De toi à moi, Urbain !

De l’endroit où tu te trouves, je m’autorise à t’envoyer cette chronique. Non, ce n’est pas pour débattre de politique, moi qui, quand je venais à la maison familiale à Sainte Rita voir Yves, ton frère, me risquais à des charriages sur le PSD dont tu es militant depuis des années.

Je me rappelle qu’au bout de nos conversations, tu me traitais d’ «intellectuel bavard » puisque, estimais-tu, mes réflexions te paraissaient un peu trop aériennes pour infléchir le cours des choses. C’était au temps de Kérékou 2ème version, au moment où le PSD participait à la gestion du pouvoir et où les doutes et les interrogations se multipliaient sur l’issue de l’attelage Kérékou-Amoussou.

Non, je ne veux pas parler de ce passé. Je veux  t’interroger sur l’endroit où tu es supposé être. Je veux te demander de nous faire savoir, nous qui sommes tes proches, que tu es toujours des nôtres et que tu nous continues de nous voir et entendre. Je veux croire – et personne ne pourrait me l’enlever – que tu jouis encore de la douceur des narines.

Il paraît, supputent les uns et les autres, que tu aurais été victime d’un rapt politique ; que, sur le chemin de retour du bureau, des kidnappeurs cagoulés auraient intercepté ta voiture, puis t’auraient fait disparaître corps et biens. Certes, nous sommes à l’heure des films hollywoodiens aux scenarios retors où des enchainements du genre peuvent enflammer l’imagination, mais il n’empêche qu’un tel descriptif de ta disparition ne peut pas être jeté par-dessus le nombril.

On dit aussi, avancent certains, que tu aurais pris le large, que tu serais allé te refugier dans quelque monastère ou lieu isolé pour réfléchir et entrer en commerce avec toi-même. Il nous arrive à tous, êtres fragiles que nous sommes, de nous interroger sur notre vie, de débattre sur nos faits et gestes, introspection philosophique aussi vieille que le monde. Mais une telle démarche, pour autant qu’elle soit raisonnée, ne peut excéder une semaine ou dix jours. Le silence des monastères, le calme des espaces isolés, pour nous qui sommes habitués à la vie trépidante des villes, devient insupportable au bout de quelque temps. Scénario donc irréel, sinon, il y aurait longtemps que tu aurais réapparu parmi nous…

Place alors à l’autre hypothèse : que des esprits démoniaques, pour des cérémonies qui relèvent de rituels magico-religieux, t’aient enlevé et osé des actes inqualifiables…Nous sommes en Afrique où les pratiques traditionnelles se nourrissent parfois de transes diaboliques. Même si, dans ce cas, le pire est à craindre, on aurait retrouvé au moins ta voiture, l’une quelconque de tes traces. Retour alors sur le premier postulat: l’enlèvement politique.

Renforcent cette option, les scandales politico-financiers liés à la CEN-SAD dont le ministre Soulé Mana LAWANI, l’ancien argentier national aurait été accusé. Celui-ci, dans un mémorandum publié en deux volets, a contre-attaqué, mettant en cause le gouvernement et son chef, commanditaire pour ainsi dire des dérives et des meurtres financiers décriés. Il paraît que c’est toi qui aurais fourni au ministre les pièces et autres documents à charge. Il paraît que c’est toi qui lui aurais offert lanière pour qu’il assène au président ce coup médiatique. T’enlever, t’interroger, te torturer pour t’administrer « correction» aurait été alors la réponse du pouvoir à ton acte supposé.

L’affaire CEN-SAD n’a jamais été un sujet d’apaisement pour le gouvernement, on le sait. Chaque fois qu’on en parle, des menaces planent au dessus de la tête de ceux qui en font porter la responsabilité au pouvoir. On se rappelle que c’est à l’issue d’une de ses chroniques sur le sujet qu’on a attenté à la vie de Sulpice-Oscar Gbaguidi, journaliste au quotidien Fraternité. On se rappelle aussi que sur le même point, des syndicalistes ont reçu leur part de menace. Moi-même, j’ai été filé, secoué par des promesses d’agression au téléphone – avec un numéro non codé – suite à la publication d’une chronique dans la Nouvelle Tribune. Au commissariat de Cadjêhoun où j’ai porté plainte en septembre 2009, ma déposition est restée, comme on peut s’y attendre, lettre morte…
Qu’aujourd’hui, on associe ta disparition à ta complicité supposée avec Lawani dans l’argumentaire de défense de l’ancien ministre sur la même affaire CEND-SAD, ne me parait pas imaginaire. Bien au contraire, elle me semble plus que plausible.

Mon cher frère Urbain, je sais que tu es sensible à la mobilisation qui se fait autour de ta disparition. De là où tu me lis, je suis sûr que tu t’interroges sur ce que devient notre pays, sur ses libertés que l’on croyait acquises, sur les espaces que l’on pensait conquis. Mais je suis persuadé que tu sais que la veille citoyenne n’est pas morte ; qu’au-delà des inquiétudes de ton père fragile, de ta femme, de tes enfants dont les charmantes jumelles, les hommes et femmes de ce pays ont décidé de ne pas se taire, ni de ne rien lâcher jusqu’à ce que tu réapparaisses au grand jour. Et crois-moi, il n’est pas bien loin ce soleil où les reflets argentés du jour recommenceront à danser dans tes yeux. Pour triompher de l’obscurantisme. Et de la bête immonde.
 

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