La béninoise Martine Z. Tachin décroche la «mention très honorable»
Trois tours d’horloge, le vendredi 12 Juin dernier, et la Béninoise Martine Zandjanakou-Tachin se fait hisser au rang des Docteures ès Sciences naturelles de l’Université de Lomé (Togo). La récipiendaire avait en face d’elle des scientifiques, de haut vol, venus de différents systèmes académiques et de recherche.
«Le jury a décidé, à l’unanimité, d’accepter la thèse que vous avez présentée et vous délivre le grade de Docteure […] dans la spécialité Phytopathologie et biologie moléculaire, avec la mention très honorable et les félicitations du jury». La sentence du président du jury, le Professeur Koffi Akpagana, déclenche des tonnerres d’applaudissements. Des parents, amis et curieux présents à l’auditorium de l’Université expriment leur joie pour accompagner la nouvelle promue. Martine Z.-Tachin descend avec prestance du podium, s’avance vers les jurés. Leur serrant la main, le visage mi radieux mi tendu, elle marmonne un «merci», mille fois répété et plein d’émotion. Elle venait ainsi de concrétiser un vieux rêve et d’entrer dans le cercle fermé des phytopathologistes qui se comptent du bout des doigts dans son pays d’origine, le Bénin.
Au chevet des bananiers et plantains
Poursuivant la lecture du délibéré, le professeur Akpagana, souligne que «Le jury a trouvé que votre sujet a un intérêt scientifique certain pour la recherche agronomique dans la sous région». Et l’homme prend aussitôt l’engagement de «mettre dans le rapport à produire sur la cérémonie que les résultats auxquels vous avez aboutis sont facilement transférables aux paysans et, nous allons nous battre dans ce sens». La thématique que porte la thèse ainsi mise en valeur relève de ce qui est convenu d’appeler la «biologie de développement». Son concept propose des technologies agricoles facilement applicables qui tiennent compte des réalités socio économiques des pays en développement. Entièrement écrit et présenté dans la langue de Shakespeare, le volumineux document (150 pages) est intitulé: «Distribution and genetic diversity of Mycosphaerella spp. of banana in Nigeria».
Confirmation par la présence de deux espèces et… innovation
Selon les estimations de la FAO, le Nigeria produit 2,8 millions de tonnes de bananes et la production mondiale est de 115 millions de tonnes. En 2004, il était classe 5e plus grand producteur de plantains dans le monde. Le Cameroun, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Côte d’Ivoire… sont les autres pays producteurs de cette culture de rente sur le continent. D’où l’importance à mener des recherches qui permettent d’améliorer la culture de la banane dont dépendent des millions de personnes. Ils constituent des sources évidentes génératrices de revenus pour les populations rurales. En Afrique de l’ouest comme du Centre, environ 70 millions de gens tirent de la banane le quart de leurs besoins énergétiques alimentaires. Par ailleurs, la banane et le plantain font parties des produits qui nourrissent le mieux le commerce international entre les pays du nord et ceux du sud à travers les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et des pays ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique).
Cependant, des problèmes se posent à la bonne croissance de ces plantes. Et le condensé du travail de la jeune chercheuse indique que les maladies des raies qui attaquent les feuilles des bananiers sont causées par des champignons fongiques du genre Mycosphaerella (M. fijiensis, M. musicola et M. eumusae), lesquels sont d’une menace sérieuse pour une production durable des bananiers et plantains en Afrique en général et, au Nigeria en particulier. Le défaut d’informations sur ces espèces, notamment sur leur répartition relative et la diversité génétique de l’agent responsable de la maladie, était apparu suicidaire aux yeux de Mme Z.-Tachin. Elle a donc tenu à combler cette insuffisance pour contribuer à la réduction de la faim et de la pauvreté tout en aidant à la relance des économies nationales et sous-régionale. Dès lors, sa préoccupation a été de voir la distribution de cette maladie fongicide des bananiers et plantains, de détecter puis d’identifier les espèces de Mycosphaerella infectant ces plantes en Afrique de l’ouest et de déterminer la variabilité pathogénique des isolats (souches) de ces espèces.
Entre autres trouvailles, les résultats exploitables disponibles à partir de cet effort confirment la présence de deux espèces du pathogène (M. fijiensis et M. eumusae). Pour y arriver, il a fallu prélever 96 isolats pour les comparer aux souches de référence de la banque de gènes. Cela a révélé la présence de 85 individus identifiés comme des M. fijiensis et 11 comme M. eumusae, tandis que l’espèce M. musicola préalablement identifiée au Nigeria n’a plus été retrouvée dans la collection de la présente étude. Aussi l’analyse de SNP (simple mutation) a regroupé les 85 fijiensis en 14 haplotypes et les 11 eumusae en 7 haplotypes. Les haplotypes sont des organismes possédant des caractéristiques génétiques semblables.
Solution à l’identification morphologique du pathogène trouvée
En inoculant les trois variétés de bananier avec les souches de M. fijiensis et de M. eumusae, on s’aperçoit de la variation de l’agressivité des isolats fongiques étudiés au sein de la population collectée. Ainsi, 80% des M. fijiensis et 20% des M. eumusae expriment une forte agressivité et peuvent être utilisés dans les programmes de sélection variétale. L’espèce Mycosphaerella manifeste une variation génétique élevée et, par conséquent, d’une forte capacité à muter. «C’est en cela, précise la chercheuse, que les opérations de sélection doivent viser non pas sur une seule mais plusieurs souches afin de garantir l’élaboration continue des variétés de bananes à résistance durable».
En définitive, les sondes (markers) développées lors de cette étude peuvent servir à identifier de façon rapide, efficace et sans équivoque les espèces auteurs de la maladie des raies. Les difficultés souvent rencontrées lors de l’identification morphologique de ce pathogène ont par là trouvé leur solution et peuvent être surmontées.
Ces travaux de durs labeurs, ayant déjà fait l’objet de deux différents articles publiés dans des revues scientifiques de renom, ont mis cinq ans pour aboutir. On notera qu’ils sont rendus possibles grâce à un collège de chercheurs en collaboration avec le directeur de thèse, le professeur Yves M. Gumedzoé de l’Université de Lomé. Il s’agit notamment du co-directeur de thèse, le Dr Ranajit Bandyopadhyay, phytopathologiste à l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA-Ibadan, Nigeria) et de son collègue le Dr Vroh Bi Irie, généticien sélectionneur. Les Drs Peter Ojiambo, aujourd’hui professeur à l’université de Caroline du Nord (USA) et Abdou Tenkouano, directeur du «World Vegetable Center» (AVRDC, Tanzanie), tous précédemment à l’IITA, se sont également investis. Mais le panel d’examinateurs, lui, en plus des directeurs de thèse, était composé de l’éminent professeur Abdul Ghaffar de l’Université de Karachi (Pakistan) et du professeur Koffi Akpagana.
Il faut signaler enfin que la candidate est l’épouse de notre confrère, Emmanuel Tachin. Ce dernier est actuellement en charge de la communication du Système Régional d’Analyse Stratégique et de Gestion des Connaissances pour l’Afrique de l’Ouest (ReSAKSS WA), une institution initiée par la CEDEAO, l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) et l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA) pour appuyer la mise en œuvre et l’accès de la CEDEAO et de ses Etats à des analyses de politiques de la plus haute fiabilité.q
Sourou Emmanuel (Correspondance particulière)