L’état des lieux de l’évolution de l’agriculture régionale en débat
Des représentants de la société civile, ceux du monde rural et des institutions publiques africaines ainsi que des partenaires financiers et techniques étaient au rendez-vous de l’Hôtel M Plaza d’Accra au Ghana. Ils ont pris part, du 12 au 15 mai 2009, à l’«atelier régional de restitution des études sur l’évolution du secteur agricole et des conditions de vie en Afrique de l’Ouest».
Quatre jours d’intenses débats de mise en commun des idées ont offert à l’atelier de discuter des progrès récents réalisés dans l’agriculture et par rapport aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), en particulier le premier (OMD1), qui a trait à la réduction de la faim et de la pauvreté. Ces thèmes ont fait l’objet d’une série d’études coordonnées par le Système Régional d’Analyse Stratégique et de Gestion des Connaissances pour l’Afrique de l’Ouest (ReSAKSS WA). Mises en débat, les synthèses restituées de ces études sur «l’évolution du secteur agricole et les conditions de vie des ménages» dans la sous-région, ont permis au ReSAKSS WA de recueillir les contributions des participants.
Le travail de documentation sur la manifestation de la crise de la vie chère en 2007-2008 ainsi que les réponses apportées par les 10 pays de l’Afrique de l’ouest couverts par l’étude ont été examinés. Les dépenses agricoles relatives à la déclaration dite de Maputo, par laquelle les Etats africains s’étaient engagés à allouer 10 pour cent de leur budget national à l'agriculture n’ont pas échappé à cet exercice. Sont également passées en revue les réalisations récentes, les nouvelles tendances de la productivité agricole et la croissance, la réduction de la pauvreté et l'atténuation de la faim et de la malnutrition des enfants dans les pays d'Afrique occidentale. Cet état des lieux dressé sans complaisance mais avec un esprit de responsabilité a fini de convaincre de l‘importance du processus qui a permis de mesurer le niveau des progrès accomplis par les Etats en vue de l’atteinte de l’OMD1. Et le Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources en Eau, M. Salifou Ousseini, de faire remarquer dans son discours d’ouverture que «l’atelier arrive à un moment opportun car, précise-t-il, il nous permet d’apprécier les performances du secteur et les efforts encore nécessaires pour atteindre nos objectifs». Il note pourtant avec satisfaction que les résultats de certains pays incitent à l’espoir, en ayant enregistré des taux de croissance de la valeur ajoutée agricole supérieurs à 6% représentant la cible fixée par le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (PDDAA) pour accélérer la croissance et éliminer la pauvreté et la faim en Afrique. En effet, l’objectif principal du PDDAA est d’aider les pays Africains à parvenir à un niveau élevé de croissance économique basé sur l’agriculture afin d’éliminer la faim, réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire, favoriser l’expansion des exportations en vue d’atteindre l’OMD1 qui est de réduire de moitié la pauvreté et la faim en 2015, par rapport à leurs niveaux de 1990. Cependant, conscient du travail qui reste à faire et «vu, dit-il, le rapport soumis à notre appréciation, il en faudra d’avantage, pour que ces résultats puissent se traduire en augmentation conséquente de la croissance économique régionale».
Encore du chemin à parcourir
En effet, en matière de financement agricole, les études du ReSAKSS-WA ont fait état d’une «marginalisation de l’agriculture dans les interventions publiques dans certains pays de la Région». De sorte que, ni dans les intentions budgétaires ni dans les dépenses effectives, l’agriculture n’a reçu l’attention qu’elle mérite dans les efforts publics. Les performances économiques agricoles n’ont pas suivi et les pays de la CEDEAO ont connu une évolution contrastée du PIB réel entre 1990 et 2007 avec un faible développement de l’activité économique entre 1990 et 1994 et une reprise entre 1995 et 2007, malgré un léger ralentissement entre 2000 et 2004. Le PIB par tête, lui, est encore très loin de celui des pays développés. Tout cela s’est traduit par un amenuisement du panier de la ménagère avec des populations qui se sont considérablement appauvries sur la période 1990-2008. Même si certains pays ont réussi à infléchir la progression de la pauvreté, le milieu rural reste nettement plus touché que le milieu urbain, à cause de la faiblesse des revenus qui proviennent en grande partie de l’agriculture et du déficit en infrastructures de base dont il souffre. Cette paupérisation est mise en évidence par les difficultés qu’éprouvent les ménages à se nourrir correctement, les prévalences de l’insuffisance pondérale et du retard de croissance étant encore à des niveaux élevés chez les enfants de moins de cinq ans. Il y a des pays où, près de 70% de la population rurale n’ont pas accès à l’eau potable. La crise de la vie chère, quant a elle, s’est manifestée par l’augmentation des prix du riz de grande consommation, à hauteur de 14% entre 2006 et 2008, tandis que dans presque tous les pays, les prix du maïs ont renchéri. Ceux des intrants agricoles ont également sensiblement augmenté.
Malgré cela, l’agriculture apparaît toujours comme l’un des principaux secteurs de création de richesses et de soutien à la croissance économique dans la région. Il n’empêche que les indicateurs analysés montrent que beaucoup reste à faire pour que la croissance agricole puisse se traduire en amélioration sensible du revenu des paysans. Comme voie de sortie de la situation, le Commissaire à l’Agriculture de la CEDEAO, M. Salifou Ousseini, n’a pas manqué d’insister sur les objectifs du PDDAA et de montrer la pertinence des orientations retenues dans l’ECOWAS Agricultural Policy (la Politique Agricole de la CEDEAO), notamment la construction d’une sécurité et d’une souveraineté alimentaires dans le cadre d’un marché régional performant, et de rappeler l’urgence de sa mise en œuvre effective.
Pour y arriver, l’atelier d’Accra a jugé nécessaire d’adopter d’importantes recommandations à l’endroit des Etats -lesquels devraient prendre des mesures pour accompagner le ReSAKSS WA dans sa mission. Ces recommandations tournent, pour l’essentiel, autour du souhait de voir les Etats faire preuve de plus de volonté politique afin d’aider au renforcement des ressources humaines pour la production des statistiques et le financement des systèmes nationaux d’information agricole auxquels les participants voudraient qu’il soit alloué des budgets substantiels. Avant eux, et à l’ouverture officielle des travaux, le vice-ministre de l'Agriculture du Ghana, M. Yaw Effah Berfi, déclarait que «c’est une illusion de croire que sans investissements conséquents dans l’agriculture, l’Afrique peut s’auto nourrir». Mais il a aussi ajouté que «pour espérer voir les questions de développement agricole continuer de figurer dans l’agenda des Etats, les techniciens des chiffres doivent proposer des stratégies ou brandir des statistiques qui convainquent nos gouvernants du bénéfice net réalisé sur chaque dollar investi dans l’agriculture». Lors des discussions en plénière, le Dr. Yamar Mbodj, Conseiller en agriculture du NEPAD auprès du Commissaire Ousseini, n’a eu de cesse d’en appeler au pragmatisme des uns et des autres. «Il faut tout d’abord convaincre les décideurs de l’intérêt du travail qui est en train d’être fait et leur montrer en quoi c’est un outil d’aide à la prise de décision», a-t-il martelé de différentes façons tout au long des travaux.
Pour un vibrant plaidoyer de la CEDEAO…
En écho à tous ces propos, les participants, parmi lesquels des statisticiens et des planificateurs ont recommandé que des réflexions, entre autres, soient engagées au sein des Etats en ce qui concerne la collecte des données sur le financement hors budget, notamment celui des organisations non gouvernementales, des partenaires au développement, et des organisations paysannes. Ils estiment urgent que les gouvernements renforcent les systèmes financiers et comptables de suivi évaluation des projets et programmes agricoles qui permettent de disposer de données détaillées sur les dépenses ainsi que le renforcement du système d’information sur les marchés agricoles en milieu rural et dans les zones déficitaires.
Contre la crise de la vie chère, l’atelier a non seulement réitéré, comme il ressortait des termes de référence de l’état des lieux de la question, la mise en place d’un dispositif de suivi évaluation des mesures prises, en particulier pour analyser les impacts et l’efficience desdites mesures mais aussi l’approfondissement des analyses sur les marchés agricoles qui tienne compte d’autres aspects comme le transport, les prix, l’intégration des marchés etc. Un appui aux pays dans leur démarche d’harmonisation des méthodologies d’évaluation des seuils de pauvreté et un mécanisme de suivi des échanges transfrontaliers devraient aussi être mis en place par la CEDEAO. Dans cette perspective, il est souhaitable de renforcer et d’élargir le champ de couverture d’AFRISTAT, l’Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Subsaharienne et du CILSS (Comité permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel) à tous les pays de la CEDEAO non membres de ces deux organisations. La CEDEAO est, par ailleurs, invitée à mener un plaidoyer auprès des Etats en vue du financement adéquat des systèmes statistiques agricoles.
Exprimant son adhésion totale aux objectifs ainsi qu’à la mission du ReSAKSS-WA et, satisfaite de la conduite de ses activités sur le terrain, la plénière a demandé à la CEDEAO de continuer à promouvoir ce programme au niveau régional et à favoriser la mise en place et le renforcement de ses relais nationaux. Message apparemment entendu, puisque dans son allocution de clôture, M. Salifou Traoré, venu représenter le Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources en Eau, a dit ses «félicitations à l’équipe du ReSAKSS WA pour l’excellent travail abattu».
En encadré
Les études nationales de suivi des progrès accomplis dans le secteur agricole et les conditions de vie des ménages ont été menées sur le terrain par des équipes nationales dans dix pays d'Afrique occidentale. Ce sont le Bénin, le Burkinabé Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. A terme, ces études devraient s’élargir à l’ensemble des 15 pays de la CEDEAO. Le ReSAKSS-Afrique de l'Ouest qui en coordonne et supervise les opérations agit en maître d’oeuvre délégué. Initié par la CEDEAO, l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) et l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA), le ReSAKSS WA appuie la mise en œuvre de l‘ECOWAP/PDDAA pour faciliter l’accès de la CEDEAO et de ses Etats à des analyses de politiques de la plus haute fiabilité.
Ces analyses génèrent la connaissance nécessaire pour améliorer la formulation, la mise en œuvre et le suivi des politiques agricoles et de sécurité alimentaire dans la région. Actuellement sous la coordination du Dr. Mbaye Yade, le ReSAKSS Afrique de l’ouest apporte son expertise dans les domaines que sont: l’analyse stratégique, la gestion des connaissances, la communication et le renforcement des capacités.
Emmanuel Tachin,
Journaliste, Chargé de la communication du ReSAKSS WA
Envoyé spécial à Accra