Président du Jury consacré à la correction des épreuves facultatives en langues nationales au Baccalauréat 2010, le Professeur Albert Bienvenu Akoha ne cache pas sa satisfaction par rapport au travail abattu par les nombreux candidats enregistrés. Par ailleurs Secrétaire technique permanent de la Commission nationale de pilotage de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel au Bénin, l’universitaire revient ici sur les objectifs de cette institution et se dit optimiste quant à la réussite de sa mission.
Vous venez de participer à la correction des épreuves facultatives en langues nationales pour le compte du Bac 2010. Comment appréciez-vous le travail abattu par les candidats ?
Je dois tout d’abord souligner que cette année, nous en sommes à la troisième édition d’une épreuve facultative en langues nationales pour les candidats au Baccalauréat. Nous n’avons pas encore les statistiques complètes, mais ce que je puis vous dire déjà, c’est qu’il y a un très grand engouement des candidats pour les épreuves facultatives en langues nationales. Par exemple, pour mon jury qui a corrigé la langue nationale Fon et apparentées, nous avons enregistré 1941 copies. Non seulement, les candidats sont nombreux, mais aussi de plus en plus nombreux à présenter de très bonnes copies.
Qu’entendez-vous pas bonne copie dans les langues nationales?
C’est une copie qui répond de façon claire à la question posée dans la langue nationale. Et la réponse est également rédigée dans une écriture à l’orthographe correcte. Par exemple, le sujet de cette année porte sur le sida. Et les candidats doivent le définir et dire la perception que les populations ont des sidéens, les modes de transmission de cette maladie, comment l’éviter, etc. L’épreuve consiste à lire et à répondre correctement aux questions posées dans la langue nationale choisie. Ce n’était pas facile, mais ils en sont sortis vraiment de façon admirable. Et s’ils sont près de 3000 parmi les candidats admissibles au Bac à composer cette année en langues nationales, cela veut dire qu’il y a une forte proportion de nos enfants qui demandent leurs langues au Baccalauréat. C’est un évènement à saluer.
Quelles leçons vous en tirez ?
La leçon que j’en tire, c’est que nos enfants sont en avance sur nous les adultes, pendant que nous nous posons des questions de savoir, quelle langue choisir ? Est-ce que nos langues ne contribuent-elles pas à faire baisser le niveau de nos enfants ? Ceux-ci n’ont cure de ces questionnements là. Eux, ils aiment leurs langues maternelles et affirment clairement qu’ils en veulent. A nous de leur donner la réponse. Je pense que c’est une leçon que ces enfants viennent de nous donner par une forte participation aux épreuves de Baccalauréat 2010 consacrées à ces langues.
Vous avez été nommé depuis peu, Secrétaire technique permanent de la Commission nationale de pilotage de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel au Bénin. Quels sont les objectifs que vise cette structure ?
Les objectifs de cette Commission sont ceux que le Forum national sur le secteur de l’éducation tenu en 2007 a fixés, à savoir introduire les langues nationales dans le système éducatif formel au Bénin comme matières. On doit pouvoir enseigner les langues nationales comme matières dans les trois ordres d’enseignement. Le forum a décidé qu’il faut pour cela une phase d’expérimentation de 2007 à 2015, et pendant qu’on fait l’expérimentation, on perfectionne les outils d’enseignement. En 2015, après l’expérimentation, on généralisera l’enseignement à toutes les langues. Je vous informe que nous avons un système d’écriture mis au point par les linguistes depuis 1975 et qui permet d’écrire de la même façon avec les mêmes types de caractères, toutes les langues nationales du Bénin. Ce qui fait que lorsque vous êtes Aïzo et que vous écrivez en Aïzo, celui qui comprend Fon doit pouvoir vous lire. Si vous écrivez le Mina, c’est encore la même écriture. Donc le système d’enseignement, l’écriture et l’orthographe ne doivent pas diviser les enfants à l’école. Cela est un acquis.
Pourquoi le forum recommande d’enseigner les langues nationales comme matières ?
Quand le forum recommande d’enseigner les langues comme matières, c’est pour qu’elles puissent véhiculer l’enseignement des cultures béninoises. Et celui qui sort d’un système comme celui-là, est nécessairement bilingue. Il parlera correctement français comme sa langue maternelle. Ainsi, il est mieux outillé pour communiquer avec le milieu dans lequel il vit. Et s’il utilise ces langues à l’Université pour faire des recherches, il a encore une potentialité et une meilleure maîtrise de la culture. Ce qui le rend plus apte à intervenir dans le milieu qu’il est appelé à changer, en tant qu’ ingénieur, en tant que médecin, en tant que juriste de renom, etc. Parce justement avec l’écriture dans sa langue maternelle, il peut porter des réflexions par écrit sur les connaissances endogènes et cela participe d’un dialogue fructueux à son niveau, entre sa culture béninoise et les langues étrangères. Et curieusement, avec cet exercice, je vous l’assure, on est encore plus fort dans la langue française. Il s’agira surtout de former des citoyens de type nouveau qui ont un regard nouveau sur la culture béninoise. Et ceci, surtout pour combattre en nous le rejet de nous même que l’école coloniale nous a inoculé en nous interdisant de parler nos langues maternelles.
A quelle étape êtes-vous dans la mise en œuvre de ce programme ?
Vous savez que notre pays est en pleine crise financière actuellement. Ce n’est plus un secret pour personne. Mais aujourd’hui, ce qui est sûr, tout est déjà mis en œuvre sur le plan administratif pour que la chose se fasse et connaisse un succès. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu la création de la Commission par arrêté interministériel. Et cette Commission a été dotée d’un Secrétariat technique permanent, par arrêté interministériel également. Celui qui vous parle est le Secrétaire technique permanent. Il doit être aidé dans sa tache par sept autres personnes ressources dont les profils sont bien précisés. Nous attendons ça, ce n’est pas encore fait, pour la simple raison que ceux que vous allez approcher pour qu’ils viennent vous posent la question fatale des rétributions. Quels sont les avantages que cela va m’apporter ? Je suis déjà à tel endroit, j’ai tels ou tels émoluments, si je viens chez vous, cela va m’apporter quoi de plus ? Et à ce niveau, je les comprends parfaitement.
Est-ce à dire que vous travaillez sans rémunérations jusque-là ?
Je suis Secrétaire permanent, cumulativement avec mes fonctions à l’Université, donc en principe, comme tout le monde, je dois m’attendre à ce que cela m’apporte un plus, parce que qui travaille plus, doit gagner plus. Mais jusque-là, rien n’est donné dans ces conditions, ce qui fait que les gens traînent un peu les pas. Il faut avouer que ça piétine un peu. Et la morosité financière actuelle n’est pas pour faciliter les choses. Mais je suis en train de me battre comme un diable pour que les choses avancent. Je suis très optimiste. Celui qui vous parle est un homme heureux et très content aujourd’hui parce que je viens de présider un Jury de correction des épreuves du Bac en langues nationales et j’ai 3000 candidats qui ont accepté volontairement, et sans contraintes, de se livrer à cet exercice et ont démontré que sans avoir reçu un seul enseignement, ils sont capables de passer brillamment un examen en langues nationales. Qu’est-ce que l’école attend alors pour aller à la rencontre de ceux –là qui manifestent la volonté de s’investir réellement dans leurs langues. Voilà ma plus grande préoccupation.
Propos recueillis par Christian Tchanou
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