Assemblée nationale

J. CarlosLa marche en zigzag

Les Béninois se reconnaissent-ils dans leur Parlement ? La question mérite autant d’être posée que de recevoir des réponses. L’Assemblée nationale, le deuxième pilier du dispositif institutionnel de notre pays, est censée symboliser l’image sereine et souveraine de la loi.

Mais il se trouve que depuis l’installation de la quatrième législature, il y a deux ans, notre Parlement est frappé de plein fouet par une crise grave. Il faut y voir le résultat d’une confrontation quasi permanente entre une mouvance présidentielle d’une part et un groupe oppositionnel d’autre part.
Dans une démocratie libérale et pluraliste, c’est de l’angélisme que de souhaiter une Assemblée nationale calme, gentille, sans éclats de voix, dans laquelle tout le monde serait d’accord avec tout le monde. Porté par l’imagination la plus délirante, on ferait alors du parlement un haut lieu des béatitudes, la préfiguration du paradis sur la terre. Les députés, tous courants confondus, n’auraient plus qu’à s’applaudir à tout rompre et qu’à se donner la main en tout et pour tout.
Ce n’est là qu’une vue de l’esprit et si la réalité devait être aux couleurs du rêve, c’est la vie démocratique qui en souffrirait. Car, c’est au Parlement que se prend la température d’une démocratie et que s’apprécie le dynamisme de celle-ci. C’est au Parlement que le débat public atteint officiellement son niveau de cristallisation le plus élevé. Ce qui donne lieu, dans tous les parlements démocratiques du monde, à d’âpres échanges entre députés, certains y allant, en appui à leurs idées, avec des arguments frappants.

L’Exécutif est tenu au respect strict de la règle de la solidarité gouvernementale. L’idéal est de parler, autant que faire se peut, d’une seule et même voix. Le pouvoir judiciaire exalte le principe de l’impartialité pour tenir en équilibre stable les deux plateaux de la balance de la justice. Le législatif, par contre, est le lieu qui s’ouvre le mieux à la pluralité des idées, à la diversité des pensées, à l’expression des différences. C’est en cela que le Parlement moderne se veut l’héritier de ses ancêtres antiques, à savoir l’Agora à Athènes ou le Forum à Rome, du nom des places où se tenaient alors les assemblées du peuple et où se discutaient les affaires publiques. Avec le spectacle qu’offre aujourd’hui notre Assemblée nationale, quatrième législature, sommes-nous encore dans un schéma où l’âpreté des échanges, la passion dans les débats, voire les écarts possibles traduisent le souci de bien faire ? Car il s’agit, avant tout, de bien défendre les intérêts du peuple mandant, détenteur de la souveraineté et dont le député mandataire n’est, en définitive, que le porte-voix, le porte-parole, le représentant.
L’Assemblée nationale est-elle encore dans sa mission de défense des intérêts du peuple, des intérêts des populations béninoises quand elle s’illustre par une inquiétante improductivité. Elle se vautre, en effet, dans l’habitude de faire l’école buissonnière, et par la loi du quorum, d’étouffer son calendrier d’activités, d’annuler ses différentes sessions. Que deviennent, pendant ces intermèdes récréatifs, des dossiers inscrits à son agenda, l’examen et le vote de certains étant prioritaires ou se révélant d’une extrême urgence ?

L’Assemblée nationale participe-t-elle encore au développement du pays quand ses principaux animateurs ne nous renvoient que des images pas très honorables et d’eux-mêmes et des actes qu’ils posent ? De ce point de vue, il va falloir expliquer pourquoi le plus clair du temps et des énergies de nos représentants ainsi qu’une part notable de leur intelligence sont mobilisés pour construire et reconstruire une introuvable majorité, à coups de débauchages honteux, à la suite de basses transactions qui alimentent d’indignes transhumances.
L’Assemblée nationale joue-t-elle encore son rôle constitutionnel d’instance de contrôle de l’action gouvernementale, si la plupart de ses membres se sont laissés embarquer dans une campagne électorale précoce ? Au regard de quoi, nos représentants passent leur temps à se dédoubler, passant du statut d’honorables députés de la nation à celui sans honneur d’animateurs de meetings et de marches de soutien dans leur patelin, de propagandistes et d’agitateurs politiques loin, bien loin des cercles névralgiques où se joue l’avenir du pays.
L’instrumentalisation de l’Assemblée nationale à des fins politiciennes, la paralysie relative dans laquelle elle sombre et qui la frappe d’une désolante stérilité, le temps qu’elle fait perdre à la nation à côté de l’argent que gagnent indûment certains de ses animateurs à ne rien faire ou à faire si peu pour le service de la population, voilà autant de grains d’un triste chapelet que nous prenons la patience d’égrener, tous les jours, avec amertume. Que Dieu sauve le Bénin.

Jérôme Carlos
( www.jeromecarlos.com)

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