Il faut être un peu fou pour faire de grandes choses. Et si le jeune béninois Delano Kiki ne s’était pas laissé habité par la folie de la témérité, jamais il n’aurait réussi à conduire à bon port son projet des Trophées Vierges. Des Trophées par lesquelles on veut promouvoir la virginité de nos jeunes filles jusqu’au mariage.
Nous avons perçu, à travers un tel pari, à tout le moins fou, la volonté de reconquérir, pour la faire partager à la jeunesse, l’une de nos valeurs socioculturelles aujourd’hui mise à mal et mal en point.
Les Trophées Vierges, qui en sont à leur troisième édition, n’ont pas aligné, cette année, moins de 70 jeunes filles, de 16 à 25 ans, 70 béninoises retenues au terme de différentes phases de présélection et de sélection. Et l’événement n’est plus confiné à l’intérieur du périmètre national, ayant enregistré la présence des délégations venues du Burkina Faso, du Congo, du Sénégal, du Togo.
Pourtant, la voie conduisant aux Trophées Vierges, qui commencent ainsi à s’imposer, est loin d’être un chemin de roses. Il fallait avoir la foi bien trempée et la conviction en fer de lance, tel que s’était présenté à nous le jeune promoteur Delano Kiki, pour que cette initiative trouve, aujourd’hui, une place de choix sur la courte liste de nos bonnes initiatives destinées à promouvoir l’excellence.
Beaucoup ne donnaient pas cher de ces Trophées Vierges. Ils y voyaient une aventure malsaine et sans lendemain. A les écouter, cette manifestation ne pouvait donner de la femme une image rassurante et digne. Et pourquoi donc tant de doute, tant de réserve et de réticence ?
C’est d’abord que les Trophées Vierges arrivaient sur le marché des Miss de ceci ou des Miss de cela, au moment où une majorité de Béninois en avait ras le bol. Le sentiment généralement partagé était que la femme, à travers ces différentes manifestations, était mise à toutes les sauces, manipulée à toutes les fins. Derrière le paravent de la femme ainsi chosifiée, quelques obscurs aventuriers s’amusaient à tirer les ficelles.
C’est ensuite que le qualificatif de « vierges », réfère au sexe qui lui-même est un sujet encore largement tabou, sous nos latitudes. En tout cas, un sujet qui n’a pas encore sa place ou une place dans l’espace public de nos échanges. La virginité, de ce fait, est vue et appréciée, de prime abord, comme un sujet intime, c'est-à-dire un sujet frappé du sceau de la chose privée, une chose qui se doit d’être tenue cachée aux autres. Dans une telle vision, exposer des jeunes filles vierges au regard de tous, sur une scène publique, pour les besoins d’un concours, relèverait d’une monstrueuse incongruité.
C’est enfin que la perception de la virginité, comme valeur, a notablement changé dans tous les esprits. La jeune génération de nos compatriotes se dégage plus tôt de la tutelle parentale et revendique de bonne heure son autonomie. La famille cède de plus en plus sa mission d’éducation à l’école qui ne se préoccupe que d’enseigner et d’instruire plutôt que d’éduquer ou à la rue qui, à défaut de former, déforme.
Dans un environnement où la dépravation des mœurs est de plus en plus tolérée comme un fait de société avec laquelle il faut compter, notamment dans nos agglomérations urbaines, la virginité passe pour une originalité plutôt bizarre et la jeune fille vierge pour une grande niaise totalement hors jeu. C’est à peine si l’on ne l’accusait pas de retarder à l’horloge de l’essentiel en jouant les originales par son refus d’accéder au plein statut d’une femme accomplie. Et puis, que veut-elle démontrer et pour qui se prend elle à vouloir se singulariser, à chercher à s’asseoir sur la règle générale comme l’exception qui refuse de se jeter à l’eau et de prendre le train en marche ?
Voilà la montagne de résistance, de méfiance, de réticence qu’a dû affronter et vaincre Delano Kiki avant que des jeunes filles vierges ne commencent à jeter le masque et à montrer le courage de sortir enfin de leur cachette pour affronter le regard du public ; avant que ceux qui doutent de l’existence même de cette race de femme dans nos sociétés ne se ravisent ; avant que la virginité ne retrouve la noblesse perdue d’une valeur à laquelle nous devons tenir comme à la prunelle de nos yeux.
L’excellence doit cesser d’être, pour nous, un simple objet de discours. Elle doit prendre la forme concrète d’une part de vie que l’on a jugée utile et nécessaire de vivre. Et l’on côtoie l’excellence chaque fois qu’une jeune fille, environnée de contre exemples, soumise à des tentations sans nombre, trouve cependant, en elle-même, la force mentale et morale de ramer à contre courant ou de prendre la vie à rebours. C’est la preuve par neuf que toute jeune fille béninoise peut choisir d’être différentes des autres ou de ne pas être comme tout le monde, au nom de valeurs qui la transcendent, la portent et la hissent aux étages supérieurs de l’idéal. C’est là, nous semble-t-il, toute la philosophie des Trophées Vierges.
Jérôme Carlos