Un Etat apolitique ?
« Vous autres mes chers amis zémidjans, dans la situation actuelle de notre pays, ne voyez-vous pas que le chef de l’Etat a parfaitement raison de se passer de tous ces partis politiques pour travailler ? » ;
« C’est la politique qui a toujours arriéré notre pays. Les politiciens ne sont pas sérieux. Ils ne pensent qu’à leur ventre. Laisser le chef de l’Etat faire le travail pour lequel le peuple l’a élu à une écrasante majorité. Car son élection est un désaveu pour la classe politique. »
Voilà autant de propos et de réponses ordinairement servis par certains de nos concitoyens soit au kiosque de journaux sur la route du Camp Guézo à Cotonou ou tout simplement à la faveur d’un micro-trottoir pour apprécier le comportement des députés à l’Assemblée nationale à l’issue d’un débat parlementaire achevé à queue de poisson. Ces affirmations largement répandues dans l’opinion publique béninoise trouvent leurs marques à chaque élection présidentielle où les populations barrent systématiquement la route du palais de la Marina aux responsables des partis politiques aspirant à la fonction de chef d’Etat.
Ce comportement peut traduire deux motivations essentielles. La première s’apparente à une sanction à l’égard des acteurs politiques ayant mal conduit l’action publique et qui se présentent aux élections pour être évalués par les populations. Ce qui ne devrait susciter aucun étonnement chez un observateur averti car relevant des règles du jeu d’une vie politique normale. La seconde apparaît comme un profond rejet de l’activité politique ou tout simplement de la politique elle-même perçue comme une activité perfide, obscure et malfaisante, incapable d’insuffler à ses pratiquants le sens des valeurs positives.
On reproche à certains acteurs politiques béninois de ne pas bien jouer leur rôle ; de mal gérer les affaires publiques lorsque l’occasion leur est offerte ; de ne pas définir clairement leur projet de société ; de ne pas animer leur parti politique comme souhaiter par la constitution ; de n’attendre que les périodes électorales pour aller vers les populations ; de ne pas, de ne pas etc., etc. Sans vouloir absoudre ces acteurs politiques de ces égarements, il n’est quand même pas superflu de souligner que ces pratiques ne sont pas l’apanage des seuls acteurs Béninois et que même sous des cieux insoupçonnés, ces déviances trouvent des terrains plus fertiles et prospèrent malheureusement. Cet état de chose n’a pourtant jamais dénié aux personnels politiques de ces pays leur rôle prépondérant dans la gestion des affaires de leur citée.
Il est donc opportun de s’interroger sur la logique qui sous-tend les attitudes de rejet à la fois des acteurs politiques et de toute vie politique dans notre pays. Puisqu’ il serait irrationnel de déplorer une situation et de l’expédier sans chercher à savoir ses causes et explorer au besoin les pistes qui pourraient la normaliser.
Le paradoxe
De nombreux partis politiques ont vu le jour au Bénin à la faveur du pluralisme prôné à la conférence nationale de février 1990. La nouvelle constitution leur assigne le rôle d’animateurs de la vie politique. De ce fait, les partis politiques sont les seules structures autorisées à siéger à l’Assemblée nationale par exemple par le truchement du scrutin de liste aux élections législatives. Les candidatures indépendantes et isolées sont interdites. Mais cette obligation d’être partisan et militant n’est pas faite aux prétendants à la fonction de chef de l’Etat. Il s’en suit que n’importe qui se conformant aux règles particulières pour l’élection du président de la République peut avoir cette prétention. Ceci ouvre les portes de l’espace public à des acteurs apolitiques qui pourtant auront à charge l’Etat qui est par essence une institution politique majeure. Et voilà lancée une nouvelle classe d’hommes et de femmes officiellement admis sur la scène politique : la classe apolitique.
Ainsi depuis 1990, aucun membre de parti politique, aucun chef de parti n’a accédé à la magistrature suprême. Ils ont soupçonnés de ne s’occuper que de leurs partisans une fois élus. Ils sont soupçonnés de n’avoir les yeux que pour les ressortissants de leur région d’origine et ses ressortissants, une fois élus. Du coup, le dévolu des populations « dressées » contre les politiques est jeté sur des personnes n’ayant presque jamais reçu un mandat politique électif ou même nominatif.
La participation des politiques à la conduite des affaires publiques passe finalement par le soutien qu’ils auront apporté à l’Elu apolitique non partisan soit au premier tour de l’élection présidentielle soit au second par report de suffrages. A l’occasion de cette participation, l’Elu leur octroie selon parfois ses humeurs et bafouant les accords scellés, quelques fonctions politiques notamment ministérielles. Au gouvernement, les ministres issus de partis politiques se trouvent soumis aux caprices, aux états d’âmes et aux injonctions souvent humiliantes du chef apolitique du gouvernement.
Les chances pour intégrer leurs perceptions des choses à l’action globale restent très étriquées et parfois inexistantes. Les ministres sont utilisés comme des fusibles par le chef du gouvernement quand il se trouve en difficultés face à certains dossiers. Ce sont eux qui sont limogés quand ça ne va pas. Ce sont eux les responsables des situations intenables. Mais lorsque certaines actions ont du succès, c’est le chef du gouvernement qui s’arroge les fleurs et ses mérites sont claironnés aux quatre coins du monde.
Cet environnement gouvernemental offre très peu d’espace aux initiatives autonomes des ministres. D’ailleurs le type de régime en vigueur fait du président de la République un « Léviathan », un monarque dans la République. Parallèlement à ces démarches d’humiliation des mandants des partis politiques au gouvernement, le chef de l’Etat met en œuvre un mécanisme d’affaiblissement des structures politiques à travers leur scission, à travers des débauchages de cadres et beaucoup d’autres méthodes destabilisatrices.
Repenser la démocratie?
Après avoir expérimenté toutes formes de régimes entre 1960 et 1989, le Dahomey devenu Bénin a ouvert depuis bientôt vingt ans les portes d’une démocratie participative sur fond de libéralisme économique et de liberté dans maints domaines. Ce modèle de gestion de l’Etat a fait et qui continue de faire ses preuves sous d’autres horizons. Nous sommes donc dans un schéma d’imitation de ce que nous pouvons au besoin améliorer si nous en avons les ressources. Ce qui paraît au jour d’aujourd’hui peu probable.
Seulement nous avons une drôle de façon d’imiter une recette qui a permis à la France d’être ce qu’elle est ; qui a permis aux Etats –unis d’Amérique d’être ce qu’ils sont ; qui a permis au Brésil, à l’Inde et à l’Afrique du Sud et à bien d’autres nations d’être émergentes. Même certains pays à qui nous avons prêté la conférence nationale ne se comportent pas comme nous le faisons. Etre un pays où la politique est une plaie et ses acteurs des virus à liquider.
Tous les reproches faits aux partis politiques et à leurs animateurs trouvent leurs racines dans cette volonté populaire et collective de certains Béninois d’avoir un Etat totalement apolitisé comme une plaie entièrement aseptisée par un médecin. Avoir un état et des dirigeants issus des forces apolitiques pour conduire un état apolitique qui n’a jamais exister. Peut-être que le Bénin s’essaye à nouveau à inventer une nouvelle forme d’Etat. Un Etat apolitique…
Céphise BEO AGUIAR
Spécialiste de la communication
politique et institutionnelle
Membre du Parti Social Démocrate
beophise@yahoo.fr