Bac 2009 : du plus petit au plus grand

J. CarlosVoici l’information : « Le plus jeune au baccalauréat 2009, qui démarre le 17 juin, est âgé de 13 ans. Il compose dans l’Ouémé en série D. Le plus âgé a 60 ans et compose à Ouidah ». C’est notre confrère « Adjinakou » qui nous informe ainsi en son édition du 15 juin 2009. En quoi une telle information nous intéresse-t-elle ?
Elle a un caractère inédit et exceptionnel par rapport au contexte béninois. D’une manière générale et en relation avec nos réalités nationales, à 13 ans l’immense majorité des adolescents béninois alphabétisés sont soit en passe de finir le premier cycle du secondaire, soit en position d’entamer le second cycle. Par rapport à ces mêmes réalités, à 60 ans, la plupart des Béninois n’ont plus qu’un vague et lointain souvenir des études qu’ils ont eu à faire et marquent une grande distance par rapport à toutes celles qu’ils auraient pu faire.
C’est dire que mercredi prochain, le jour du démarrage du bac, cuvée 2009, le jeune garçon de 13 ans, à peine sorti de l’enfance, se retrouvera en compagnie de grands frères et de grandes sœurs avec qui il partagera le même stress de l’examen, avec qui il planchera sur les mêmes épreuves. Image peu banale d’un enfant au milieu de jeunes gens et de jeunes filles jouissant de leur majorité civile et électorale.
C’est dire, également, qu’avec notre sexagénaire, c’est un grand-père, un pépé, qui se retrouvera au milieu de ses petits enfants. En somme un père Noël de contre saison qui ferait la joie de plus d’un, s’il transportait dans sa hotte, en lieu et place des jouets, des attestations d’admission au baccalauréat.
On aurait tort de vivre l’histoire de ces deux personnages singuliers du baccalauréat, cuvée 2009, comme un simple fait divers. Le petit prodige qui va tutoyer le bac à 13 ans et le pépé qui se prépare à le passer à l’âge où l’on est plus enclin à soigner ses rhumatismes, symbolisent tous les deux et à leur manière, deux attitudes nouvelles caractéristiques d’une société en mutation comme la nôtre. La précocité, d’une part, qui conduit les êtres et les choses à mûrir et à se développer plus tôt que d’habitude. L’indifférence plus ou moins marquée au qu’en dira-t-on, d’autre part, à comprendre comme une manière de se montrer moins frileux à l’opinion d’autrui.
La précocité, en son versant noble, est, à coup sûr, un point positif à l’actif d’une société. Celle-ci, en se levant de bonne heure peut avoir compris la nécessité d’épouser le rythme d’un monde qui va de plus en plus vite, un monde qui ne garantit aucun avenir aux traînards et aux retardataires. Face à quoi, c’est tout le rapport au temps de cette société qui change.
La précocité, en son versant noble, c’est également le résultat d’une action qui choisit de s’écarter, et de façon délibérée, des sentiers battus. On sort du moule commun. On expérimente autre chose. On explore d’autres voies de réalisation et d’accomplissement. Qui passe le bac à 13 ans brûle des étapes par rapport à une ligne d’évolution pré-établie. Il a dû développer des aptitudes à apprendre et à savoir bien au-dessus des normes ordinaires. Il a dû s’imposer une méthode d’action différente. Le mérite, ici, est dans la rupture, facteur de progrès.
Quand les hommes et les femmes d’une société communautaire comme la nôtre, commencent à sortir des périmètres de comportements qui leur sont imposés d’autorité, c’est bien l’individu qui se pointe et qui s’affirme. Une société communautaire modélise a priori les comportements de ses membres. Ceux-ci, comme les moutons de Panurge, vont dans la direction du troupeau.
Notre société a consolidé l’habitude de séquencer les grandes étapes de la vie humaine. Elle estime, de ce fait, qu’il y a un temps pour étudier, un temps pour travailler, un temps pour se reposer avant le grand repos. Dans cette logique linéaire et inflexible, c’est se fourvoyer que d’aller passer le bac à 60 ans et la société, de ses profondeurs, se fait le devoir de crier haro sur le baudet. De quoi décourager l’anticonformiste le mieux assuré.
Dans un tel contexte, briser ce qui tient lieu d’un tabou ou d’un interdit revient à faire un gros trou dans une tradition solidement établie. C’est La Bastille qui est prise. C’est la place Tie-Nen-Men à Pékin qui est occupée par les insurgés. C’est une forteresse jusque là inexpugnable qui s’écroule sous les coups de boutoir d’une révolution qui secoue les vielles habitudes, bouscule les vielles mentalités, ouvrent de nouvelles voies pour de nouvelles opportunités à saisir. C’est une société qui fait sa mue. C’est un peuple nouveau qui naît. C’est la société qui accouche de l’individu, cet être de liberté et de responsabilité qui est à tenir pour la mesure de toutes choses. Le bac, cuvée 2009 : ni banal, ni à banaliser !
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 16 juin 2009

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