Bénin : balle à terre, pour la paix

Ils reprennent du service. Les anciens présidents de la République s’obligent à monter au créneau par les temps qui courent. Ils entendent conjurer, par leur sage intermédiation, les démons politiciens qui se réveillent et qui hantent l’arène politique. Avec les élections qui pointent à l’horizon, nous rentrons dans une zone de turbulence.  Le discours politique se corse. L’injure affleure aux commissures des lèvres.

Quand on est sage, à l’image du vieillard assis, qui, dit un proverbe malinké, voit plus loin que le jeune homme debout, on comprend l’imminence du danger, on prend les mesures qu’il faut pour prévenir l’irréparable. Parce que dans tous les pays qui se sont embrasés, payant un lourd tribut à la guerre, on a commencé par s’invectiver, par se toiser, avant qu’un coup malheureux ne provoque la fatale conflagration. Alors, en parfait accord avec la sagesse des nations, mieux vaut prévenir que guérir.

Et voilà toute la mission dans laquelle nos anciens Présidents de la République vivants – Emile Derlin Zinsou, Mathieu Kérékou, Nicéphore Soglo – ont choisi d’investir et de s’investir. Et d’appeler les principaux acteurs et animateurs de la vie nationale, opposition et pouvoir confondus, à savoir raison garder. Il y a lieu, en effet, que ceux-ci se convainquent que personne ne gagne à mettre le feu à la maison ; que ce qui nous unit est plus important que les querelles de clocher qui peuvent nous distraire, nous conduire à nous empoigner, au mépris des intérêts supérieurs de notre peuple.

La tension qui monte à l’approche des élections, c’est le signe patent que quelque chose ne tourne pas rond dans notre système démocratique. L’Etat de droit que nous ambitionnons de construire tient sa cohérence et sa fonctionnalité davantage de ce que nous avons couché sur papier que de nos pratiques politiques quotidiennes. Aussi tordons-nous allègrement le cou au droit et à la loi, subordonnant les intérêts généraux de notre pays à nos intérêts égoïstes. Chacun tire la couverture à soi dans le droit fil de la politique du « Gbadé tché djin na bi ». C’est mon maïs qui doit cuire à l’exclusion du maïs des autres.

Alors, quand les textes peinent à réguler et à régulariser, à faire prévaloir la force du droit sur le droit de la force, il est bon que des hommes de bonne volonté entrent en scène et en action. Il est juste que ces hommes se suppléent aux textes et apportent le poids de leur autorité, de leur prestige, de leur expérience pour calmer le jeu et dire à tous avec l’accent d’une courtoise mais ferme injonction : « Balle à terre ! ».

Balle à terre pour que l’intérêt supérieur du pays habite tous les acteurs, par delà les intérêts étroits de leurs chapelles respectives. Car ce qui est en jeu, c’est le Bénin. Personne en particulier ne saurait prétendre en être le propriétaire avec droit de propriété sur son présent et sur son avenir. Le Bénin appartient à nous tous. Et à l’échelle des individus que nous sommes, chacun joue sa partition, autant que possible pour le bien du pays. Arrive nécessairement le temps de passer la main et de s’effacer, laissant à ces concitoyens héritiers le soin de continuer le combat, de poursuivre le chemin. Qui a intérêt à laisser derrière lui un cimetière, un champ de ruines ?

Balle à terre pour que notre longue tradition de paix soit toujours préservée et référencée comme partie de notre patrimoine national, le patrimoine d’un pays qui, à défaut de pétrole dans son sous-sol, cultive sur son sol, chaque jour que Dieu fait, les nobles vertus de la paix. Du reste, dans de nombreux pays  dans le monde, on n’a pas réussi à troquer le pétrole contre la paix. Nous avons su jusqu’ici, au Bénin, cultiver la paix et vivre en paix. Le pétrole nous sera donné de surcroît.

Balle à terre parce que nous ne pouvons plus continuer de nous bercer de l’illusion selon laquelle Dieu aime le Bénin et qu’il saura toujours nous protéger, envers et contre tout, de nos propres turpitudes, de nos propres bêtises. Raisonner ainsi, c’est mal connaître Dieu qui est un adepte de la non immixtion dans les affaires des hommes, nous ayant créé libres pour que nous assumions la responsabilité pleine et entière de nos actes. Aide-toi et le ciel t’aidera. Le contraire n’est pas vrai.

C’est compte tenu de toutes ces considérations qu’il nous plaît de saluer l’initiative de paix de nos anciens Présidents de la République. Ils auront surtout compris, et c’est tout à leur honneur, que pour la cause de la paix, il n’est point de retraite possible, mais le service sacré de la nation. Aussi méritent-ils d’être salués, d’être encouragés, d’être soutenus. Ils ont compris, sous l’angle de la paix ce beau proverbe bambara : « Le monde est un pot à eau, quand on a bu, on le passe à autrui pour qu’il boive aussi. »

Jérôme Carlos

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