Mini traité de transhumance politique au Bénin
Quand on l’a vu, à l’issue de son élection, arborer son sourire Colgate, chanter un air bondieusard, tout le monde s’est dit que, décidément, Mathias Gbèdan a poussé loin et au niveau artistique, la transhumance politique.
Avoir trahi les siens et en même temps, demander à Dieu de venir bénir son acte relève de l’art dantesque, à moins que ça ne soit du cynisme, un braquage à bout portant de la morale.
Mathias Gbèdan n’est pas le seul à s’être illustré de cette façon ces derniers mois. Avant lui, Isidore Gnonlonfou, un autre élu du PRD, s’est offert une échappée brutale vers la mouvance. Mais contrairement au maire de Sèmè-Kpodji, lui, a eu la délicatesse de créer un club de quartier pompeusement baptisé « parti », une espèce d’escale technique vers la destination FCBE. Ça fait sans doute moins braderie, moins deal, n’empêche, ça sent quand même la putaille.
Mathias Gbèdan, Isidore Gnonlonfou et autre Kendajhoundé ne sont que les derniers transhumants d’une liste aussi longue que dix-neuf ans de renouveau démocratique. Depuis 1990, l’histoire politique du Bénin a, en effet, été marquée par ce phénomène récurrent. Tous les partis politiques ont subi le départ de beaucoup de leurs cadres vers les forces adverses. Il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur, ni d’un pied de nez politique fait à l’endroit de leurs formations d’origine ; mais d’une transhumance au sens premier du terme, c’est-à-dire la migration d’un lieu hostile vers des espaces plus verts, des espaces censés offrir des aires de pâturages.
Car, l’idée de la transhumance fait penser à l’errance, à la recherche forcenée d’un endroit susceptible d’accueillir les besoins de l’itinérant. Autrement dit, un acte de bestialité pur et simple, la démarche d’un traine-misère au ventre talonné par la faim. Car, certains hommes politiques béninois ont définitivement réduit leurs ambitions à leurs ventres. Si, avec leurs mandats, ils peuvent s’offrir quelques commodités, avec les enchères qu’ils organisent autour de leurs titres, il leur est possible de se garantir beaucoup de choses que leur position de départ les empêcherait d’obtenir : de l’argent (beaucoup), des biens matériels plutôt clinquants, du confort pour leurs familles, mais surtout des maîtresses. Oui, heureux qui, comme Gbèdan et consorts utilisent la transhumance comme on entre en religion.
Nos sympathiques comédiens avancent souvent le fait que leurs idéaux ne trouvent plus d’échos au sein de leurs partis d’origine. Ils disent ne plus même se reconnaître à travers les actes produits par leurs ex-présidents. Exact : c’est une vérité biblique que dire que leurs chefs gèrent les partis politiques comme des potentats tout puissants. S’ils admettent la contradiction, c’est pour mieux identifier ceux qui sont « contre eux ». Ayant, avec quelques uns, le cordon de la bourse, ils ne voient pas comment des cacabas, nés de la dernière pluie, viendraient leur tirer les poils des narines, sous prétexte de débat démocratique !
Mais ça, nos joyeux lurons le savent depuis le début. Ils le savent mais, ont accepté d’être tout pour leurs chefs: cireurs de babouches, coursiers, conseillers techniques aux emplettes fessières, pourvoyeurs en crânes de mort, démarcheurs de bokonons, etc. Tout cela pour être dans leurs bonnes grâces afin qu’ils les positionnent sur la liste électorale ! Et tant qu’ils ne sont pas élus, ils sont prêts à recommencer les mêmes corvées. Avec le divin sourire.
Mais dès que le peuple, par son vote, leur donne mandat comme conseiller ou député, nos amis changent brutalement de convictions. Désormais, ils ne pensent qu’à une chose : vendre leurs consciences au plus offrant, surtout à la force politique adverse. Dès lors, négociations, marchandages et autres deals sont engagés.
Comment expliquer que ce sont eux, les élus, qui, du jour au lendemain, décident de partir ? Pourquoi attendre d’être députés, conseillers et autres pour démissionner et prendre le large? Parce que dans le contexte actuel, un élu est un objet, une marchandise qu’on peut vendre, acheter ou échanger. Les putes ne font pas mieux.
Mais question à la force politique qui achète ces « traitres » : sera-t-elle fière de les accueillir ? Pourrait-elle avoir confiance en ces gens qui, dans le futur, n’hésiteraient pas à leur planter le même couteau dans le dos ? Si les FCBE acclament à tout rompre ces transhumants, c’est avec la même peur au ventre qu’ils les observent. Ils savent que l’infidèle n’a pas peur de trahir une deuxième fois, c’est la première fois qui est difficile.
Florent Couao-Zotti