La tension politique et sociale qui ébranle depuis peu le Bénin fait réfléchir bien de citoyens du pays. Dans la présente opinion, Clotaire Olihidé essaie de mettre au grand jour les origines de cet état de fait et propose pour y remédier que soit réinventer le consensus national.
Lorsque le Pr. Albert TEVOEDJRE, rapporteur général de la Conférence des Forces Vives de la Nation disait le 28 Février 1990 : « Nous avons vaincu la fatalité », tous les Béninois étaient convaincus que nous avons désormais trouvé la recette pour faire définitivement dos à l’instabilité et enrayer sinon pour toujours, du moins pour longtemps, les risques de dérapages et d’embrasement du pays.
Cette conviction était d’autant plus forte que le Bénin venait d’organiser avec brio des assises nationales historiques au cours desquelles on a diagnostiqué les maux qui minaient le pays et trouvé ensemble les voies appropriées pour remettre le pays dans le sens de la marche, de la bonne marche.
Les décisions issues de la conférence ont été consignées dans un document qui va être soumis à référendum et va devenir notre nouvelle loi fondamentale : la loi 90-032 du 11 Décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin.
Si cette Constitution continue à régir aujourd’hui, c’est-à-dire 20 ans après son adoption, l’organisation socio-politique et économique de notre pays, il apparaît cependant qu’une tension politique et sociale de plus en plus perceptible tend à remettre en cause la stabilité et la paix que l’on croyait définitivement conquises. Mais pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
La disparition progressive du dialogue social et politique
Au lendemain de l’adoption de la Constitution et de la mise en place des institutions prévues par cette loi fondamentale, on a naturellement veillé au respect des dispositions de celle-ci. Seulement, en se focalisant sur la lettre, on a tôt fait d’oublier l’esprit de la Constitution, les conditions qui ont présidé à son élaboration ainsi que le rôle joué par les principaux acteurs de son avènement.
En effet, la Constitution est issue de la Conférence Nationale qui s’est tenue dans un esprit de consensus et dans le souci de faire participer toutes les couches de la population à la détermination des grandes orientations nationales. Autrement dit, il faudrait désormais prendre en considération toutes les opinions, y compris les plus divergentes, sur les grands sujets d’intérêt national. Mieux, il faut veiller dans les choix à opérer à un certain équilibre tant régional que philosophique, du genre,…
Si tout ceci n’est pas forcément consigné à la lettre dans la loi 90-032, il n’en demeure pas moins que le constituant l’a plus ou moins implicitement évoqué. A preuve, cette phrase du préambule de la Constitution : « … Nous, peuple Béninois, réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel ;… ».
Malheureusement, les pouvoirs exorbitants conférés au Chef de l’Etat ont parfois, pour ne pas dire souvent, fait perdre de vue à ceux qui ont successivement occupé ce poste ce contrat social tacite qui devrait maintenir et consolider l’édifice démocratique.
Car, ne nous y trompons pas, du Président SOGLO au Président YAYI en passant par le Général KEREKOU, les velléités d’abus ont toujours été présentes, ce qui ne devrait pas être étonnant si l’on se réfère à Montesquieu : « Tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser ».
A priori, l’autre affirmation du même auteur (« Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir ») aurait dû servir de remède. Mais, force est de remarquer que nos institutions de contre-pouvoir, soit parce qu’ils n’ont pas assez de pouvoir soit parce que leurs responsables n’ont pas le charisme nécessaire soit encore du fait de leur composition, n’arrivent pas à eux seuls, à tempérer les ardeurs du Chef de l’Etat.
De fait, le Chef imbu de ses prérogatives constitutionnelles étendues prend de plus en plus de décisions majeures sans forcément consulter les autres tendances. Ce qui, naturellement, entraîne la détérioration du dialogue social et entretient des tensions dues à l’accumulation de frustrations.
Si ces frustrations ont été pendant longtemps apaisées, c’est non seulement à cause de la maturité du peuple béninois, mais également en raison de l’intervention à des moments décisifs de certaines personnalités charismatiques qui ont souvent joué le rôle de médiateur informel. Je voudrais citer entre autres Mgr Isidore de SOUZA et le cardinal Bernardin GANTIN.
Avec la disparition de ces grands hommes et la position partisane très affichée de ceux qui auraient pu prétendre à leur succession, l’équilibre devient aujourd’hui de plus en plus difficile à maintenir et il apparaît urgent de relancer le dialogue politique et social, bref de réinventer le consensus national.
Que faire ?
Face à la radicalisation progressive des positions antagonistes sur les grandes préoccupations nationales (privatisations, lutte contre la corruption, réalisation de la LEPI, développement équilibré des régions et des communes, redistribution des richesses nationales,…), il est devenu impérieux d’instaurer une véritable médiation conjuguant le formel et l’informel.
Le Chef de l’Etat actuel, l’a certainement compris puisqu’il a successivement mis en place depuis son accession à la magistrature suprême l’Organe Présidentiel de Médiation qui deviendra plus tard le Médiateur de la République et le Haut Commissariat à la Gouvernance Concertée. Si la première structure est essentiellement destinée à faciliter les rapports entre l’Administration et les administrés, la seconde a plutôt pour mission fondamentale de « créer les mécanismes nécessaires à l’amélioration de la qualité de l’écoute et à la promotion du dialogue entre les différents acteurs de notre société pour satisfaire leurs aspirations légitimes à une bonne gouvernance dans tous les domaines : politique, économique, social, administratif et culturel au niveau national et local ».
Malgré la création de ces organes, il est aisé d’observer que la qualité du dialogue social ne s’est pas substantiellement améliorée. Cela est certainement dû au mode de désignation des responsables des deux structures, car il n’est jamais aisé d’être à la fois juge et partie.
Au regard du relatif échec de ces solutions, il me plaît de lancer la réflexion dans une double direction.
1°) Ne serait-il pas temps que la société civile s’organise comme un véritable lobbying neutre et porteur des véritables aspirations du peuple, aspirations qu’elle opposera aux différentes forces politiques et aux institutions chaque fois que celles-ci montreront des velléités de fouler au pied le principe du consensus national, principe à valeur constitutionnelle conformément à la décision DCC 06-074 du 08 Juillet 2006 ?
S’il est vrai que la société civile projette actuellement d’elle-même une image de division et de politisation, il est tout de même encore possible d’assainir et de clarifier ce milieu avec la prise de responsabilité qui s’observe de plus en plus au niveau des acteurs traditionnels reconnus de la société civile (particulièrement ceux intervenant dans le domaine de la gouvernance) qui ont formellement décidé depuis quelques temps d’une part, de s’abstenir d’être membre de toute structure mise en place pour assurer des activités à caractère ou à connotation politique et d’autre part, de se battre pour exiger des aspirants aux hautes responsabilités de l’Etat des propositions claires et des projets de société cohérents.
2°) Ne pourrait-on pas revoir les prérogatives du Conseil Economique et Social pour lui confier formellement un rôle de médiateur d’Etat ?
De par sa composition et de la provenance de ses membres, cette institution paraît disposer de tous les atouts et pouvoir prétendre à une représentativité et donc une légitimité apolitique nécessaire et suffisante pour essayer de concilier les positions sur les grands débats nationaux.
Le Bénin en tant que pionnier des Conférences Nationales en Afrique, a le devoir moral, après vingt ans d’expérimentation d’une Constitution que l’autre a qualifié de « Constitution de tous les records », de trouver les voies et moyens pour préserver et consolider cette valeur cardinale qui a présidé à l’avènement d’une nouvelle ère démocratique en 1990 : le consensus.
Clotaire OLIHIDE