« Le Président Sarkozy est sensible à tout ce que fait le Docteur Boni Yayi »
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marie Ehouzou, est l’invité de cette semaine. Dans cette interview, il parle des performances de la diplomatie béninoise sous le régime du Changement. La candidature du Bénin au poste de directeur général de l’Unesco, les innovations apportées aux relations extérieures du Bénin, le rôle de la diplomatie dans le développement de la nation et d’autres sujets ont été abordés au cours de cet entretien.
Depuis que vous êtes arrivé au gouvernement, vous avez certainement mené des actions dans le cadre du renforcement des relations extérieures du Bénin avec ses partenaires. Comment se porte aujourd’hui la diplomatie béninoise ?
La diplomatie béninoise se porte bien comme tout le monde peut le constater. Il est ainsi aisé de noter la participation de plus en plus active de notre pays aux rencontres internationales, les visites de personnalités étrangères au Bénin, ainsi que celles du chef de l’Etat à l’étranger auprès des pays qui peuvent nous aider et qui se mobilisent effectivement à nous apporter l’assistance nécessaire à notre développement. Il y a également les activités que nous menons au sein de l’Union Africaine pour l’intégration effective du continent, au niveau de la Cedeao et de l’Uemoa pour l’intégration sous-régionale. Bref, nous sommes présents sur tous les fronts.
Si tout se passe très bien pour la diplomatie béninoise, quelles sont les innovations que vous avez apportées ?
Les innovations, c’est d’abord les contacts réguliers avec la presse pour expliquer ce que nous faisons et comment nous entendons impulser un dynamisme à la diplomatie béninoise, afin qu’elle soit crédible à l’extérieur et nous permette de mobiliser des ressources extérieures substantielles au profit du développement de notre pays. Entre autres innovations, on peut également citer la deuxième conférence des Ambassadeurs du Bénin tenue à Cotonou, en février 2009. Au terme de cette importante rencontre qui est la première depuis l’avènement du renouveau démocratique, de nombreuses résolutions ont été prises qui visent à renforcer l’efficacité de l’action diplomatique de notre pays pour une contribution plus accrue de la diplomatie aux efforts de développement national. Nous avons aussi engagé l’extension de la carte diplomatique du Bénin, avec l’ouverture de nouvelles ambassades, notamment à New Delhi, en Inde, pour renforcer notre présence en Asie. Aussi, pour décongestionner les activités de certaines ambassades en Europe, comme les ambassades du Bénin à Paris et à Genève, avons-nous également créé deux nouveaux postes à Rome, respectivement près le Saint-Siège et près le Palais du Quirinal auprès duquel se mènent les activités de coopération bilatérale. Cette présence à Rome permettra notamment à notre pays de tirer le meilleur parti des activités des agences du Système des Nations Unies basées dans cette ville, à savoir : l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA). De même, nous allons ouvrir un nouveau poste dans le monde arabe, à Doha, au Qatar. Vous savez que le chef de l’Etat s’est rendu dans ce pays en début d’année. Nous avons signé, à cette occasion, d’importants accords de coopération et il nous faut une ambassade pour travailler à la mise en œuvre effective des programmes de coopération convenus.
Je pense que nous avons pris les choses par le bon bout avec les pays arabes. La preuve en est la récente visite au Bénin du premier ministre koweitien. C‘était la toute première fois qu’un premier ministre koweitien se rend dans notre pays. La conquête de nouveaux partenaires dans le monde arabe va de pair avec la consolidation de nos relations avec nos partenaires arabes traditionnels. C’est dans ce cadre que j’ai pris part, par exemple, aux festivités marquant la célébration du 10e anniversaire de l’accession au trône du Roi Mohamed VI du Maroc, en tant que représentant spécial du Chef de l’Etat. Voilà un peu comment la diplomatie béninoise se déploie aujourd’hui et ce qui constitue la trame des innovations que nous avons apportées depuis que je suis à la tête de ce département
Concrètement qu’est-ce que cela rapporte aux Béninois ?
Il suffit de s’intéresser au financement des différents projets de développement en exécution dans notre pays pour se rendre compte que la part de l’extérieur dans leur réalisation est très importante. C’est vrai que nous faisons beaucoup d’efforts pour accroître la contribution du budget national aux programmes d’investissements publics, mais on ne peut les réaliser à cent pour cent. Depuis l’avènement du régime du changement, la réalisation des grands projets d’infrastructures a été possible grâce à un financement substantiel de nos partenaires au développement. Je voudrais citer, à titre d’exemples, le passage supérieur de Houéyiho construit grâce à une contribution de la Boad et de la Bidc, l’échangeur de l’Avenue Steinmetz, avec les Allemands, l’échangeur de Godomey avec les Chinois, l’hôpital de la Mère et de l’Enfant (HOMEL), avec les Japonais, etc. Plus récemment, lors de la visite au Bénin du Premier ministre koweïtien, nous avons soumis à la partie koweïtienne pour financement, un programme de développement agricole des communes, évalué à près 345 millions de dollars, qui vise à développer le potentiel agricole de 30 communes du Bénin. Nos amis koweïtiens ont marqué leur disponibilité pour une contribution à hauteur de 290 millions de dollars, afin de soutenir les efforts du Gouvernement en vue de la relance de l’agriculture dans notre pays. En un mot, la mobilisation des financements extérieurs au profit des projets de développement, est la résultante de l’efficacité de notre action diplomatique.
Depuis quelques semaines, on peut voir les drapeaux de plusieurs pays au Ministère des Affaires étrangères. Quelle est la signification de cela ?
Un drapeau, c’est d’abord un emblème national. Lorsque vous allez aux sièges des grandes institutions internationales, comme les Nations Unies, vous êtes accueillis par les drapeaux de l’ensemble des pays de la communauté internationale. Nous avons également voulu que le Ministère des Affaires étrangères reflète cette ouverture sur la communauté internationale. C’est une innovation qui participe de la réhabilitation de l’image de marque de ce ministère. L’initiative vise à implanter dans différents halls du nouveau bâtiment administratif du ministère, les drapeaux des 192 Etats membres des Nations Unies. Ce sont des drapeaux acquis sur fonds propres du Ministère et grâce à des dons.
Parlons de la conférence des ambassadeurs que votre ministère a organisée. Six mois après, où en sommes-nous ?
Toutes les recommandations issues de cette importante conférence sont actuellement sur la table du Conseil des Ministres. Mais déjà, certaines sont en train d’être mises en œuvre, comme l’extension de la carte diplomatique du Bénin.
Et les autres recommandations sont-elles rangées dans les tiroirs ?
Aucune recommandation n’est dans le tiroir. Les nouveaux ambassadeurs seront nommés aux postes vacants, de même que les ministres conseillers. Pour ce qui concerne le redéploiement du personnel, en tant que diplomate de carrière, je suis parfaitement conscient des besoins des postes diplomatiques. En la matière, ma responsabilité est très grande et je l’assume. J’enverrai dans les postes diplomatiques les cadres méritants, et non ceux qui souhaitent y être pour leur plaisir. C’est ceux qui peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes et faire apprécier leur talent par les pays hôtes ou par les organisations internationales, qui vont partir en poste. Sur ce chapitre, je ne transige pas avec la compétence.
Ne feriez- vous pas du sentimentalisme ?
Je ne fais pas du sentimentalisme parce que la diplomatie est un outil qui coûte trop cher pour que l’on s’amuse avec. Je ne choisis que ceux qui sont méritants. Je travaille avec les cadres qui ont le profil qu’il faut et qui sont animés par la volonté de servir leur pays. Je sais également promouvoir les jeunes qui se distinguent par leur dynamisme et la qualité de leur travail. Vous en trouvez même au sein de mon cabinet.
En parlant des méritants, le Béninois Tidjani Serpos est candidat au poste de directeur général de l’Unesco. A quelques semaines de cette élection, où en sommes-nous dans la campagne ?
La candidature de Monsieur Tidjani Serpos bénéficie du soutien du Gouvernement. Quand j’allais au Maroc, j’ai tenu une séance de travail à Paris avec le candidat et l’Ambassadeur du Bénin auprès de l’UNESCO. A mon retour, j’ai déjà tenu une réunion de travail avec tous mes collaborateurs impliqués dans la campagne, pour faire le point des actions initiées. Les choses se déroulent normalement. J’ai adressé une correspondance à mes homologues du monde entier pour susciter leur soutien à notre candidat. A l’heure où je vous parle, la Mission du Bénin à New York s’active à organiser le lobbying. Paris et New York sont les deux pôles de notre stratégie de campagne. Nous entendons, de concert avec le candidat qui est actuellement à Cotonou, mener également un certain nombre d’actions en direction des pays africains.
Est-ce que cela veut dire que vous menez une campagne discrète ?
Tout à fait parce que nous n’avons d’ailleurs pas les moyens de mener une campagne tapageuse. Il faut être efficace avec les moyens dont nous disposons. D’abord, en matière de stratégie, tout est à repenser au Bénin en ce qui concerne le placement des cadres dans les institutions internationales. Les succès que nous avons enregistrés par le passé, ont été obtenus sur la base d’initiatives personnelles qui n’ont pas été financièrement soutenues par l’Etat. Les autres pays, quand ils ont des candidats, mettent à disposition des moyens conséquents, parce qu’une campagne, c’est d’abord des ressources financières et ensuite des ressources humaines pour l’animer convenablement. Et pour gagner, il faut se lever très tôt.
Le candidat Serpos aurait présenté un bon projet. Est-ce que vous croyez en sa victoire ?
Pourquoi ne serais-je pas optimiste ? Je reconnais que nous avons des concurrents de taille, dont certains ont même une longueur d’avance sur nous dans la campagne, et que la partie sera en conséquence rude. Mais dans mon métier, il faut toujours être optimiste. Je vais vous dire ceci : Kofi Anan n’était candidat à rien du tout, lorsqu’il a été élu Secrétaire général de l’Onu. C’est au dernier moment qu’on est allé le chercher parce qu’il est de la maison. C’était l’homme qu’on n’attendait pas du tout, mais qui a eu deux mandats extraordinaires. Je crois fermement, dans cet ordre d’idées, que Monsieur Nouréini Tidjani Serpos a des chances sérieuses. Attendons donc les résultats de l’élection.
Parlons des relations entre la France et le Bénin. Le président Boni Yayi a été à Paris à plusieurs reprises sans que son homologue ne soit arrivé chez lui. Qu’est-ce qui explique cela ?
Le chef de l’Etat français viendra au Bénin, probablement l’année prochaine si tout va bien. Il a déjà reçu une invitation formelle de notre part. Je voudrais ajouter ceci : le président Nicolas Sarkozy a beaucoup d’estime pour le président Boni Yayi. Je les ai vus parler à plusieurs reprises, déjà quand j’étais Ambassadeur à New York, ensuite lors de plusieurs rencontres internationales, et je puis vous assurer qu’ils s’apprécient beaucoup. Lorsque le président Boni Yayi a écrit aux dirigeants du G20 dans le cadre de la crise financière internationale, c’est le président Sarkozy qui lui a répondu. Ce dernier, lorsqu’il devait prendre au Sommet du G20 de Londres, a ainsi écrit au président de la République pour lui exprimer sa bonne appréciation au sujet des propositions pertinentes que le chef de l’Etat avait faites sur la réforme de l’architecture financière internationale, et sur la nécessité d’apporter des ressources additionnelles aux Etats les plus pauvres, dans le cadre de l’aide au développement. Le président Sarkozy est sensible à tout ce que fait le Docteur Boni Yayi, et a apprécié à leur juste valeur les initiatives qu’il a prises.
Récemment le président américain Barack Obama était au Ghana sans passer au Bénin, laboratoire de la démocratie en Afrique. En tant que diplomate, quelle analyse en faites-vous ?
Le président Obama a fait un petit détour en Afrique. Tout comme les Béninois sont actifs sur le plan international, les Ghanéens le sont aussi. Il faut même reconnaître que les Ghanéens sont plus actifs que nous. Ils sont nombreux dans les rouages de Washington et dans toutes les grandes villes américaines. Ils sont également dynamiques et de bons patriotes. Ce qui s’est passé au Ghana cette année, est un exemple édifiant pour le monde entier : l’alternance démocratique s’est faite avec élégance. C’était formidable.
C’est à saluer et à encourager. C’est ce que le président Obama a fait. Je n’ai donc aucune appréhension en ce qui concerne l’état des relations bénino-américaines, encore moins en ce qui concerne la qualité du processus démocratique en cours dans notre pays. En tout cas, les relations entre Washington et Cotonou sont très bonnes.
Pour finir, quel message avez-vous à lancer aux Béninois ?
Je voudrais assurer mes compatriotes que la diplomatie béninoise apportera toujours sa contribution au développement de notre pays. C’est une diplomatie que nous travaillons à rendre encore plus dynamique. C’est ma mission à la tête de ce département et je m’y attellerai sans relâche.q
Propos recueillis par Jules Yaovi Maoussi