Gustave Assah, coordonnateur adjoint de Social Watch Bénin

« Les organisations de la société civile sont inquiètes »

Le réseau Social Watch est un ensemble de plus d’une centaine d’organisations de la société civile (OSC) engagées dans la lutte contre la mauvaise gouvernance. A travers cette interview, Gustave Assah, coordonnateur adjoint du réseau donne un peu la position des OSC par rapport à l’état actuel de la gouvernance au Bénin.
1°) Le quatrième Rapport alternatif des Organisations de la Société Civile (OSC) jette un regard critique sur la promotion de la bonne gouvernance. Comment va la gouvernance aujourd’hui au Bénin ?
La gouvernance aujourd’hui au Bénin affiche un tableau pas très reluisant. Je voudrais dire que le peuple n’a pas encore obtenu ce qu’il attendait en apportant massivement son choix sur le président Boni Yayi. Les propositions faites en 2006 par le candidat devenu président de la République éprouvent de nombreuses difficultés dans la mise en application.  Du coup, les actes de mauvaise gouvernance continuent de  s’observer  dans les instances de gestion de l’administration publique. Face à ces défaillances, les organisations de la société civile sont inquiètes et c’est d’ailleurs ce qu’elles mentionnent dans le quatrième rapport alternatif 2008.

2° Pourtant, le gouvernement actuel s’était publiquement engagé à travailler pour la bonne gouvernance. A quoi a donc servi la «marche verte» du chef de l’Etat à travers la ville de Cotonou ?
Vous devriez comprendre vous-même que le régime en place manifeste une forte détermination à assainir les finances publiques mais bute contre des obstacles. Au Départ on croyait que c’était en dehors du gouvernement mais on se demande par ces derniers temps et au vue des récentes situations Comment est-ce qu’on peut comprendre que le régime qui a promis enrayer le phénomène de la corruption des sphères de l’administration puisse s’enliser davantage dans des actes compromettants ? Le dossier Cen-sad et celui du Ministre des finances démis de ses fonctions, sont là et vous le savez autant que nous.   Ce n’est pas de cette façon qu’on peut combattre la corruption.

Les organisations de la société civile ont compris que le chef de l’Etat veut bien lutter contre la corruption mais il est en bute contre des esprits malins dans son propre camp. Il doit donc changer d’approche et continuer à mettre hors d’état de nuire les « brebis galeuses »
La marche verte organisée à tambours battants à travers la ville de Cotonou n’a pas pu convaincre et l’Etat doit montrer plus de détermination à obtenir des résultats sur de longues durées. Après cette marche reprise d’ailleurs par des politiciens, qu’y-a-t-il eu d’amélioré ? Une chose est de s’engager à lutter contre un phénomène mais l’autre chose est de pouvoir concrétiser son engagement. A ce niveau, il reste du chemin à faire.

3°) Le 4ème rapport évoque la faible capacité d’exécution de notre budget et de la reddition des comptes. Qu’en dites-vous ?

Ecoutez, dans la plupart de nos pays cette situation est relative à des difficultés que sont :
Des budgets-programmes (BP) et des Cadres de dépenses à moyen terme (CDMT) encore peu opérationnels. Une harmonisation croissante entre les programmes sectoriels et le processus d’élaboration des BP ; les ambiguïtés des réformes de la coordination de l’aide et de la conditionnalité ; un contrôle de la dépense publique insuffisant ; une décentralisation et une déconcentration des services publics trop faibles ; des Problèmes dans la définition des indicateurs ; le suivi des indicateurs et l’emploi des systèmes de collectes de statistiques ; et surtout des Problèmes de personnel et d’organisation dans nos ministères. Sur ce point, vous verrez aujourd’hui des DPP et des DRFM en conflit sur la paternité de l’exécution des projets d’une part, et en discorde avec les DC ou les SG de ces même ministères d’autre part au point où les querelles de personnes compromettent largement les atteintes des résultats et donc la consommation du budget.
 A côté de ce faible taux d’exécution des budgets, il y a des comportements déviants qui continuent d’avoir cours dans l’administration publique. Il s’agit entre autres de l’improvisation des dépenses publiques, la forte politisation de l’administration, la non maîtrise des procédures de passation des marchés, le retard dans la nomination des régisseurs, le retard dans la régularisation des fonds mis à disposition  par procédure exceptionnelle ou ordre de payement (OP), etc
Le gouvernement du Benin à travers le leadership de son chef  doit renforcer des pistes  d’amélioration  de la gestion orientée par les résultats et  favoriser l’appropriation des  réformes.
La spontanéité n’est pas encore dans les habitudes des autorités béninoises en ce qui concerne la reddition des comptes. Même le gouvernement du changement n’a pas cru devoir répondre à cette obligation malgré les promesses faites au peuple et la signature d’une charte de gouvernement qui y met un accent particulier.

4°) La lutte contre la corruption serait-elle devenue le combat exclusif des ONG ?
La corruption et l’enrichissement illicite aux dépens de la communauté nationale sont devenus
un fléau au Bénin. Pour les enrayer, la Constitution prévoit notamment deux articles (37 et 52). Mieux, la volonté politique des pouvoirs publics a été maintes fois affirmée et le Chef de l’Etat a publiquement demandé et soutenu la société civile à s’organiser et à se mobiliser pour lutter contre la corruption.
Ainsi les organisations de la société civile se doivent d’attirer l’attention des gouvernants sur les engagements qu’ils ont eux-mêmes pris vis-à-vis de la nation. C’est ce que nous faisons et c’est d’ailleurs l’objectif des rapports alternatifs que les OSC éditent chaque année. Car le gouvernement du Bénin a adopté un plan stratégique national de lutte contre la corruption et a finalisé une enquête à ce sujet. A la suite, le régime du changement a porté les prémices de la lutte contre la corruption. Cependant, les espoirs du peuple sont de plus en plus déçus si rien ne se fait pour relancer les élans d’une véritable campagne  contre la corruption qui à notre avis n’a pas régressé.

5°) Un mot sur les Droits de l’Homme au Bénin.

A la faveur du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Ligue pour la défense des droits de l’homme  au Bénin(LDHB) adressé un bilan peu élogieux. Le président de cette ONG Julien Togbadja, a dénoncé le recul du Bénin dans les domaines de la presse (la censure par les médias de service public des débats contradictoires ou de déclarations non favorables au pouvoir en place), de la justice et de la détention, la lutte contre la corruption sélective (servant parfois de prétexte à des règlements de comptes politiques). Ces faits inquiètent suffisamment les organisations de la société civile qui sont obligées de tirer la sonnette d’alarme.

6°) Quel bilan pouvez-vous faire de la décentralisation au Bénin, après plusieurs années d’expérimentation?
Le processus de la décentralisation amorcé depuis 2002 et qui suit son cours piétine encore dans sa phase applicative. Les besoins des communes ne sont pas réellement pris en compte par le pouvoir central. De plus le transfert des ressources est loin de devenir une réalité. A titre d’exemple de piétinement dans le processus de la décentralisation, les dotations budgétaires du Fonds d’Appui au Développement des Communes (FADEC, fonctionnement et investissement) dans le projet de loi 2009 sont largement en deçà des besoins immédiats et des attentes légitimes des communes. Elles n’expriment pas une manifestation du pouvoir central de transférer les ressources aux communes et ne facilitent pas la gouvernance locale et l’enracinement de la démocratie à la base.
Cette volonté est moins manifeste d’autant plus que certaines dépenses inscrites au compte de certains ministères devraient déjà voir leurs dotations transférées aux communes.

7°) Avec cette mauvaise santé de la gouvernance au Bénin, le rapport parle d’obstacles à l’atteinte des OMD et à la mise en œuvre de la SCRP. N’êtes-vous pas trop pessimistes à la Société civile ?   
 
Nous n’avons jamais été pessimistes à la société civile. Notre rôle est d’attirer l’attention des gouvernants sur des situations critiques qui empêcheraient le Benin d’émerger réellement dans plusieurs secteurs. Vous savez que le terme fixé pour l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) est 2015. A l’allure où vont les choses, le Bénin risque de ne pas atteindre les objectifs si les gouvernants ne changent pas de stratégie dans le système de gestion.
L’impunité, les pots de vins, les trafics d’influence pour accorder les marchés, les licenciements pour dénonciation de malversations, les détournements de deniers publics, des agents soudoyés pour minimiser les impôts à payer, les nominations de cadre de famille parentes, alliés et amies ou du même bord politique qui ne respectent pas les critères exigés par les textes, etc.., tous ces mauvais comportements doivent disparaître au profit des bonnes pratiques. C’est non seulement la condition indispensable pour le développement mais également une passerelle pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement.

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