L’art de tuer nos symboles

Le drapeau national. Le signe de la croix. Le salut militaire…Nous cheminons, pourrait-on dire, chaque jour que Dieu fait, à travers une forêt dense de symboles. Le dictionnaire nous fait retenir du mot symbole la définition ci-après : « Objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idée spontanée (dans un groupe social donné) avec quelque chose d’abstrait ou d’absent. »

Les symboles s’ordonnent ainsi comme autant de clins d’œil qui nous sont adressés. Ils nous sollicitent. Ils nous parlent. Ils nous interpellent. Ils sont comparables à des panneaux de signalisation d’un autre type. Ils nous sont aussi nécessaires, aussi indispensables que l’oxygène que nous respirons. Mais contrairement à l’oxygène, les symboles n’existent pas par eux-mêmes. C’est nous qui les investissons de sens, donc de valeur et de vie. C’est encore nous qui les vidons de sens. Par ignorance. Par négligence. Par inconscience.

Pour illustrer comment nous tuons les symboles, nous voulons risquer un avis strictement personnel, forcément subjectif. Le nouveau bâtiment qui vient d’être inauguré et qui abrite désormais les services présidentiels au Palais de la Marina, par sa banalité architecturale, ne nous semble pas, symboliquement parlant, à la hauteur de la fonction présidentielle. Du moins telle que le législateur l’a coulée dans le moule de la Constitution  du 11 décembre 1990. Ce bloc cubique de béton et de verre nous paraît en déphasage avec l’idée que nous nous faisons de la fonction présidentielle.

Ailleurs, avant que le programme du Millenium Challenge Account ne nous sorte d’une quasi-médiocrité entretenue, avec un bâtiment flambant neuf, le symbole de la Justice n’a été que fort maltraité à Cotonou, confiné qu’il était dans des locaux exigus, plus qu’ordinaires de l’ancienne Cour d’appel. Affirmons que l’habit fait bien le moine, pour soutenir qu’une justice qui végète sous l’éteignoir d’un environnement physique inadéquat, se dévalue et se banalise. Elle se dépouille de toute solennité aux yeux du justiciable. Elle perd de cette gravité naturelle qui sied aux choses sérieuse dans la vie. Et la Justice, pour nous, est une chose sérieuse qui mérite d’être sérieusement traitée.

Nous étions à Porto-Novo le week-end dernier. Nous n’avons pas revu la capitale depuis les grandioses célébrations du cinquantenaire du 1er août 2010. Nous savons les conditions dans lesquelles la ville s’était préparée pour être, tant bien que mal, dans le vent de l’événement. Mais nous sommes en droit de penser que notre capitale, après avoir réussi à parer au plus pressé pour sauver la face, aurait dû s’engager ferme, dès le lendemain de la fête, à effacer les traces de tout ce qui avait été fait avec retard, dans l’urgence ou à titre provisoire.

Regardez l’entrée de la ville qui est censée en être la vitrine. Le terre-plein central est abandonné à son sort. Le gazon est  oublié. L’éclairage public semble être classé sans suite. Les travaux de pavages n’ont plus bougé depuis. Ce qui laisse traîner des monticules de terre par-ci, des tas de gravats par-là. Partout, ce sont des traces de travaux en pointillé ou en points de suspension. Une vraie symphonie inachevée.

C’est le symbole de la capitale politique et administrative qui se trouve ainsi maltraité, en sa partie jardin. Celle qui accueille le visiteur. Celle qui se donne à voir à tous. Celle qui aide à se faire ses premières  impressions et idées sur la cité qu’on aborde. Alors, pourquoi continuer d’exiger à cor et à cri la  réhabilitation de Porto-Novo si une fois éteints les lampions de la fête du cinquantenaire, on ne peut nous offrir de la ville aux trois noms que l’image misérabiliste d’une cité en peine ? Porto-Novo n’est pas que le chef lieu d’un département. Porto-Novo est la capitale du Bénin, la capitale de tous les Béninois. Ce qui est à défendre et à illustrer, n’est pas et ne doit pas être  au bénéfice exclusif des habitants de la ville. Par négligence coupable, nous sommes en en train de mettre à mal un symbole fort qui nous concerne tous. 

Restons à Porto-Novo pour attirer notre attention sur un autre symbole en souffrance. Il a été aménagé, sur l’un des flancs de notre Parlement, un espace pavé baptisé « L’esplanade de l’Assemblée nationale ». Il s’agit, au départ, d’un espace à usage de parking visiteurs, mais qui fut vite transformé, les week-ends notamment, en une place des fêtes. Ainsi, mariages, funérailles et autres cérémonies trouvent à faire bon ménage avec l’Assemblée nationale. Disons-le sans détour : c’est incongru, à la limite de l’indécence. Il y a et il y aura toujours dans notre esprit une incompatibilité rédhibitoire entre l’institution qui symbolise le deuxième pilier de notre démocratie, abrite les débats, les délibérations et votes des représentants de la nation et nos bruyantes bamboulas. Chacun sa place, et nous voilà assurer qu’on ne mélangera plus les torchons avec les serviettes.

Jérôme Carlos

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