« Le Bénin n’a pas fini de faire le deuil de Cardinal Gantin, de Mgr de Souza … » Me Djogbenou

La troisième et dernière partie de l’interview accordée à La Nouvelle Tribune aborde le cinquantenaire de l’indépendance du Bénin, l’état de la Nation en ce moment et l’affaire Simon Pierre Adovèlandé. C’est presque un procès que fait l’avocat et professeur agrégé en droit privé au système de gouvernement béninois : pour lui, la république est ébranlée dans ses fondements.

LNT : Par le passé, l’Ong Dhpd, a proposé un discours alternatif au discours à la nation du Président de la république. Aujourd’hui, faite nous en quelques mots, votre lecteur de l’état de la nation.

On n’a pas besoin de faire un discours sur l’état de la nation. Vous allez bien observer, réaliser l’état de la nation si après avoir voyagé, vous êtes de retour dans votre pays. A l’aéroport vous rencontrez des béninois qui sont psychologiquement atteints et qui se posent des questions : qu’est-ce qu’on va encore entendre au pays.  C’est vous dire ce que c’est que l’état de la nation. Lorsque vous quittez votre domicile et pour y retourner vous réfléchissez, donc ça ne se passe pas bien à la maison. Et c’est ça la situation. Vous savez, chez nous, pourquoi les maisons sont clôturées ? Parce qu’il y a quelqu’un qui dit, à 21 heures, je ne veux plus voir des gens sortir. Il faut me fermer la porte. Nous sommes dans un espace où on ne ferme plus les portes, où il n’y a plus quelqu’un qui dit, à 21 heures, à 22 heures, il faut fermer la porte. Il n’y a plus quelqu’un qui ose le ton. Le Bénin n’a pas fini de faire le deuil, de Cardinal Gantin, de Monseigneur de Souza et de bien d’autres. Or il faut faire le deuil. Il faut savoir tuer son père au sens éthique du thème. Le Bénin n’a pas encore tué ses pères et nous sommes orphelins, en train de pleurnicher et ne savons pas où nous allons. Et les personnalités que nous considérons ne jouent pas suffisamment leur rôle. Tout ce qui se passe c’est la mise ne berne de l’éthique, des valeurs. C’est ça l’état de la nation.

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Il y a quelques années, vous disiez que la ferveur, l’ambiance festive dans laquelle l’actuel président de la république a été élu sont telles que s’il ne satisfait pas les Béninois, le processus électoral n’aura plus aucun crédit à leur yeux. Courons-nous ce risque-là aujourd’hui ?

Bien sûr. Ce risque, il est élevé. Regardez dans la situation actuelle, si un petit caporal, comme ce que l’on voit dans certains pays, prend le pouvoir, vous voyez tous ceux qui vont l’applaudir ? Nous en arrivons à cette dégénérescence, à cette dérive et donc face à la gestion d’un homme tel que l’actuel Chef de l’Etat, c’est-à-dire que s’il y avait une désapprobation, elle entacherait le système démocratique ; parce que l’espoir que son élection a suscité est un espoir dans le système démocratique, dans ce jeu électoral et c’est une désapprobation de l’accession au pouvoir politique par d’autres moyens que le moyens démocratiques. Mais quand on a les résultats, on se pose la question. Regardez le Rwanda, je ne suis pas homme politique, je peux donc ne pas porter les gants, vous savez les conditions dans lesquelles sont organisées : nous avons 93%. Si vous avez des résultats comme ça au Bénin, vous allez demander que la terre se fende et vous entriez dedans. Sur le plan économique, si vous voyez ça, si vous voyez l’ambition de cet homme pour son pays qui maintient ses citoyens dans les chaînes, dans les fers, dans la force, vous serez tenté de dire pourquoi pas ça. Or c’est ce vers quoi on nous conduit. Je ne voudrais pas que l’on ait l’impression qu’autrement que la démocratie est meilleure. Ce n’est pas meilleur. Mais faisons en sorte de savoir choisir les hommes qu’il faut. C’est tout. Dans ce pays, les occasions électorales, sont des occasions non pas de choix mais de rejet. Nous avons déjà commencé. Il n’est bien, il n’est bien, il n’est bien. Mais qui est bien ? Nous n’en discutons pas. C’est pourquoi encore une fois nous avons dit, il faut débattre. Qui est bien ? Nous n’en discutons pas. Qui il faut choisir ? Nous n’en discutons pas. Nous savons qui il faut rejeter. Nous prenons quelqu’un, bon il n’est pas bien, il n’est pas audacieux, il ne fait pas ceci. Nous prenons un autre, non il n’est pas bien. Mais qui est bien ? Quels sont les critères du bien pour nous ? Qu’est-ce que nous voulons ? Nous n’en débattons pas. Et ça c’est aussi votre part de responsabilité. Il faut que l’espace médiatique soit ouvert.

50 ans après notre indépendance, pensez-vous que notre République tient aujourd’hui sur ses fondements, c’est-à-dire sa devise ?

Demandez à un élève de terminal, je ne sais pas si la session des malades est encore organisée, sortez ce sujet là ! Commentaire : fraternité justice et travail et vous aurez le résultat. Où se trouve la justice avec toutes ces affaires où on écarte la justice ? La justice à une part avec l’équité, l’égalité. Où se trouve l’équité. Où se trouve la fraternité. On est maintenant dans une République de peur, dans une République de relation. Quelqu’un a parlé d’administration relationnelle. Il faut savoir qui est là, il avoir votre  patronyme. Je ne vous dis pas combien de fois les gens suspecte que je suis de Porto-Novo, que je suis d’Abomey, que je suis de Ouidah, et suivant la réponse que cela leur inspire, je suis mal accepté ou bien accepté. Dans cette république, il n’y a pas de fraternité telle qu’on l’aurait souhaité, de justice telle qu’on l’aurait souhaité et puis le travail est négligé tous les jours. Regardez, à la radio nationale, à la télévision nationale, les médias publics, vous-mêmes, Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication ; vous dites qu’il faut un appel à candidatures. Les gens font appel à candidatures, vous transmettez, le Chef de l’Etat dit moi je n’accepte pas et vous succombez. Où se trouve le mérite. Qu’est-ce que vous voulez que moi j’enseigne à mes étudiants qui ont 18 ans, qui ont 16 ans ou qui ont 15 ans, qui sont en faculté. Que je leur dise, restez dans cette chaleur, vous êtes 11.000 dans un amphi de 600 places, de 700 places, sans électricité, le travail au bout paye. Et ils voient à la télé, celui qui ne mérite pas est célébré. Voilà la République.

Il y a eu beaucoup de débats sur les 50 années à venir. On a constaté que ceux sont les gens qui étaient là il y a 50 ans qui ont fait encore ces débats, et ceux qui seront là dans 50 ans n’y étaient pas associés !

Je n’ai pas de commentaire. Vous avez fait un constat que tout le monde a partagé. Mais je crois qu’il ne faut pas sanctionner ou attribuer du tort à ceux qui sont encore là. A ceux qui devraient être là, il faut dire un mot. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour être absents. Nous sommes une société toujours en rapport de force. Si vous ne vous organisez pas de sorte à inverser, à faire en sorte que le rapport de force soit favorable à vous, vous allez subir. Les 75 % des Béninois sont des jeunes mais ceux qui sont là, c’est eux qui offrent leurs suffrages au profit de ces personnes-là et qui forment leur gouvernement et qui composent leurs institutions. Il faut dire simplement que chacun doit savoir la portée des actes qu’il pose. Quand je mets mon bulletin dans l’urne, cela m’engage pour 5 ans. Il faut que je sache ce qu’on veut faire de ce bulletin. Si je ne sais pas, à la célébration je serai absent. Les institutions vont m’éjecter. Les fonds publics seront dilapidés.

Vous avez pris la défense de Monsieur Pierre Simon Adovèlandé. A un certain moment, il y a eu des décisions de sa mise en liberté provisoire. Mais pourquoi est-il encore en détention ?

Ce dossier est une sorte de souffrance. Vous avez arrêté la personne dans des conditions, que vous savez, sur lesquelles je ne reviens pas ; vous avez insisté pour qu’il aille en instruction, le juge d’instruction a fait son travail, a ordonné une mise en liberté provisoire, vous n’avez pas discuté du principe de la mise en liberté, vous avez discuté seulement du montant de la caution, vous dites qu’il faut augmenter, vous faites appel de ça, on vient devant la chambre d’accusation, vous dites qu’il faut qu’on le libère pas alors que vous avez déjà admis le principe de la liberté. Alors, le chambre d’accusation a rendu sa décision, vous dites que vous avez formé un pouvoir et selon vous le pouvoir suspend l’exécution de la décision ce qui n’est pas notre opinion. Mais vous le dites et vous avez raison sur nous pourquoi ? Parce que vous avez la force publique. Je n’ai pas les moyens d’ordonner au régisseur de libérer. Je n’ai que la loi, je n’ai que le droit et je n’ai que celles et ceux qui sont appelés à appliquer la loi. Ils ont fait leur travail de manière admirable. Je considère que, moi je le dis de manière très clairement, Adovèlandé est un détenu politique. Ça il faut le dire parce qu’au plan du droit tout est clair. Pourtant il est en prison. Et chaque fois que nous rentrons chez nous, chaque fois que je rentre chez moi, j’ai cette souffrance là. Quelqu’un est en détention mais ma souffrance est moindre. Ceux ou celles qui ont fait ça, j’imagine leur souffrance parce que j’espère qu’ils sont des êtres humains. S’ils sont des êtres humains, ils ne peuvent pas manquer de souffrir de cette situation. Mais pour vous dire tout, nous avons provoqué l’accélération de la procédure devant la Cour suprême et nous espérons que la Cour suprême va réagir d’une manière ou d’une autre.

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Qu’est ce qui peut amener un procureur à être mis en cause ?

Non. Posez-moi la question de savoir qu’est-ce qui peut amener un avocat à être mis en cause. Un avocat est un citoyen comme tout autre. Et s’il succombe à certaines tentations, la prison est remplie de gens innocents, de gens qui ont commis des actes aussi. Mais chacun assume. Seulement je voudrais dire quelque chose. J’estime que les conditions de sa mise en détention du procureur général près la cour d’appel de Cotonou sont détestables. On ne peut pas considérer que quelqu’un qui est arrivé à ce niveau n’ait rien fait de bien pour ce pays. Ce n’est pas possible. Jugez-moi pour ce que j’ai fait de mal mais n’oubliez pas ce que j’ai fait de bien. Et moi personnellement, les conditions dans lesquelles il a été placé en détention sans aucun égard pour sa fonction, je m’étonne de ne pas avoir la réaction de gens qui ont pour mission de s’étonner de telle situation. C’est un être humain et il a aussi le droit que sa dignité soit protégée.

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