Le gouvernement enterre définitivement la filière coton

Le Chef de l’Etat a effectué il y a quelques jours une tournée dans le bastion cotonnier du Bénin. Comme un missionnaire en croisade, le président Boni Yayi flanqué du directeur de la Sodeco Soumanou Moudjaîdou a annoncé partout la nouvelle réforme qui devra ressusciter la filière. Mais à voir de près, cette reforme n’en est pas une. C’est un gène pathogène qui va tuer définitivement la filière.

Le Chef de l’Etat retourne à ses vieilles passions. Il y a quelques jours il a effectué une tournée marathon au nord où il a visité les producteurs de coton des  communes de N’Dali, Sinendé, Nikki, Gogounou…C’est la première visite du Chef de l’Etat après les derniers déboires qu’a connus la filière. On se rappelle que dès son arrivée au pouvoir en 2006, Boni Yayi s’est très tôt lancé dans la dynamisation de cette filière en injectant près de 14 milliards pour payer les dettes dues aux cotonculteurs et les amener à reprendre avec la production. Mais malheureusement, ses espoirs se sont vite envolés avec l’invasion des champs par les hélicoverpa, ces insectes parasites qui dévorent les plants de coton sans pitié. Conséquence,  pour une prévision de 600.000 tonnes, la production n’a même pas atteint 200.000 tonnes. Et depuis, le président Yayi est resté un peu loin des champs de coton qu’il visitait tant par le passé. C’est pourquoi, la dernière tournée a quelque chose de surprenant au regard des circonstances dans lesquelles elle a été effectuée. Le Chef de l’Etat s’est-il rappelé qu’il faut maintenant agir pour la filière ou y a-t-il d’autres pesanteurs qui le contraignent à rebondir ? Selon certaines indiscrétions du milieu cotonnier, ce sont les dernières sorties médiatiques de Martin Rodriguez qui l’ont réveillé. Tout récemment, des producteurs de coton ont constitué une délégation pour aller en Côte d’Ivoire lui demander de venir au secours de la filière. C’est un aveu d’échec à Yayi et il n’entend pas laisser, au regard des divergences actuelles, cet homme reprendre son hégémonie sur la filière, apprend-t-on de sources dignes de foi. Et d’ailleurs, un indice rend cette thèse plausible. Arrivé à Nikki, la délégation présidentielle a annoncé la reprise des activités de l’usine qui appartient bien à Martin Rodriguez. « Faites nous confiance, on va rouvrir l’usine » a déclaré le Dg de la Sodeco, Moudjaïdou Soumanou. Le gouvernement envisage ainsi prendre un acte de réquisition pour faire tourner à nouveau cette usine. Pour quel resultat ?  

Comme les « kolkhoze » russes

En vérité, la nouvelle réforme annoncée par le gouvernement n’a rien de reforme. C’est une tentative de réorganisation maladroite des organisations de producteurs. Rien ne change en fait dans l’organisation du travail, dans la distribution des intrants et dans la gestion même de la production. Il s’agit donc, selon les explications, de Bio Sourokou et de Moudjaidou Soumanou de créer de nouvelles organisations paysannes avec de nouvelles têtes qui n’ont jamais été mêlées par le passé aux magouilles qu’on rencontre dans la filière. En clair, les producteurs sont maintenus dans le même système archaïque qui les fait souffrir depuis des années. Pas d’amélioration dans l’organisation du travail. De même, les structures restent intactes. Seules les personnes vont changer. C’est un peu comme les kolkhozes, ces exploitations agricoles qui ont été démantelées en Russie en 1992. En voulant procéder ainsi, le gouvernement veut encore créer un autre problème dans la filière. Ceux qui sont écartés de ces organisations ne vont pas rester tranquilles. Ils vont chercher à saboter les actions de ceux qui vont prendre leurs places. Il peut en découler des heurts et des affrontements violents car, on se rappelle bien que c’est une situation similaire qui a créé la crise et les violences dans les Urcar qui gèrent la filière palmier à huile. Les problèmes de fond ont semblé être occultés dans cette pseudo reforme.  Actuellement, malgré la privatisation de l’outil industriel de la Sonapra, seules quatre usines sur les onze rachetées par Patrice  Talon sont fonctionnelles. De même, la reforme est restée muette sur l’Aic (Association interprofessionnelle de coton), cheville ouvrière de la filière mais qui a montré ses limites depuis des années.  A la sortie de son Assemblée Générale du 20 Juin 2006, « le bureau a pris au nom de l’ensemble des producteurs de coton l’engagement d’oeuvrer pour que la filière coton béninoise retrouve sa place de premier producteur au niveau de la sous région ». Et pourtant, depuis rien ne marche. La filière coton connaît des déboires malgré des milliards que l’Etat engloutit chaque année dans cette filière. Par exemple, le prix de vente de la graine de coton a toujours été un point de discorde entre la Sodeco et les triturateurs, causant du coup le blocage des activités des deux usines Fludor et Shb. Or, l’Etat pourrait régler ce problème en fixant dès le début de chaque campagne cotonnière le prix de vente de la graine de coton. La filière a besoin d’une réforme de fond en comble.

Que faire ?

Selon plusieurs experts, les difficultés de la filière continueront tant que l’Aic sera l’apanage des producteurs, des distributeurs d’intrants et des égreneurs. Il faut créer un nouveau creuset qui réunisse tous les acteurs de la filière. Des producteurs aux transporteurs en passant par les égreneurs, les filateurs, les triturateurs, les distributeurs d’intrants,les institutions bancaires et les Partenaires Techniques et Financiers. Pour eux, il faut aller au delà de l’Aic et proposer un regroupement plus large, une assemblée nationale de coton dirigée par un conseil d’administration dans laquelle les banques assurent un rôle stratégique. Cette structure plus démocratique pourra aider à régler tous les problèmes inhérents à cette filière et éviter la main mise d’un lobby sur la filière. 

Marcel Zoumènou

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