La filière est très mal organisée. Et pourtant, l’ananas béninois est convoité dans le monde entier de par sa qualité. La question préoccupe davantage plusieurs acteurs. Enquête.
La place de vente de l’ananas, au marché Dantokpa, grouille de monde en cette matinée de15 août 2010. Les bâchées pleines à craquer continuent de déverser leur contenu surplace, dans une ambiance indescriptible.
Jeanne Adoun est à peine visible derrière le géant tas d’ananas qu’elle vient d’acquérir. Elle est venue très tôt sur les lieux ce matin, pour se compter parmi les premiers à être servis. Il faut aller vite, les clients s’amènent déjà. Très nombreux. « C’est mon job, je le fais depuis 12 ans dans ce marché. Mais dans l’ensemble, ce n’est pas mauvais. J’y trouve mon compte » affirme-t-elle, pressée de satisfaire une cliente qui s’impatiente. Elle veut 4 bassines d’ananas, pour aller les revendre à travers tout Cotonou. « Vous savez, c’est un fruit très sensible, il faut donc vite le revendre pour ne pas avoir de perte » avise-t-elle. Sur cette place de vente d’ananas, on compte une cinquantaine de vendeuses et des tas à n’en plus finir. Les clients viennent de partout, du Bénin comme d’autres pays de la sous-région, notamment le Nigéria d’à côté. Le défilé est quotidien.
Si l’ananas béninois traditionnellement produit, était destiné à l’autosubsistance et au marché local, il apparaissait déjà en 1963, dans les statistiques officielles d’exportation avec 63 tonnes placées sur les marchés des pays limitrophes du Bénin. Aujourd’hui les quantités qui s’exportent ont presque quintuplé. La production de ce fruit délicieux se fait actuellement dans quatre départements au Sud Bénin. Il s’agit des départements de l’Atlantique, qui concentre environ 95% des superficies, de l’Ouémé, du Zou et du Mono.La principale zone de production reste le Plateau d’Allada qui selon l’UPS-Bénin (2005), compte environ 2500 producteurs pour les organisations et un grand nombre de producteurs individuels avec une production estimée à 110.000 tonnes/an.
Le marché local prend 60% de la production d’ananas. (Dantokpa principalement, Glo-Djigbé, Sékou, Sèhouè, Zinvié, Ouègbo, Zè, etc).Le marché sous-régional, consomme consomme quant à lui 35% de la production nationale. Le marche export avion représente 1% de toute la production. Ce marché comprend certains pays de l’Union Européenne (France, Belgique, Luxembourg, Italie, Allemagne, Hollande, etc.), des pays du Golfe (Emirats Arabes Unis, Arabie saoudite) et certains pays maghrébins (Algérie, Libye).
Vil prix ou laisser pourrir
« Le marché de l’ananas au Bénin est caractérisé par une offre supérieure à la demande locale. Ceci fait que les producteurs sont parfois obligés de vendre leur produit à vil prix ou dans le pire des cas, laisser leur production pourrir dans les champs » faisait déjà observer en 2004, l’universitaire Tidjani-Serpos, dans un ouvrage consacré à l’évolution de cette filière au Bénin. Cette remarque demeure d’actualité. Les problèmes que soulèvent les exploitants et producteurs sont nombreux. Hounga Alexis, propriétaire de plusieurs champs d’ananas à Zè, évoque la forte spéculation qui existe, en en raison de l’urbanisation et de l’accroissement démographique. Les terres de barre aptes pour la culture d’ananas représenteraient 490.000 hectares, soit 7 % des terres cultivables au plan national. Dans le département de l’Atlantique, ces terres font l’objet d’une spéculation effrénée.
La cherté de la main d’œuvre est aussi l’autre obstacle majeur à l’expansion des surfaces emblavées en ananas par les petits producteurs. Pour cause, le sarclage d’un hectare d’ananas, indique Jean D, résidant à Allada nécessite parfois 500 hommes par jour de travail. Une alternative pour eux est l’utilisation éventuelle d’herbicide.
Il y a par ailleurs la faible organisation des principaux opérateurs. « De nombreuses organisations existent et regroupent les producteurs et autres acteurs du secteur, mais peu d’entres elles sont fonctionnelles car elles sont pour la plupart minées par des conflits internes » souligne Moréno Dadjo, ingénieur agronome en service au Cerpa/Atlantique-Littoral. La maîtrise technique des itinéraires techniques par les exploitants est, par ailleurs à double vitesse. Les gros exploitants appliquent mieux les recommandations de la vulgarisation mais les petits producteurs moins. Ainsi, les rendements des petites exploitations sont de l’ordre de 22 tonnes de fruits frais à l’hectare, alors que les exploitations dites « modernes » atteignent près de 70 tonnes à l’hectare, selon une étude menée par Adex, en 2005. La faible maîtrise des itinéraires techniques de production de l’ananas export agit sur la qualité qui doit répondre aux normes du marché international (traçabilité, résidus de pesticide, hygiène.)
Engrais spécifiques souvent introuvables
Les difficultés d’approvisionnement en engrais spécifiques amènent les planteurs à utiliser de l’engrais complexe Npk, destiné à la culture cotonnière, facilement disponible et à coût relativement peu élevé par rapport aux autres types d’engrais qu’on peut rencontrer sur le marché. L’inconvénient majeur d’une telle fumure, selon les spécialistes est qu’il ne respecte pas le rapport K/N qui, dans le cas de l’ananas doit être de 2,5. Cet apport minéral déséquilibré, affecte la qualité des fruits et accélère la baisse de la fertilité des sols. Selon Dagba (2006), l’engrais se vendait au kilogramme à 290 francs CFA, et il en faudrait entre 300 et 500 kg pour un champ d’un hectare de superficie, en fonction de la qualité du sol. Résultat, les petits paysans producteurs d’ananas, les plus nombreux par ailleurs, n’arrivent pas à s’insérer dans la dynamique de la culture d’exportation. Une culture qui, rappelons-le, obéit à des normes de qualité qu’il faut respecter. L’autre conséquence est que les gros producteurs n’arrivent pas à satisfaire à eux seuls la demande et ne peuvent respecter les délais de livraison sur le marché international.
Si Les exploitants dits « modernes » maîtrisent mieux les itinéraires techniques de production de l’ananas, ils ne peuvent assurer l’encadrement technique des petits producteurs. L’assistance technique du Cerpa-Atlantique n’est que partiellement perceptible. Ainsi, les rendements des petites exploitations sont de l’ordre de 22 tonnes à l’hectare, alors que les exploitations dites « modernes » atteignent près de 70 tonnes à l’hectare.
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Difficultés d’accès au fret aérien
Le problème de l’accès au fret aérien se pose avec acuité surtout en termes de disponibilité de l’offre de transport. Les avions-cargos sont généralement peu fiables parce qu’ils ne décollent que lorsqu’ils sont pleins et n’ont pas d’horaires de vol fixes. Les exportateurs béninois ne produisent pas les volumes permettant d’affréter des charters. En conséquence, ils n’ont d’autres choix que d’utiliser la capacité disponible sur les vols réguliers au moment où leurs marchandises sont prêtes à l’exportation. Il n’est pas toujours facile de faire des prévisions dans ce sens, et les horaires de vol prévus peuvent ne pas coïncider avec la disponibilité d’une telle capacité. La production de l’ananas présente une particularité : son mode de vente. En effet, la production est vendue généralement en bloc, ce qui fait que le producteur a, en une seule fois, un volume important de cash à sa disposition. Ce mode de vente, qui n’est pas souvent rencontré au niveau des autres cultures, permet au producteur d’ananas de faire des investissements importants.
Une autre étude mentionne que « tant au marché de Rungis qu’à la Communauté des fruits et légumes venus des ACP, certains griefs auraient été portés contre les exportateurs béninois. Il s’agit notamment du non respect des délais de livraison et de l’exportation de quantités d’ananas inférieures à celles réellement commandées. Ces griefs mettent à nu les difficultés auxquelles la filière ananas est confrontée au Bénin ». Les exportateurs parlent des conditions liées aux volumes exportés. Le volume exportable d’ananas produit ne permet pas d’affecter des vols cargos pour le transport. Les exportateurs se rabattent sur les vols passagers de Air France qui en cas de non disponibilité de place (à cause des colis des passagers), même si une réservation seulement est faite par les exportateurs, ceux-ci voient leurs productions échoués sur le marché local par bradage ou une partie exportée. D’autres conditions liées à l’infrastructure adéquate comme un hangar pour la palettisation (disposition des cartons de fruits sur des palettes) qui les protège de la pluie, un magasin frigorifique pour entreposer les fruits au cas où ces derniers ne voyagent pas à la date prévue font défaut.
Encadré
Les variations interminables de prix
Sur le marché local, les prix varient dans le temps et dans l’espace pour les deux variétés d’ananas commercialisées. Par exemple, pendant la période de carême des musulmans (période de forte demande en fruits), le prix connaît une hausse significative sur le marché local ; 4000F à 5000F pour la quarantaine de Cayenne lisse moyenne et 6000 à 7000F pour la quarantaine de grosse Cayenne lisse. Exceptionnellement cette année, le prix de la quarantaine des grosses Cayenne lisses est allé jusqu’à 9000 voir 11000F sur les marchés. Par contre en saison normale, le prix varie de 2500 à 3500F pour la quarantaine de grosses et moyennes Cayenne lisse et chute jusqu’à 1500F en période d’abondance. Depuis mai 2007, le prix de l’ananas est resté élevé comparativement à l’année passée. Ceci est dû à l’échelonnement de la production entraînant la pratique de l’écoulement séquencé des fruits.
La variété Pain de sucre est vendue par les producteurs en temps normal entre 1500F et 2000F la quarantaine sur le marché local. Ce prix s’élève, au moment du carême des musulmans, à 2500 voire 4000F la quarantaine. Christian Tchanou