Mme Béatrice Lalinon Gbado, directrice des Edition Ruisseaux d’Afrique

«Nous avons recommandé au colloque de Bruxelles que l’Europe aide les éditeurs locaux d’Afrique à plus de qualité»

Rencontrée au colloque des pays Acp (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et Ue (Union européenne) qui s’est déroulé à Bruxelles du 1er au 03 avril 2009 sur le thème «Culture et création, facteur de développement», Mme Béatrice Lalinon Gbado se prononce ici sur le travail abattu au sein de l’atelier «Edition, livre et bande dessinée» qu’elle a dirigé. Elle parle également des problèmes de l’édition en Afrique et notamment au Bénin.
Directrice des éditions Ruisseaux d’Afrique basées à Cotonou, vous venez de prendre part au colloque sur «Culture et créativité, facteur de développement» à Bruxelles. Vous avez même conduit les travaux de l’atelier sur l’édition et la bande dessinée. Que pouvons-nous retenir de vos travaux ?  
Ce colloque nous apporte l’opportunité de parler entre professionnels du monde Acp et Ue. Il nous permet d’avoir un dialogue interne pour nous repréciser les priorités d’étapes et aussi un dialogue avec les décideurs politiques autour de ce thème «Culture et création, facteur de développement». La communauté internationale et nous, sommes tous conscients ensemble maintenant que tous les modes de développement qui ont été essayés ont souffert jusque là du manque d’une approche qui prend racine au niveau de la culture des gens et qui part de ces valeurs endogènes qui sont les valeurs fortes qui construisent l’humanité. Ce colloque vient appeler à ce redimensionnement d’un nouveau départ. Particulièrement au niveau de l’atelier livre, donc dans le secteur livre, nous avons constaté que beaucoup d’actions étaient menées. Il  y a eu des évolutions récentes, mais il reste la définition d’une vision claire, mettant en réseau, appuyant les réseaux et permettant la libération de la créativité des personnes. Il reste aussi un appui fort aux éditeurs au niveau local, pour que lorsqu’il y a appel d’offre au niveau des pays, l’éditeur local ne soit pas battu sur son propre terrain, parce que, justement, il n’y a pas de mécanismes qui lui permettent d’accéder aux appels d’offres locaux. Donc, il y a un certain nombre de choses comme ça sur lesquelles les professionnels du livre ont tiré l’attention, comme les résidences d’écriture, comme la création d’espace d’expression. Quelqu’un s’est étonné, il a dit «mais pourquoi voulez-vous que les gens aiment le livre, que les gens lisent alors qu’on ne leur propose même pas le livre ?» Dans un pays comme le Bénin, vous avez sept librairies au total sur soixante-dix-sept communes.

Déjà, c’est à cette comparaison simple qu’on voit le gap qui existe. Dans toutes communes les gens disposent du pétrole, ils ont du pétrole, et ils ont accès au pétrole. Dans toutes les communes, les gens ont besoin du livre, mais seulement sept librairies sur soixante-dix-sept communes. C’est là qu’on prend la mesure du problème qui se pose à nous. Et nous ressortons de ce colloque avec l’espoir que nous sommes sur un nouveau départ, vu la force et la pertinence des décisions, des recommandations, de la déclaration finale.

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Est que ce nouveau départ suppose que les ouvrages des auteurs africains, notamment les œuvres littéraires pourront circuler désormais à coût réduit et accessible sur le continent ?
Le problème de la distribution et de la circulation du livre est un problème majeur, parce que c’est le bout de la chaîne. Lorsque l’écrivain qui est le premier maillon de la chaîne crée, que l’éditeur s’en saisit et ajoute sa valeur intellectuelle, que l’imprimeur fabrique l’objet livre, si personne ne l’achète, si le livre ne rejoint pas le lecteur, alors il y a problème. Il ne vit pas. Et donc intervient à ce niveau le rôle du libraire, puis le rôle du bibliothécaire, de ceux qui diffusent et de ceux qui font circuler le livre. Ce qui est souhaité et recommandé lors de ces ateliers, c’est que d’abord au niveau local, on aide les éditeurs à plus de qualité et à une production qui répondent plus aux normes internationales. Ce qui va aider à ce que les auteurs qui ont le réflexe d’aller se produire sur les espaces internationaux comme Paris, Bruxelles etc. aient plus confiance en l’édition locale. Mais, il a y déjà des mécanismes de réseaux, des regroupements qui ont facilité la retransmission des livres qui ont été publiés au nord par la population africaine. Par exemple, dans un réseau de co-édition comme Critères d’écritures ou Terres solidaires dans les régions Angioplanètes, on a réussi à reprendre des livres tels que «L’ombre d’Imana » de Véronique Tadjo, « Sozaboy» de Ken Saro-Wiwa, «De l’autre côté du regard» de Ken Bugul. Ces ouvrages qui ont été publiés d’abord en France. Par cette co-édition panafricaine, nous avons acquis les droits, grâce à l’alliance des éditeurs indépendants et pour que les éditeurs africains qui le désirent puissent publier ces ouvrages à bas coût, et les rendre disponibles au public africain et ainsi, retransmettre quelque chose qui au départ était destiné aux lecteurs africains. C’est un mécanisme qui existe déjà. Le présent colloque a demandé que cette co-édition soit davantage appuyée. Qu’on insiste sur cette dynamique de restitution à l’Afrique de ce qui s’est enfui par l’exil des cerveaux. La deuxième possibilité, au-delà de ces réseaux de production qui existent déjà, au lieu que le livre soit d’abord publié à l’extérieur puis redonné, c’est avoir davantage de qualité, de confiance en nous même, de formation à des compétences, formation à tous les niveaux y compris celle des journalistes (pour qu’ils puissent mieux informer sur ce qui se passe localement). Ce faisant, le livre, même s’il est fabriqué à Cotonou, pourra soutenir la concurrence internationale. Enfin l’autre aspect, c’est que très peu de programmes d’études changent les ouvrages littéraires mis au programme. Donc il y a des monuments qui sont là depuis des années, des dizaines de fois. Alors, il est important que les décideurs politiques se penchent sur cette dynamique ensemble avec le monde pédagogique pour qu’il y ait un flux à ce niveau. Que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient au programme, que les œuvres mises au programme soient sélectionnées en tenant compte de toutes les nouvelles publications qui se font. Ainsi de plus en plus d’auteurs verront leurs ouvrages lus et connus par les jeunes, le public en général, l’Afrique.

Est-ce que vous ne pensez pas que ce manque de diffusion des ouvrages est dû également à l’insuffisance de centre de lecture dans un pays comme le Bénin ?
Le problème des centres de lecture est comme le rapport entre les librairies et les nombres de communes. Le Bénin dispose de quatre cents (400) arrondissements contre une quarantaine de bibliothèques et centres de lecture. Ce qui donne un centre de lecture pour dix arrondissements au moins. Donc, le réseau est faible et l’étoffer serait important. Dans les pays où on peut dire que la lecture est mise à disposition, on n’est plus au niveau des arrondissements. On est au niveau des écoles. Imaginez un programme de dotation de toutes les écoles béninoises en publication, en livre. Vous voyez donc, c’est un énorme fossé entre ce qui est fait et ce qui doit être fait. Mais, on peut aussi se dire qu’au lieu de projeter cela vers un idéal très loin qui ne serait peut être atteint dans cinq ou dix ans, nous faisons bien ce que nous faisons déjà. Alors, les centres qui existent, y a-t-il une vie à l’intérieur ? La vie dans une bibliothèque, c’est la visite, la tournée des auteurs et illustrateurs. Ce sont des programmes d’animation, des semaines culturelles. C’est tellement de proposition d’activités qui rendent cet espace vivant et qui attirent les lecteurs potentiels. Cette animation n’est pas suffisante aujourd’hui.
C’est la onzième fois que nous, nous organisons au Bénin la semaine du livre de jeunesse qui est une semaine culturelle et d’animation. On est parti très petit sur deux centres: Cotonou et Porto Novo. On était à la dernière édition en 2008 à quarante centres. Notre rêve est d’être désormais dans les soixante-dix-sept communes. Cette expérience de la semaine du livre béninois de jeunesse nous a permis de conscientiser les jeunes, de nous rendre compte qu’ils (les lecteurs) n’obtenaient pas tout ce qu’ils voulaient. Lorsque vous allez dans les bibliothèques, vous avez des rayons entiers de livres venus d’ailleurs. Donc vous avez le problème du don du livre. Je n’ai rien contre les dons. On pourrait dire que, quelqu’un qui vient à vous avec sa générosité, il ne faut pas repousser cette personne. Mais souvent les gens vont donner des choses qu’on devrait pilonner ailleurs. Et donc on revoit des livres déjà dépassés, qui n’intéressent plus personne. Les enfants disent: «On aime bien, mais ce qu’on aurait souhaité, c’est avoir d’avantage de livre africain.» Les bibliothécaires témoignent que quand vous avez un livre venu d’ailleurs qui sort à un cycle de deux fois par semaine, à côté vous avez les livres africains qui vont sortir à un cycle de six, sept, dix voire vingt fois et lorsqu’ils expriment leur besoin, ils disent : «On aurait pu demander dans nos bibliothèques un tiers de livres venus d’ailleurs et deux tiers de livres produits dans l’environnement culturel africain.» Ce problème de manque de centre est effectif, mais la lecture peut se faire à deux niveaux. On peut se dire d’abord qu’il y a besoin d’ajouter d’autres centres, mais, on peut se dire surtout qu’il y a besoin de rendre plus vivant, plus dynamique, ce qui existe déjà par des activités simples pas très coûteuses et aussi par la dotation de ces centres en ouvrages purement béninois, africains qui expriment à l’enfant, qui retournent aux lecteurs potentiels les réalités de son milieu, et donc, jouent le rôle dédié à la littérature, le retour au vécu de son milieu, de sa culture pour l’appeler lui-même à la réflexion pour que la pensée humaine continue de faire son bout de chemin, d’être secrétée sur les réalités de son pays au lieu de toujours tourner son regard vers les réalités d’ailleurs.

Vous venez de parler de la semaine du livre que vous organisez au Bénin, mais il y a également la caravane du livre qui se tient également à travers le pays. Comment est-ce que tout cela se passe ?

Dans les mécanismes de restitution à l’Afrique de ce qui a été produit au nord du fait de la fuite des cerveaux quand on parlait des romanciers qui sont publiés dans les maisons d’édition du nord, la caravane est un dispositif très important. Elle est une initiative de l’association internationale des libraires francophones (Ailf). Et chaque année depuis quatre ans, la caravane du livre obtient auprès des éditeurs du nord à coût réduit, grâce à un financement du Centre national du livre [Ndlr: établissement public du ministère français en charge de la culture], une subvention qui permet de baisser le coût du livre et de venir le reproposer au niveau de l’Afrique à un coût acceptable qui correspond au niveau du pays, au pouvoir d’achat du pays. Donc la caravane du livre a permis aux libraires de mettre à disposition des ouvrages de Florent Couao-Zotti, Ken Bugul, Sami Jack, Kangni Alem… plusieurs auteurs romanciers africains qui sont publiés sur les espaces du nord et qui sont hors de portée du pouvoir d’achat des lecteurs béninois.

Quels sont alors  vos rapports avec les libraires ?
En fait, la mission de base d’un éditeur est de produire le livre et de le sortir sous forme d’objet. A partir de cet instant les libraires et les distributeurs le reprennent pour sa distribution. Dans notre pays c’est pas évident, parce qu’on a très peu de librairies. Mais aujourd’hui nous avons des rapports très cordiaux et une ambiance de travail qui est très conviviale avec les libraires. Le petit nombre aidant, chaque fois que nous sortons un livre, il y a le «Vient de paraître» et les spécimens qu’on fait circuler. Ainsi, chacun est au courant de ces livres en distribution, soit sous forme de mise en dépôt, soit sous forme d’achat direct. Nous avons aussi un réseau (qui n’est pas un réseau formel), qui distribue nos ouvrages. Mais il s’agit d’un réseau très important qui est un tissu informel de bénévoles, de personnes disponibles qui disent: «Tient ! Parce que vous avez fait un beau livre sur le fromage ou le pagne, c’est quelque chose qui doit être connu, moi je me charge de le distribuer à tel ou tel endroit.»  Voilà.

Vous avez présidé récemment aux destinées de l’association Afrilivres. Pourquoi ce regroupement des éditeurs francophones d’Afrique au Sud du Sahara ?

Créée en mai 2002 en marge de la foire du livre et du matériel didactique à Dakar, Afrilivres est une association dont l’objectif est de doter le réseau des éditeurs d’un outil de promotion et de distribution du livre africain. Son rôle est de rendre plus visible le livre à travers un site Internet qui est comme une vitrine et à terme d’être une cyber-librairie qui peut permettre de vendre à distance et aussi de favoriser la distribution du livre, Afrique/Afrique puis du livre de l’Afrique vers le Nord. J’ai présidé aux destinées de Afrilivres de 2002 à 2006. Aujourd’hui Afrilivres est dirigée par le béninois Joachim Adjovi de Star éditions. Dans le bureau, on retrouve aussi les Editions Graine de pensée du Togo et les Editions Les Marres du Congo. Le but poursuivit par Afrilivres, s’il était atteint, permettra d’aller au-delà de nos petits marchés internes mais qui sont souvent étroits et d’ouvrir aux livres produits au Bénin un marché plus grand, celui de l’Afrique et celui du monde. Ce projet connaît des difficultés liées au financement. C’est pourquoi à ce colloque nous sommes revenus plusieurs fois, nous tous professionnels, sur l’importance de ce programme Afrilivres et sur la nécessité impérieuse de reprendre en main l’association et de travailler à ce que ses objectifs soient atteints.

Les Editions Ruisseaux d’Afrique que vous dirigez à Cotonou s’occupent essentiellement de l’édition de livres de jeunesse. Pourquoi ce choix ?

Il faut d’abord dire que moi-même je suis écrivain Jeunesse. Je publie des ouvrages pour enfant en tant qu’auteur. En tant que mère et porteuse quelque part d’une fibre de gardienne d’une tradition dans laquelle je suis moulée, j’ai été scandalisée de voir que ce que nous avons reçu (je parle d’une génération), au clair de lune de notre patrimoine n’était pas transmis à la génération qui suit. Pour mes enfants par exemple, si je devais leur acheter des livres, des cahiers de coloriels,  je devais prendre des choses qui portent des dessins de fraise, de raisin… C’est ce qui a été le déclic et je me suis dis, ce n’est pas possible ! On ne peut pas être en train de former l’enfant béninois et déjà au berceau, on lui parle des réalités du monde qui n’est pas le sien. Alors, comment veut-on que les enfants réagissent plus tard quand ils ont été baignés dans des valeurs d’ailleurs. Je reconnais qu’il existe des valeurs universelles. Mais, je ne conçois pas qu’on puisse idolâtrer les valeurs venues des autres et les proposer à nos enfants surtout très tôt. Comment est-ce que, en continuant comme ça nous pouvons former des gens qui, demain, vont aimer les réalités locales. Parce qu’il faut aimer pour chercher à transformer. Et, c’est ce désir de transformation qui amène le développement. Et donc j’ai été choquée et spontanément je me suis posée la question : Qu’est-ce qu’il faut faire ? Moi-même j’avais déjà des manuscrits que j’avais compilés en tant qu’écrivain Jeunesse. Je les avais adressé à des personnes et structures éditoriales de la sous-région et de l’étranger et j’étais restée face à un mur de silence. Alors, je me suis progressivement décidée à fonder cette maison en 1998 que j’ai appelée Les Editions Ruisseaux d’Afrique, c’est-à-dire les petits ruisseaux engendront les grandes rivières. J’ai fondé cette maison avec l’espoir qu’un jour, si tous les petits filons, quel que soit le secteur, se mettaient à ruisseler vraiment la sève qui vient de nos racines, on ferait une autre Afrique. Et ce serait vraiment formidable. Ce serait l’Afrique de nos rêves. Ce colloque de Bruxelles est venu nous rejoindre à Ruisseaux d’Afrique dans nos textes fondamentaux, nos aspirations, dans ce qui a fondé Ruisseaux d’Afrique. C’est qu’on ne peut pas développer quelqu’un sans l’amener à s’enraciner dans qui il est. Ruisseaux d’Afrique, naturellement, a commencé à publier des livres de jeunesse parce que c’est d’abord la construction de l’enfant, du jeune. C’est la partie la plus délicate de la mission. Lorsque la personnalité est formée, le reste peut être assumé. Nous avons comme ambition de travailler aux fondations de la personne humaine. Et puis nous nous sommes ouvert après à publier d’autres types de livre comme les beaux livres. Nous publions aussi des essais dans un réseau d’éditeurs francophones. Nous publions maintenant des romans dans un réseau d’éditeurs panafricains. Aujourd’hui nous avons un catalogue qui fait environ cent cinquante titres. Ce catalogue est mis en ligne à l’adresse www.ruisseauxdafrique.com . 

Propos recueillis par Fortuné Sossa

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