans une langue particulière. Tout de suite, on les croit sur une tour de Babel. Mais c’est la pièce qui commence ainsi. Tout le chahut est d’une cohérence parfaite. Il s’agit d’une conversation qui plante le décor et annonce en filigrane la trame de l’histoire. Lucinde, une fille que son père Géronte décide de marier de force à un richissime homme alors que cette dernière est amoureuse d’un jeune homme musicien sans fortune du nom de Léandre. Pour empêcher son père d’arriver à bout de sa décision, Lucinde se fait désormais passer pour une muette. Cela tourmente le père au point où il devient très agiter.
Il envoie des émissaires à la recherche d’un médecin pouvant ôter à sa fille ce mal subit. Les émissaires tombent sur Martine qui, pour se venger de son époux Sganarelle qui l’a souvent battue, leur indique ce dernier. Puis elle ajoute avec insistance de le bastonner au cas où il nierait qu’il n’est pas médecin. Sganarelle devient ainsi médecin malgré lui, contre son gré, parce que violenté. Il use alors de ruse et d’astuce pour séduire le père de la «malade». Il donne un remède qui s’avère inefficace. Mais il ne perd point son latin. La langue bien déliée, il continue avec ses démonstrations farceuses. Léandre vient à lui et se confesse. Il se saisit de l’occasion pour aider ce dernier à s’enfuir avec la fille. Le couple reviendra dans le tableau final et Géronte découvre enfin que Léandre est un héritier, et donc, tout aussi riche. Il consent alors à leur liaison.
Alougbine Dine met beaucoup d’actions dans le spectacle. Au premier plan l’interférence avec des langues africaines. En fait, sur la scène, on retrouve plusieurs nationalités (béninoise, burkinabé, nigérienne, nigériane, tchadienne). Il y met également des effets comme la pluie, l’expression du subconscient, de l’alcoolisme, etc. Sans même comprendre le français, on saisit l’essentiel du message. En plus, il s’agit d’une histoire encore d’actualité dans certains pays africains dont le Bénin. Le mariage forcé. Une thématique longuement traitée dans la littérature africaine par des auteurs comme Seydou Badia, Ferdinand Oyono et d’autres. Des organisations non gouvernementales ainsi que des structures étatiques continuent la sensibilisation sur le terrain contre le phénomène. Ce qui donne à la pièce de Molière (qui a vécu de 1622 à 1673), un caractère actuel. Mais cela seul n’a pas suffi pour faire de la pièce une réussite. Il a fallu la main de maître du metteur en scène mais également la discipline des comédiens comme Virginie Tonari et Hadje Ahta Saimone du Tchad, Elie Dossou Ndonoussou, Carlos Dossè, Mohamed Maman, Gisel Adandédjan et Mariam Datta Traoré du Bénin, Boubakar Seini Moussa du Niger, Laure Guiré du Burkina Faso et Fumilayo Alao du Nigeria.
Fortuné Sossa