Intégration et criminalité

Jour de deuil que ce 30 août 2010 pour nos compatriotes vivant à Kraké-plage. Ce jour-là, à ce lieu-dit, situé à la frontière  bénino-nigeriane, des malfrats lourdement armés, ont semé la mort et la peur au sein des populations. Le bilan de leur passage traduit bien la gravité de leur action : cinq morts, dont deux malfrats abattus, trois civils tués, quatorze blessés  graves, des millions de francs CFA emportés.

Ce genre d’action criminelle se répète depuis deux ans. Ce n’est plus de l’ordre de l’accidentel. Nous vivons une nouvelle ère de la criminalité et le grand banditisme emprunte des canaux inédits. Le tout marqué par un changement notable aussi bien dans le mode opératoire que dans les moyens d’action. Le rythme du tam-tam changeant, les pas de danse doivent suivre.  Une réflexion neuve doit être articulée et appeler des initiatives et des actions novatrices.

C’est de criminalité transfrontalière qu’il s’agit. Notons qu’elle coïncide avec une forte demande d’intégration sous-régionale. Le marché international de Dantokpa, par exemple, à travers notamment les activités  des principaux acteurs qui s’y illustrent, n’est plus une simple place de négoce aux dimensions et au profit de notre seul pays. Dantokpa rayonne bien au-delà du Bénin. L’accélération des transactions va de paire avec une plus grande ouverture des pays de la sous région, par delà leurs frontières nationales.

Voilà qui nous rapproche de l’idéal sous-régional que prône, depuis trente cinq ans, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Idem pour l’Union Africaine (UA). Elle poursuit, en effet, depuis 1963, le grand rêve de Kwame Nkrumah : fédérer nos intelligences pour construire l’indispensable outil de restauration de l’identité et de la personnalité africaines, les Etats-Unis d’Afrique.

L’intégration dont il s’agit n’est ni un luxe ni une lubie pour illuminés en mal d’un rêve de terre promise. Les Etats-Unis sont une puissance planétaire, parce qu’ils ont su s’organiser  en un bloc fédéral de cinquante Etats. L’Europe prend le chemin de la puissance, parce qu’elle a compris la nécessité de s’ouvrir sur elle-même, par delà ses diverses frontières nationales. Ce que comprennent les Latino-Américains en voie de réaliser le Mercosur ou les Asiatiques avec  l’ASEAN.

Que peut et que vaut une Afrique divisée en cinquante-deux Etats, avec autant de passeports différents, une vingtaine de monnaies, des politiques sectorielles qui se chevauchent, se télescopent ou font double emploi ? L’intégration, de ce point de vue, s’impose à la conscience africaine, comme la clé de l’avenir. Nous resterons scotchés à nos réalités actuelles, sans espoir d’un quelconque décollage, tant qu’un professeur béninois de l’Université d’Abomey-Calavi ne pourrait pas, dans la même journée, prendre le chemin du Nigeria, dispenser son cours à l’Université d’Ibadan et se retrouver, chez lui, le soir, à Cotonou.

Mais l’intégration ainsi vue ou ainsi rêvée a un coût. Ouvrir de plus en plus les frontières pour une plus grande circulation des personnes et des biens, c’est aussi se préparer à importer une plus grande insécurité. Pour dire que l’intégration, que nous appelons de nos vœux, circulera sur les mêmes rails et ira à la même vitesse que la criminalité et le grand banditisme. Alors, que faire pour que, à la recherche du meilleur, nous ne nous trouvions en butte au pire ?
Le Bénin ne peut aller à l’intégration, sans renforcer ses défenses éthiques et morales. Faisons en sorte qu’à défaut de mettre fin aux braquages qui nous endeuillent, ceux-ci ne soient pas le fait de Béninois nourris qu’ils sont à la culture des valeurs humaines. Autrement dit, faire en sorte que ces actes criminels restent des actes isolés, étrangers à nos us et coutumes, donc contrôlables et gérables à terme.

Le Bénin ne peut aller à l’intégration, sans que le volet politique de cette entreprise ne fasse l’objet d’une réflexion politique approfondie au plus haut niveau. Les Chefs d’Etat de la CEDEAO, de l’UA ne peuvent pas se faire les hérauts de l’intégration régionale et de l’unité africaine et fermer les yeux sur les risques que nous courons en nous mettant à découvert, avec l’ouverture de nos frontières. Construire les Etats-Unis d’Afrique, pourrait ainsi revenir, concurremment, à renforcer une confédération africaine maffieuse du crime et du grand banditisme.

Le Bénin ne peut aller à l’intégration sans une collaboration active des forces de police et des forces de sécurité des entités intégrées. Cela commence par notre voisinage immédiat. Les peuples écrivent leur histoire, mais subissent leur géographie. La notre nous place au flanc d’un géant : le Nigeria. On ne peut envisager une coopération harmonieuse et réciproquement avantageuse entre l’écureuil et l’aigle royal sans un code consensuel de bonne conduite et une définition claire, nette et précise des règles du jeu.

Jérôme Carlos

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