Les multiples facettes de l’ethnocentrisme et du régionalisme au Bénin

La question du régionalisme est devenue une donnée rémanente de notre vie nationale. Il n’y a pas de jour qu’elle ne revienne comme un leitmotiv lors des nombreuses discussions consacrées à l’évaluation des cinquante ans de notre indépendance.

Elle en est ainsi venue à occulter l’omniprésence de la vraie variable déterminante de notre dynamique sociale : l’ethnocentrisme. En effet, nous nous gargarisons de mots en parlant de régionalisme au Bénin lors donc qu’on ne rencontre pas chez nous une région homogène : un Nord culturellement et politiquement typé revendiquant son autonomie et sa différence face à un Sud tout aussi campé dans son irrédentisme. En France, il existe bien la Bretagne, territoire de la nation bretonne culturellement homogène avec une langue et une histoire plutôt tumultueuse (les Chouans). On peut de même parler de la Normandie, du Pays basque, de la Corse, etc. Chez  nous au Bénin, nous ne pouvons en toute rigueur que parler de proto ou de crypto-régionalisme, pour la simple raison qu’il n’y a ni homogénéité ethnique, socioculturelle ou politique dans tout le Nord face au Sud. Quand Hubert MAGA, instituteur à Natitingou, a eu recours en 1951 à son Groupement Ethnique du Nord, instrument politique commode pour rallier sur son nom toutes les ethnies du vaste Nord pour s’imposer comme le second député du Dahomey à l’Assemblée Nationale française, il savait consciemment ou inconsciemment qu’il ne s’adressait en fait qu’à la grande ethnie du Nord-Est que demeurent les Baribas ; parce qu’il n’y avait guère une seule ethnie au Nord pour qu’on puisse parler d’un Groupement Ethnique du Nord ! Mais cette rengaine a la vie dure et occupe tous les esprits dès qu’un Président de la République originaire du Borgou (la région naturelle) s’installe au Palais de la Marina. Très souvent, il ne  s’agit en l’occurrence que  d’un sentiment de frustration des élites de la partie méridionale du pays face à ce qu’elles perçoivent comme une monopolisation inacceptable des hauts-postes politico-administratifs par les cadres du Nord. Nous ne pouvons pas nier qu’en Afrique en général et au Bénin en particulier, sauf peut-être un peu moins sous la période révolutionnaire, que les cadres développent des stratégies de lobbying  mettant à profit les facilités que leur offre leur proximité ethnique avec le Chef de l’Etat. Ainsi dès 1959, date de l’accession à la primature de Hubert MAGA, devenu en 1961 le premier Président de la République du Dahomey, les Baribas étaient devenus voyants dans la police, dans la santé et ailleurs, si bien que le 28 octobre 1960, l’UDD déposa une motion de censure contre le régime MAGA. Les débats à l’Assemblée Législative dès cette date jusqu’au rejet de cette motion de censure le 2 novembre, étaient centrés sur les accusations de régionalisme de part et d’autre, offensif pour les congénères du nouveau Chef de l’Etat et défensif pour les Fons, l’ethnie majoritaire du Sud. Voilà donc l’origine du « régionalisme » au sein des élites : il s’agit visiblement de la compétition interethnique pour s’accaparer des hauts-postes politico-administratifs, Aussi ayons le courage de reconnaître que quoiqu’il ait été légèrement atténué sous la période révolutionnaire à cause de l’idéologie populiste du nouveau régime, l’ethnocentrisme d’essence crypto-régionaliste a été constante sous les trois régimes du Renouveau démocratique. De 1990 à 1991 sous le Président Nicéphore SOGLO, les rôles étaient inversés : le « régionalisme » offensif était désormais du côté des Fons (pas les Gouns) face aux récriminations et aux frustrations des « Gens du Nord ». Il prit une forme très violente avec l’affaire Pascal TAWES, l’enlèvement du sous-préfet de Boukoumbé Pamphile HESSOU et l’assassinat de secrétaire exécutif de la section RB de l’Atacora (ancien département). Un mythe qui  a la vie dure voudrait que sous le Général Mathieu KEREKOU de 1996 à 2006, les gens de son ethnie (Waba et Bétamaribé) n’étaient pas favorisés. Cette ritournelle inexacte est sortie souvent lorsque vient immanquablement sur le tapis le débat sur le régionalisme dans nos fora. C’est loin de la vérité pour plusieurs raisons : 1) les cadres waba et bétamaribè n’étaient pas particulièrement nombreux et ceux qu’on pouvait classer parmi les élites, avaient souvent un cursus honorum dont la magnificence ne pouvait s’expliquer que par leur proximité ethnique avec le Président KEREKOU !
2) la véritable question (l’importance du facteur ethnique, d’essence régionale ou non ) est noyée à dessein dans un conglomérat multi-ethnique.

Avec le Président Boni YAYI, la question du proto-régionalisme refit surface avec une acuité plus grande à cause de la collusion ethnique Baribas-Shabè, deux ethnies qui sont liées par l’histoire et la culture. Ceux qui paraissent ici Gros Jean comme devant sont les élites de la partie méridionale du pays ; mais paradoxalement, elles ne semblent pas se rassembler majoritairement autour du candidat de l’UN, un rassemblement politique qui n’est pas sans rappeler le PDD-Wologuèdé né des brèves retrouvailles entre APITHY et AHOMADEGBE de 1964 à 1965 !   

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Par Dénis AMOUSSOU-YEYE, professeur à l’UAC

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