Lettre ouverte d’un écrivain à propos des mouvements sociaux

Les leçons de Camille Amouro aux enseignants et aux gouvernants

« Si tu savais ce que je sais, on te montrerait du doigt dans la rue.  Alors il vaut mieux que tu ne saches rien. Comme ça au moins, tu es peinard, anonyme. Citoyen. » Léo Ferré

Je voudrais vous dire sans ambages, non sans un certain regret de la dégradation actuelle du climat de confiance sociale, non sans une crainte sur la manière dont l’encadrement de la jeunesse de ce pays est pris à la légère par certaines autorités, que je comprends le mouvement que vous avez entamé depuis quelques semaines, que j’en suis solidaire et que je vous encourage à aller jusqu’au bout. Vous devez aller encore plus loin parce que vous avez démontré à ceux qui en douteraient encore que vous représentez, collectivement, une force incontournable, tant sur le plan social que sur le plan moral.

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Les campagnes d’intoxication, d’intimidation et de dénigrement qui ne lésinent sur aucun moyen, y compris sur l’utilisation médiatique éhontée des enfants dont la responsabilité de l’éducation vous a été confiée par la Nation, loin de vous démobiliser, sont la démonstration de ce que c’est vous qui êtes dans le vrai et pas l’inverse. « La vérité et la liberté ont cela d’excellent que tout ce qu’on fait pour elles, et tout ce qu’on fait contre elles les sert également. » écrivait, depuis mars 1830, Victor Hugo.

J’ai toujours été réticent aux grèves, comme recours systématique à une revendication sociale. En 1997, j’avais réagi au mouvement initié par certaines centrales syndicales contre l’avancement au mérite. Parce que, et j’en reste convaincu, dans les rapports individuels comme dans la vie sociale, il n’y a pas d’avancement, quel que soit le sens du terme, qui ne se mérite pas. Pour moi, c’est bien simple, quand je ne travaille pas, je n’ai pas de salaire et ma petite cervelle a du mal à comprendre comment il pourrait en être autrement. Récemment encore, j’ai déploré certains débrayages dans l’administration publique parce qu’à l’issue de trois mois sans travail, l’administration continuait de fonctionner normalement, c’est-à-dire de ne rien faire de véritablement notable, et peu d’individus dans la population en était au courant. Pour moi, ces débrayages, loin de résoudre quelque problème, affaiblissaient le mouvement syndical en exposant l’inefficacité des gouvernants à employer effectivement ses administrateurs, à leur confier des missions effectives. Tout se passe comme si les employés de la fonction publique étaient là pour rien d’autre que d’être là.

Ce n’est donc pas par délectation de turbulences que je prends ici votre parti. Je le prends parce que votre combat est juste, opportun et réfléchi. Je le prends parce que devant le déferlement de haine, de discours démobilisateurs, de pseudo sensibilisation, l’opportunité est donnée à chaque patriote de s’exprimer sur la manière morale dont il voit notre développement collectif.

Cette manière marquera la fracture entre deux types de citoyens en démasquant les tricheurs et autres dévergondés qui ont infiltré toutes les sphères de décision pour combattre avec les moyens de nos œuvres toute morale. Je le prends donc parce qu’il y a une catégorie d’individus, toutes classes politiques confondues qui ne manque jamais de moyens pour déconstruire ce que vous construisez sous mandat de l’Etat et que le combat est aussi d’arracher ces moyens une fois pour toutes afin que ce peuple soit mieux éduqué. Car, au-delà des salaires, c’est une question de justice sociale et de morale que frise, à mon humble avis, votre louable mouvement.

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Lorsque je dis que votre parti est juste et réfléchi, j’entends que, contrairement aux habitudes égoïstes entretenus dans ce pays où la solidarité est un machin d’antan dont se souvient vaguement du mot, où l’on ne se bat que pour une faveur immédiate, vous vous battez pour votre avenir de travailleurs. Car vous êtes des rares véritables travailleurs tant et si bien qu’il suffit que vous manquez à vos postes une seule journée pour voir s’ébranler toute la Nation. Et lorsque je dis que votre combat est juste et réfléchi, c’est que les vingt-cinq pour cent d’augmentation dont il s’agit doivent continuer d’être perçus comme un avenant à la crise financière de l’année dernière qui a entraîné une hausse des prix et diverses inflations économiques et morales. Il ne nous a pas été démontré que lorsque chacun de vous sera à la retraite, une autre crise aura permis de rendre la vie moins chère. A l’inverse, ce que le gouvernement veut imposer, c’est : « je vous fais une certaine situation pour vous permettre de travailler pour moi et quand j’aurai fini de vous presser et que vous ne pourrez plus servir à rien, je vous laisserai crever pauvres et indigents ». Si l’on veut être honnête, on ne peut pas interpréter autrement la position du gouvernement.

Mais lorsque je dis que votre parti est opportun, je ne veux pas dire que le gouvernement vient de ramasser le pactole et qu’il faut en profiter tout de suite ! Ce n’est pas une faveur que vous demandez, c’est un droit que vous revendiquez. Dans un pays où la paresse est devenue le métier le mieux payé, c’est un droit de demander que le travail aussi requière un minimum d’attention. L’opportunité de votre combat tient au fait que si vous êtes payé trois cent mille francs (je parle des plus fortunés d’entre vous), votre collègue, béninois, ayant reçu dans les mêmes conditions une formation de niveau équivalent, s’il gagne dans la même administration cinq à sept fois plus, il doit justifier d’un travail cinq à sept fois plus important. Or, que font-ils nos ministres ? En dehors du mensonge, de la jactance et de la muflerie dans des mégashows télévisuels piteux, ils se battent dans leurs administrations pour s’attribuer des marchés, nommer des copains à des postes qu’ils créent de toute pièce au mépris de la loi, recommander un tel, faire profiter un tel autre… Le gouvernement est solidaire et si ceux qui ne se comportent pas ainsi se taisent, c’est qu’ils sont également complices. Si bien que lorsque vous revendiquez vos trois cents mille francs après avoir enseigné, ce à quoi vous vous êtes engagés, vous entendez aussi que votre employeur réfléchisse et travaille à vous payer ces trois cent mille francs, ce à quoi il a engagé d’autres travailleurs (des ministres) qui eux, sont payés en conséquence.

Voilà la réalité de la situation. On ne peut pas, d’un côté, demander à ceux qui travaillent plus de gagner moins et de l’autre, se taire sur le fait que ceux qui gagnent plus ne travaillent pas à trouver le salaire de ceux qui gagnent moins, ce à quoi ils ont été engagés. Il ne faut pas accuser le dentiste lorsque c’est le forgeron qui arrache la dent.
Et c’est peut-être ici le seul point où je vois les choses autrement que vous, parce que quand je parle d’aller jusqu’au bout, il ne suffira pas, lorsque le gouvernement aura plié – et il faudra bien qu’il plie, ne serait-ce qu’en présentant ses excuses aux travailleurs d’avoir manqué à son devoir – de reprendre le chemin de l’ouvrage sans plus vous impliquer dans les affaires de la Nation, de notre Nation à tous. Car le problème véritable, l’essence de ce qui peut permettre à quelques individus de défier ainsi la première force de travail du pays avec le minimum d’égard, c’est la combinaison des égoïsmes qui, habituellement, range la morale dans un placard et considère qu’une injustice au détriment de l’autre ne nous regarde pas tant que « j’ai pour moi ». Le gouvernant le plus intègre, lorsqu’il est coincé, se sert de cette faille pour faire passer n’importe quelle décision arbitraire.
Il s’agit donc clairement d’une crise morale. Et c’est vous que la Nation a spécifiquement chargés de ce domaine même si je considère que certains parmi vous ont tendance à l’oublier. Aller jusqu’au bout signifie tout cela. Ceux qui travaillent plus doivent gagner plus. Ceux qui ne foutent rien ne doivent rien gagner. Si vous êtes dans la même logique que moi, alors je voudrais vous remercier, en plus du soutien que je vous apporte, de l’espérance dont vous me comblez.

J’apprends à l’instant que vous avez pris la décision de vous concerter aujourd’hui pour reprendre le travail dans l’intérêt de nos enfants à tous. Je ne peux que me réjouir de cette sage décision qui ne saurait signifier votre capitulation. Car si vous échouez, c’est qu’il n’y a plus d’espérance. Mais comme je l’ai toujours dit, la grève ne doit être envisagée qu’au moment où il n’y a plus rien à faire. Et lorsqu’elle a lieu avec une telle ampleur, dans les pays sérieux, ceux qui sont chargés du domaine savent ce qu’il leur reste à faire.

Au demeurant, je vous invite à envisager dans les actions à suivre deux chantiers qui me semblent capitaux pour l’éducation nationale. Le premier viserait à organiser des Etats généraux sur la question des salaires, primes, indemnités et retraites, avec de profondes consultations populaires, mais pas dans la formule populiste et démagogique des autorités actuelles. L’idée est de réaffirmer que vous demeurez la première force de travail, que chaque enseignant doit se sentir fier de la hauteur de sa mission et qu’il devienne impossible à un enseignant d’ambitionner des charges administratives ou politiques pour des raisons salariales mais qu’au contraire, pour ces mêmes raisons, le secteur soit tellement convoité que des contrôles de qualité le purgent des brebis galeuses. Et, quel que soit le gouvernement, il ne faudra plus entendre qu’il n’y pas les moyens. Le travail d’un gouvernement est aussi de trouver des solutions, des moyens. Et personne n’a encore dispensé un gouvernement de travail.

Le second chantier viserait une certaine harmonisation dans tout le secteur de l’éducation nationale. L’idée est que les syndicats entament des démarches pédagogiques vers leurs collègues des privés, de telle manière à susciter une solidarité active qui réduise la politique de deux niveaux qui se développe actuellement au détriment des enfants les plus pauvres. Il s’agit d’attendre, de la part des enseignants du privé, une certaine solidarité lorsque l’ampleur des questions atteint celle que nous venons de traverser et, en retour, de garantir le même type de solidarité à ceux du privé quand leurs intérêts sont piétinés.
Par Camille Amouro Ecrivain.

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