Quand la technologie trahit la culture:

Foudroyante avancée des technologies modernes. C’est un privilège de vivre les merveilles qui constellent le ciel de notre temps. Oui, on n’arrête pas le progrès. Perdrait son temps, sinon la raison, qui chercherait à arrêter l’océan avec ses bras. Mais les technologies, hors tout ce qu’elles nous apportent et qui ne contribue pas peu à changer notre cadre de vie, servent-elles quelque chose d’essentiel et de fondamental comme la culture ?  La question mérite d’être posée. Nous avons choisi de réfléchir sur quelques faits.

Observons notre toute première escale au niveau des «telenovellas». Il s’agit de ces feuilletons venus d’ailleurs et qui ont envahi le petit écran béninois, sinon africain. De Dakar au Caire, en passant par Ouaga, Lagos et en prolongeant jusqu’au Cap, les «telenovellas» sont bien présents sur toutes les chaînes africaines. Qu’est-ce qui explique l’engouement des Africains pour une telle production. On reconnaîtra, pour être honnête, que les «telenovellas» viennent souvent combler l’absence, sinon l’inexistence, de nos propres productions. La nature, comme on le sait, a horreur du vide.

Mais cela ne saurait suffire pour ne pas souligner que nous avons affaire à une production de masse. Celle-ci sacrifie allègrement la culture aux impératifs commerciaux du marché. Celle-ci subordonne tout à l’argent. On est d’abord en affaires. Point barre ! Autour d’un scénario pauvre, jouant sur des stéréotypes bien connus, ceux de l’amour et de la haine, de l’espoir et de la déception, de la richesse et de la pauvreté, la technologie de l’image opère des miracles.

Des décors somptueux pour entretenir le rêve. Des prises de vue, sous différents angles, pour souligner le mouvement incessant de la caméra. Quelques acteurs de quatre sous dans la bouche desquels on met un discours généralement mièvre, sans contenu. Le tour est joué. A des milliers de kilomètres des lieux de production de ces feuilletons, comme à Cotonou ou à Sèmèrè, des hommes et des femmes, des enfants et des adultes exultent, s’émeuvent et pleurent parfois. Bravo ! La drogue douce des «télénovellas» a fait mouche, elle a atteint sa cible à la tête et au cœur. Et après l’épisode d’aujourd’hui, on se prépare à vivre l’épisode du lendemain, pris dans le piège sans fin de l’accoutumance de cette drogue.

Nos avons fait une seconde escale, au niveau de la musique. Pourquoi avons-nous, aujourd’hui, des artistes à la pelle ? Et dire que Dieu lui-même ne saurait en distinguer les vrais des faux. Les artistes musiciens pullulent parce que la technologie du son aide à une pernicieuse démocratisation de la musique, ceci par un nivellement systématique par le bas. Cela a la fâcheuse conséquence de dévaluer un art noble, en le banalisant, en le vidant de toute substance.

Un producteur nous a assuré que la technologie permet, aujourd’hui, de garder en mémoire, comme en conserve, divers sons et sonorités qui rendent inutile l’accompagnement d’un artiste par un orchestre. Tout est déjà enregistré. Tout est déjà numérisé. On sort de la machine les ingrédients nécessaires pour concocter la sauce musicale de son choix. Et tenez-vous bien, il n’est plus nécessaire que l’artiste sache chanter. Qu’il chante juste ou faux, l’ordinateur se charge du reste : corriger, rectifier, raboter, faire joli.

On comprend, dans ces conditions, que le play-back soit devenu le mode privilégié d’expression publique de la plupart des artistes modernes. Peut-on encore parler d’art et d’artiste ? Plutôt de l’arnaque du début jusqu’à la fin. De duperie grandeur nature. Que nous reste-t-il alors à apprécier ? Est-ce le talent supposé d’un faux artiste ? Est-ce la cuisine musicale numérisée de l’ordinateur ? La technologie aide ainsi, dans le cas d’espèce, à produire du faux et à faire la promotion de la médiocrité. 

Troisième escale : la technologie opère les mêmes dégâts dans l’univers du cinéma. Tant et si vrai que le cinéaste est réduit à n’être plus qu’un simple porteur de caméra. Les techniques du clip contaminent rapidement le cinéma. Un sida artistique qui nous éloigne de plus en plus des grandes productions cinématographiques. Celles-ci sont regardées comme des pièces d’archives, des témoins d’une époque révolue. A ranger au magasin des accessoires.

Une dernière escale, avec le livre, sur les chemins de la culture que défoncent joyeusement les technologies. C’est vrai, on n’a pas encore inventé une machine qui peut se substituer complètement à l’écrivain, une machine capable, en d’autres termes, de produire, en lieu et place de ce dernier, une fiction, une œuvre imaginaire, genre roman, nouvelle ou poésie. Mais il est, au jour d’aujourd’hui, une réalité, une vérité de l’écrivain béninois, de l’écrivain africain. Celle de se sentir précipité et abandonné dans un désert éditorial. Il a en face de lui de moins en moins d’éditeurs et de maisons d’édition pour l’accompagner, mais de plus en plus d’imprimeurs et d’imprimeries qui le tiennent dans un rapport platement commercial. L’inspiration créatrice de l’écriture contre l’intransigeance têtue du porte-monnaie. Vivement la réconciliation de la technologie et de la culture. 

Jérôme Carlos

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