Bientôt la production à grande échelle.
Au Bénin, des études sont en cours afin de déterminer une politique cohérente de développement des agrocarburants à un niveau industriel, sans mettre en péril l’agriculture familiale. Certains projets n’ont pas attendu leurs résultats pour débuter. La production à grande échelle se prépare. «Bien qu’embryonnaire, le secteur des agrocarburants au Bénin suscite un fort engouement», s’enthousiasme le Directeur général adjoint (DGA) de l’Energie au Bénin, Justin Agbo. Ce pays de 114 600 km2, avec 8% de terres cultivées sur ses 62% de terres arables, n’a pas établi de plan de développement des carburants «verts», même si des initiatives disparates existent (voir infra). «Nous sommes à l’étape des études de faisabilité», précise un cadre du ministère des mines, de l’énergie et de l’hydraulique (MMEH). À en croire ce dernier, ces études, commanditées par l’Etat via un crédit de la Banque mondiale, ont été confiées à un cabinet d’experts italiens Etaflorence suite à un appel d’offre international. Leurs résultats seront disponibles avant la fin de l’année 2008.
D’après la Direction de l’énergie du Bénin, la consommation d’essence du pays est passée de 210 000 tonnes en 2000 à 376 125 tonnes en 2005, soit un taux d’accroissement de 45%. D’après une estimation de cette même Direction, la consommation était de près de 450 000 tonnes en 2007, pour une facture d’environ 400 millions d’euros. Pour réduire cette facture énergétique, l’approche des agrocarburants paraît intéressante.
Priorité alimentaire
«Pour des raisons de sécurité alimentaire, le Bénin opterait pour la pomme d’anacarde et la canne à sucre afin de développer sa filière de bioéthanol, car ces cultures sont très peu impliquées dans l’alimentation», estime le Docteur Christophe Gandonou, enseignant à l’Université d’Abomey Calavi au Bénin, et expert sur les questions liées aux agrocarburants. Pour la production de biodiesel, «le Bénin a opté pour l’exploitation du jatropha sur des terres dégradées», rappelle le Docteur Gandonou. Le principe retenu à l’unanimité par les acteurs du secteur au Bénin est que la promotion des agrocarburants ne doit pas mettre en péril la production alimentaire. Pour cela, «un bon dosage entre la production de vivres pour l’alimentation et les produits industriels est à prévoir pour permettre à l’agriculture familiale de subsister», conseille Justin Agbo. Pour y parvenir, il est prévu que les droits fonciers des paysans soient garantis et renforcés, et que la culture industrielle vers laquelle se dirige le Bénin ne leur soit pas imposée. Le but serait d’opérer une association dans une proportion réfléchie entre les cultures vivrières et les cultures d’agrocarburants, comme cela s’opère dans la production de coton.
Ces études aborderaient également les questions de disponibilité des terres et des sols appropriés à la production. D’après les premiers résultats, 2% des terres suffiraient pour développer les cultures d’agrocarburants.
En outre, les aspects relatifs aux technologies essentielles pour un bon rendement, celles inhérentes au financement et à la réglementation (aspects politiques, législatifs et partenariat public-privé) seront aussi pris en compte. «À côté des études commanditées par le ministère, nous travaillons sur la définition du plan stratégique, du plan d’action et sur la mise en place d’un cadre réglementaire et institutionnel», témoigne le DGA Agbo.
Le Bénin s’est tourné vers l’expérience brésilienne et a signé un protocole d’entente avec le Brésil en 2007. À travers ce protocole, ce dernier apportera à l’Etat béninois assistance technique et appui en formations. Dans cette optique, plusieurs missions d’experts brésiliens se sont rendues au Bénin afin de prospecter le terrain pour découvrir les opportunités existantes.
Des expériences et des projets en cours
Depuis quelques années, des initiatives sont prises ici et là au Bénin par des organisations non gouvernementales pour la recherche sur le jatropha curcas et son expansion. C’est ainsi que l’Ong Jeunesses sans frontière Bénin (JSF-Bénin), Africa Cultures et le Groupe de recherches scientifiques et techniques sur les énergies renouvelables (GRSTER-ONG) s’investissent en suscitant et en soutenant les efforts de production dans les zones rurales. À Dotan et Avogbanan, deux villages au centre du Bénin, le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarité (GERES) a mis en place il y a plus d’un an un projet d’appui à des groupements féminins pour la promotion du pourghère et la sensibilisation des populations à l’utilisation de son huile. Dans le département du Zou, au centre du Bénin, 25 ha de plantations ont été mises en place par le GERES dans une démarche expérimentale. Les huiles sont utilisées au niveau local pour faire fonctionner les moulins à maïs, les groupes électrogènes dans cette région où le pétrole est rare et cher.
Des sociétés étrangères installées au Bénin, pour beaucoup chinoises, produisent cependant déjà à l’échelle industrielle du bioéthanol à base de manioc à Logozohè, au Sud-Ouest du Bénin, et de canne à sucre, à Savè au Centre. À Logozohè, le manioc transformé est acheté auprès des populations. Par contre, à Savè, il existe un contrat de concession entre le gouvernement et les Chinois qui gèrent la société sucrière et par conséquent les plantations de canne à sucre qui s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares. Les populations y vendent leur force de travail et leurs produits, mais se plaignent souvent des revenus qu’elles estiment insuffisants.
Guy Christian Roko
InfoSud
Positions régionales
Dans sa lettre de politique agricole de décembre 2007 consacrée au «Développement des biocarburants et formulation des politiques agricoles futures en Afrique de l’Ouest et du Centre», la Conférence des ministres de l’agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (CMA/AOC) (1) faisait part de ses inquiétudes réelles pour les consommateurs des pays membres face aux dangers de concurrence du secteur avec les cultures alimentaires. Cependant, elle insiste sur le fait que «cette situation offre aux producteurs un contexte économique favorable au développement des productions locales. En effet, malgré les subventions et autres aides à l’agriculture des pays développés, le secteur agricole des pays en développement gagne dans cette situation une compétitivité réelle pouvant permettre une relance durable de la production». Pour la CMA/AOC, les investissements doivent se concentrer sur la filière des agrocarburants de seconde génération qui utilisent la lignine, la cellulose et les déchets de la production agricole pour la fermentation alcoolique. Pour la filière huile, l’utilisation de micro algues permettrait des rendements supérieurs à ceux des végétaux terrestres et ne représente pas une menace pour la sécurité alimentaire (Actuellement, aucun pays n’a véritablement opté pour cette filière). Ces carburants devraient être utilisés «prioritairement pour le secteur agricole afin de relever les défis de croissance dans le secteur. En effet, aussi bien la mécanisation que l’irrigation est consommatrice d’énergie et le secteur gagnerait à trouver des sources d’énergies moins chères et polluantes».
L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), qui regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, a rédigé un programme régional de biomasse énergie afin d’élaborer une politique énergétique commune. Selon le rapport réalisé sur le secteur des bioénergies par la Fondation des Nations unies, de grandes disparités existent dans les politiques menées dans les pays de l’UEMOA, où des initiatives très diverses sont actuellement menées sous le mandat de nombreux ministères et agences gouvernementales.
Dans son document stratégique, l’UEMOA appelle à un renforcement de cadres institutionnels et réglementaires appropriés dans chaque pays membres, à leur application effective et à leur harmonisation à un niveau régional. «L’Afrique de l’Ouest, disposant de terres, de cours d’eau et d’une importante main d’œuvre agricole pourrait être le champ de production de cette énergie propre, renouvelable et générant une forte valeur ajoutée car alliant l’agriculture, l’industrie, l’énergie et l’environnement. Aussi, pour anticiper cette nouvelle donne, la vision de l’UEMOA est d’insuffler une véritable politique de développement rural intégré, axée sur des politiques nationales de bioénergie», expose le document. L’Union envisage le développement du secteur pour le marché intérieur avant toute exportation. Son travail doit maintenant se concentrer sur l’élaboration de standards qui pourront garantir la durabilité des agrocarburants produits dans la région.
Maude Malengrez InfoSud
(1) La Conférence des ministres de l'agriculture de l'Afrique de l'Ouest et du Centre (CMA/AOC) est une organisation intergouvernementale qui regroupe les ministres de l'agriculture et/ou de l'élevage des 20 pays membres d'Afrique de l'Ouest et du Centre ; dont 14 pays de l'Afrique de l'Ouest et 6 d'Afrique Centrale.