« L’admission des femmes à l‘égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ». Après notre première parution relative au rôle de la Jeunesse dans le Développement du Bénin, il nous plaît de nous intéresser à une frange toute aussi dynamique et incontournable de notre société : les Femmes.
C’est pour nous l’occasion d’honorer notre promesse fait de mettre très rapidement les pieds dans le plat et de susciter des débats et des pistes de réflexion concrètes sur les maux qui minent le progrès de notre nation. En toute humilité, c’est entendu.
Le récent toilettage des textes régissant les Elections en République du Bénin, a favorisé l’innovation. Concernant l’élection de nos députés, le texte recommande 20% de femmes sur les listes de candidatures. La chose, présentée comme une avancée notable (et peut être accueillie comme tel sous d’autres cieux), défraie plutôt la chronique au plan interne. A commencer par le très masculin temple de la politique nationale, l’hémicycle, au sein duquel les voix de stentor et les mines patibulaires ont rivalisé de vigueur pour s’opposer à ce quota.
Plus intéressante encore semble être la position même des GPP (Gôs Politiques du Pays), les femmes têtes d’affiche du débat politique au Bénin. Elles n’adhèrent pas tellement à cette initiative pourtant orientée à leur bénéfice.
La plupart des experts et chroniqueurs ayant préféré débattre de la caution de 100 millions pour toute candidature à la Présidentielle, le sujet est resté en rase campagne. Et pourtant, plus que toute autre disposition du Code Electoral (avant roscomodisation éventuelle de la Cour Constitutionnelle), c’est bien cette question du quota qui structurera le plus durablement la vie politique béninoise des années à venir.
Je m’en explique !
De 1960 à ce jour, le Bénin a dénombré 3 femmes Présidentes d’Institutions, à peine une vingtaine de femmes ministres (la 1ère en 1989) et à peine autant de parlementaires. Au jour d’aujourd’hui, nous avons une dizaine de députées sur 83 sièges disponibles. A peine 3 ou 4 formations politiques disposant d’élus sont dirigées par des femmes.
Et pourtant, la gent féminine tend vers les 53% de la population totale et ne cesse de progresser démographiquement mais également socialement. Les rares progrès observés en termes de santé et d’éducation se sont couplés au souffle démocratique pour favoriser l’émergence d’une génération de femme « à tête dure ».
Les femmes ont infiltré l’administration pour des postes autres que ceux de vaguemestre et de secrétaire, elles se sont même illustrées dans les forces de défense et de sécurité. Au rang des professeurs d’université les plus appréciés en droit et en santé, la jupe rivalise bien avec la cravate.
Au plan économique, si l’on allait à la recherche des rares milliardaires ou multimillionnaires « honnêtes » du pays, on risquerait fort de former un hit parade exclusivement féminin.
Sur le volet social, nos mères et sœurs sont nettement plus valorisées et responsabilisées que ne serait-ce vingt années en arrière.
Mais malheureusement, ces femmes là ne font même pas 20% des femmes béninoises. L’inspectrice des impôts, la magistrate intrépide, l’agente de police inflexible ou même la « Alhadja Cash » de Dantokpa n’offrent pas encore un tableau de représentativité objectif de la béninoise moyenne.
Cette béninoise moyenne qui vit au village ou à la périphérie d’un grand centre urbain. Cette béninoise sommairement logée et frugalement équipée. Cette béninoise à la santé funambule et à l’éducation embryonnaire pour ne pas dire inexistante. Cette béninoise qui malgré 4 à 7 enfants (statistiquement) se démène au quotidien dans une activité agricole ou commerciale de subsistance.
Que vaut donc notre bon quota de 20% de futures parlementaires pour cette citoyenne là ? Quelle avancée notable cela apporte t-il à son existence et quelles solutions opérationnelles en découlent pour l’amélioration de son quotidien ? Mais surtout, l’instauration d’un tel quota est-elle une véritable avancée démocratique, un cache-misère ou une caporalisation avant l’heure d’une force politique majeure en gestation ?
De là notre réflexion : 20% de qui ? 20 % de quoi ?
20 % de qui parce que dans un régime politique de plus en plus contrôlé par les appareils partisans, 20 % de femmes, c’est 20 % de femmes choisies par ceux là qui n’arrangent guère la condition des femmes depuis 50 Ans. Il faut avoir le courage de le dire, surtout quand on sait comment se gèrent nos partis politiques. Et c’est en cela que chaque gueulante de l’autre doyenne à l’œil bandé me surexcite pratiquement. Au-delà des idées véhiculées, elle dérange ou électrise surtout par les tabous qu’elle brise. Elle donne parfois l’impression, excusez-moi, d’être la seule à avoir des « couilles ».
Sans faire injure à leurs nombreuses qualités personnelles, professionnelles et sociales, que valent réellement les femmes du microcosme politique béninois, à l’aune de la représentativité ? Que deviendraient-elles lâchées seules dans l’arène ?
Comment concevoir que même leurs congénères ne leur accordent pas une once de leur confiance, ne serait-ce qu’au plan local ? Les deux porteuses de chignon (ce n’est point une injure) de la dernière présidentielle ont été défenestrées politiquement, ne recueillant même pas 0.5 % des suffrages. Ni l’une ni l’autre ne détient de mandat local, pas même au niveau d’un quartier de village. A deux elles n’ont pas mobilisé 10.000 voix sur plus de 3 millions exprimées.
Les femmes ministres, parents pauvres des gouvernements, telles des « Jupettes » tropicalisées, sont l’unité de mesure la plus basse sur le grand marché des bamboulas partisanes. La plupart sont d’une transparence sidérale, quelques unes d’une agitation stérile faite de toilettes multicolores et de prises de positions monocordes et monotones.
Et au Parlement même ? Les femmes n’ont jamais dépassé le stade du Secrétariat Parlementaire. Et encore depuis 2007 seulement. Combien de Présidentes de Commission ou de Groupe Parlementaire ? Combien de rapporteuses ? Et pire même, combien de propositions de loi émanant des femmes parlementaires ? La encore, il n’y a presque que la vitupérante doyenne pour combler le vide.
Alors 20% de femmes au parlement pour quoi ? Pour faire de la figuration politique d’un genre nouveau ? Pour distraire les masses et renforcer le sensationnalisme béat des mass média ? Surtout dans un parlement qui passerait de 83 à 99 députés, soit 20 femmes au moins ?
Et pourtant les intelligences ne manquent pas, les compétences existent, seules les exigences peines à être remplies. Car c’est le terrain qui commande les politiciens et une élection ne se décrète pas, elle se gagne !
Le Bénin a plutôt besoin de 200% de volonté politique supplémentaires que de 20% de quotas pour accélérer son développement à travers la libération du formidable capital humain que représentent les femmes.
Ces béninoises qui mieux soignées, mieux éduquées, mieux informées de leurs droits et devoirs, mieux protégées de leurs assaillants quotidiens (qui s’appellent conventions, époux ou pauvreté), seront libres de mettre leur sensibilité et leur créativité au service de la communauté. Ces béninoises qui dans moins de 10 à 20 ans formeraient une nouvelle génération de citoyennes engagées pour le progrès, imposantes en nombre et remarquables de compétence.
L’égalité est une valeur démocratique que toute société doit porter en elle et défendre. Le besoin d’une politique qui tienne compte des deux moitiés de l’humanité ne peut cesser d’être l’objectif fondamental de toute action. Il est temps désormais de traduire le concept d’égalité en égalité de fait car tant que les femmes ne participeront pas en tant que sujets actifs au développement social et économique, le défi de la construction démocratique restera vain.
L’instauration de quotas n’apporte donc rien au débat de fond sur la place des femmes dans notre société et sur leur participation effective aux mécanismes décisionnels. Nous aurions préféré que nos honorables députés profitent de la législature pour voter des lois-cadres sur la représentation des femmes aux concours administratifs, votent une loi et instaurent un dispositif de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes etc. Faire passer les femmes du secteur informel vers le circuit économique réel vaut tous les quotas possibles. Même l’instauration de candidatures indépendantes eût été un meilleur appel du pied en direction des femmes qu’un quota qui n’oblige d’ailleurs en rien les partis à les positionner en situation d’éligibilité.
Le monde politique doit repenser sa vision de la participation politique des femmes et les femmes reconsidérer leur engagement non pas comme un hobby mais comme une nécessité. La politique représente un engagement et on le voit, requiert du professionnalisme et de la responsabilité. Il faut donc s’informer et s’y former.
L’Etat a le devoir de libéraliser l’accès à cette information et de promouvoir cette formation. C’est pourquoi nos solutions ne résideraient pas dans un quota quel qu’il soit, mais dans un travail de fond qui libère la femme d’un certain nombre de pesanteurs et lui permet de s’engager.
La première de ces solutions c’est l’Education Civique ! Dispensée très tôt, elle permettra aux jeunes filles de s’approprier la citoyenneté et les droits et devoirs y afférents. Déclinée tout au long de la vie, elle permettra aux plus âgées de compenser leur retard sur les évènements et de capitaliser leur expérience sociale au service par exemple d’un développement local qui requiert plus d’engagement et de responsabilité que de connaissances théoriques et techniques.
Et cette solution est toujours à la portée des pouvoirs publics. Un véritable Ministère de la Promotion de la Femme, destiné à l’information, à l’éducation et à l’insertion ? Rien que pour changer de l’actuel qui nous fait croire à l’envi que féminité rime avec précarité. Un véritable guide de la participation politique des femmes avec un plan d’action et des outils d’évaluation ? Un fonds d’appui aux associations spécialisées dans l’éducation et le renforcement des capacités à la base ? Le développement de l’Education tout court en langue nationale sur le formidable modèle de la Malaisie ? Des programmes télédiffusés et radiodiffusés d’éducation civique et bien d’autres choses encore. Bref tout dispositif et toute incitation destinée à favoriser l’implication des femmes. En toute liberté et avec leurs propres méthodes.
Et puis le retour de l’éducation civique à l’école, histoire d’éduquer également la minorité c’est-à-dire les hommes. Les éduquer au changement, à la bourrasque qui vient, afin qu’à leur tour venu d’être minoritaires, ils n’aient l’idée de réclamer des quotas.
Car l’adage « Ce que Femme Veut, Dieu Veut » finira un jour par se vérifier en politique. A condition qu’elles ne désertent pas le forum.
Jeudi prochain est un autre Jour !
Lionel Kpenou-Chobli
Conseiller en Affaires Juridiques et Publiques