La SBEE électrocute nos porte-monnaies

Ainsi nous devons payer plus cher l’électricité. La Société béninoise d’énergie et d’électricité (SBEE) vient d’en prendre la décision. A partir du 1er avril, et il ne faut pas s’attendre à un poisson d’avril, le prix du kilowattheure d’électricité sera augmenté de 10 francs, passant de 94 à 104 francs. Il ne faut pas se fier à la modestie de ces chiffres. L’augmentation projetée, sur une période de trois ans, opèrera une vraie ponction sur le revenu des individus, des ménages et des sociétés.

Le Bénin est un pays de paix et le Béninois est un incorrigible pacifiste. Il faut souhaiter qu’il en soit toujours ainsi. Ailleurs, des annonces de cette nature laissent rarement sans réaction ceux qui en subissent les effets. Le Béninois, de ce point de vue, est un encaisseur de tout premier ordre, au sens où on l’entend à la boxe. La SBBE vient de nous décocher un violent crochet au menton et un non moins violent uppercut au foie.

Le directeur général de la SBEE, Godefroy Tchékété, a eu la part belle, dans l’exercice auquel il s’est livré, par presse interposée, pour annoncer aux Béninois la nouvelle de l’augmentation prochaine du prix de l’électricité. L’exercice, dans le fond et dans la forme, aurait dû prendre une tout autre allure. Aussi voudrions- nous nous autoriser d’imaginer ce que auraient dû être les principales articulations de son adresse à ses compatriotes. Les Béninois sont, depuis longtemps, dans la peau du cabri mort ivoirien qui, dit-on, n’a plus peur du couteau. On se doit, tout de même, de leur faire justice pour leur grande patience. Car trop, c’est trop !

Premièrement. Le DG de la SBEE aurait dû commencer, dans sa conférence de presse, en manière d’autocritique, par faire le point des déboires subis par les Béninois depuis si longtemps. En effet, cela fait des années que ceux-ci, individus, ménages, entreprises, collectivités locales, trimbalent l’électricité comme un fardeau quotidien. Avec les compteurs indisponibles qui vous font attendre dans l’obscurité des semaines, des mois durant ; avec les factures qui jouent au yoyo en montant et en baissant alternativement et sans raison ; avec les baisses de tension ou les surtensions et leur cortège de dégâts. Disons-le haut et fort, admirable est la patience, la grande patience des Béninois.

Ne parlons pas de coupures et de délestages devenus le lot quotidien de tous. Ce qui a fait des groupes électrogènes, pour ceux qui peuvent se les payer, les concurrents informels de la SBEE. Et c’est au moment même où les Béninois ne savent plus à quel saint se vouer avec le courant qui va et qui vient, que des responsables de la SBEE viennent faire étalage de leur grande science, en expliquant aux pauvres ignorants que nous sommes la différence entre coupure et délestage. Comment ces responsables peuvent-ils ignorer que, pour le Béninois privé d’électricité, donc de lumière, donc de feuilleton, donc de ventilateur, donc de radio etc. coupure ou délestage, c’est du pareil au même. Qu’on ne vienne plus faire du tam-tam là où les gens en sont encore à pleurer leur mort. C’est une question de décence et de bon sens.

Deuxièmement. L’augmentation du prix de l’électricité, au dire du DG, devra aider la SBEE à moderniser le réseau électrique, à améliorer les services aux guichets, à éponger une partie des créances dues notamment au fournisseur ghanéen, créances estimées à quelque 24 milliards de nos francs. L’argent du consommateur, résultat de l’augmentation du prix de l’électricité, et qui aide ainsi la SBEE à se tirer d’affaire, a valeur d’une prise directe de participation au capital de la Société. Au cas où on l’ignorerait, nous voilà tous ou presque actionnaires de la SBEE. Et l’actionnaire, par définition, est le propriétaire d’une ou de plusieurs actions, c’est-à-dire le propriétaire des titres cessibles et négociables représentant une part du capital d’une société. C’est légitimement que nous devons attendre, voire exiger, à échéance déterminée, nos dividendes, c’est-à-dire la part de bénéfices qui devrait nous revenir en tant qu’associés de la SBEE. Monsieur le Directeur général, qu’en pensez-vous et qu’en dites-vous ?

Troisièmement. La conférence de presse de Godefroy Tchékété nous aura laissé sur notre faim. L’intéressé, sollicitant, comme il a su bien le faire notre porte-monnaie, n’a, à aucun moment, projeté l’avenir proche et lointain de la SBEE, à travers la politique énergétique nationale. Resterons-nous, in vitam aeternam, les clients du Ghana ? Qu’est devenu le courant qui devrait nous venir du Nigeria ? Avons-nous épuisé, avant même de les entamer, nos potentialités nationales en énergie hydraulique ? Et la turbine à gaz promis par le gouvernement depuis des lustres ? Quelles idées nous inspirent les énergies nouvelles comme, par exemple, le solaire, le nucléaire ? En avons-nous au moins une idée ? Peut-être que le silence observé par le DG de la SBEE sur tous ces points pourtant importants lui a été inspiré par ce beau précepte malinké : « Si ce que tu vas dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi »
Jérôme Carlos

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